Ecrit en écoutant notamment : Joe Jackson - Steppin' Out [Rock]

Sur le trajet du retour, le père de Morgan ne peut s’empêcher de me parler de son fils :

— J’espère que tu n’as pas tout terminé à sa place, il faut qu’il fasse son travail sérieusement et qu’il finisse par obtenir une moyenne digne de ce nom !

Un peu surpris par cette interpellation, je réponds, sans me décontenancer :

— Euh, oui, bien-sûr, de plus, j’ai l’impression que le courant passe vraiment très bien entre nous. Sans vouloir jouer au prof, je suis persuadé qu’il a vraiment les capacités pour réussir comme vous le voudriez !

Il arbore soudain une mine un peu plus grave, coupe la radio, et se lance :

— Tu sais, j’adorerais qu’il puisse reprendre mon agence immobilière dans quelques années, comme je l'ai moi-même fait avec mon père il y a 25 ans. Mais pour ça, il a besoin de faire des études solides, alors tu comprends aisément que je m’inquiète pour lui… Enfin, c’est vraiment très sympathique de ta part de faire ça, j’espère que ça ne te dérangera pas de revenir s’il en a besoin !

Je vois clairement dans cette discussion l’occasion de grappiller l’une ou l’autre information intéressante pour ma cause, et demande ainsi en blaguant :

— Et avec ces attentes, il a le temps de voir sa petite amie ?

— Quoi ? C’est toi qui m’apprends ça ? Mais tu vas finir par mieux connaître mon fils que moi si ça continue ! Je ne l’ai jamais vu avec une copine, il semble assez discret sur sa vie sentimentale…

— Non, non, pas du tout, je n'en sais rien en fait, c'était juste une remarque en l'air un peu stupide, excusez-moi... D’ailleurs, j'approuve totalement vos principes.

Sa dernière phrase a pourtant suffi à renforcer mes espoirs que mon rêve puisse se réaliser… C’est déjà un bon point s’il ne ramène pas de filles à la maison. Durant le reste du trajet, je baigne dans un doux bonheur, satisfait de la roublardise dont j’ai pour une fois fait preuve. Je le salue amicalement lorsqu’il me dépose chez moi, tandis qu’il me lance en contrepartie un clin d’œil tout en repassant la première.

Je pousse ainsi ma porte d'entrée, plus amoureux que jamais de mon Morgan, me remémorant son magnifique sourire quand il comprenait comment résoudre les questions. Il faudrait que je soudoie ses profs pour qu’ils lui donnent plus de devoirs !

Je m’installe à mon bureau plus déterminé et motivé que jamais afin de finaliser mon exposé pour le cours d’anglais. Il me suffit de récolter quelques informations complémentaires, de rédiger une fiche avec les notions importantes, puis je m’entraîne oralement deux ou trois fois devant mon miroir.

J’en profite pour me détailler et estimer mes chances pour que, si jamais Morgan était gay, il puisse être intéressé par mon physique. Force est de constater que même si je suis bien bâti et légèrement musclé avec mes 75 kilos pour 1m83, l’ensemble, avec mes cheveux courts assez foncés et mes yeux gris, reste tout de même très quelconque… J’espère qu’il ne s’en formaliserait pas, ou qu’il a des goûts différents des miens… Enfin, je divague, il faut se rappeler qu’il y a déjà moins d’une chance sur dix pour qu’il puisse être attiré par les mecs…

Ayant terminé mes devoirs et mon observation, je m’avachis dans mon lit, lance une playlist, et me rends sur mon site préféré pour lire des romances de jeunes couples gays. Le dernier chapitre publié du récit que je suis depuis quelques semaines me laisse sur ma faim : le héros va-t-il oser annoncer à son meilleur ami les sentiments qu’il éprouve pour lui ? Ne se sentant pas encore capable de lui dire de front, va-t-il tenter de le lui faire comprendre subtilement, en laissant traîner quelques regards révélateurs ? En l'affublant de petits surnoms pouvant prêter à interprétation?

Je me décide alors à contacter mon ami Lilian pour l'inviter à aller boire un coup en ville. Il ne tarde pas à me répondre qu’il viendra vers 18h chez moi en vélo pour que nous prenions ensemble le bus vers Strasbourg. Cette entrevue me permettra peut-être de faire retomber temporairement mon obsession pour Morgan, non pas que celle-ci me déplaise - j’aime bien laisser voyager mon esprit en pensant à ses yeux magnifiques, l’imaginant me serrer dans ses bras en me caressant délicatement le torse - mais parfois, il est bon de remettre un peu les pieds sur terre, d’autant plus que ces derniers temps, je suis assez peu sorti avec Lilian, contrairement à l’année dernière.

Dans le temps qui me reste, je me décide à enfiler mes baskets pour un petit footing. Après quatre kilomètres, j’arrive au sommet d’une colline de laquelle je peux contempler la plaine d’Alsace, jusqu’au pied des Vosges. La visibilité est excellente, et je m’amuse à essayer de localiser le village de mon amoureux. J'utilise le réseau départemental qui découpe les larges étendues cultivées couvrant le paysage pour me repérer, et identifie rapidement ce que je pense être le village où habite Morgan, puis continue mon chemin et arrive une demi-heure plus tard complètement rincé chez moi.

Je m’empresse de me mettre sous une bonne douche réconfortante, m'amusant comme depuis plusieurs jours à tracer sur la vitre embuée : Morgan, my love, I wanna kiss you ! Quelques minutes plus tard, mon téléphone se met à vibrer ; ça doit être Lilian qui me prévient qu'il va arriver d'une minute à l'autre ! À contrecœur, j’efface ma pseudo-déclaration d’amour imprimée en négatif dans la buée d’un coup de pommeau bien placé et vais m'habiller rapidement.