Chapitre 42
Ecrit en écoutant notamment : Protokseed – Frustration [Acid Techno]
Les cours du mardi et du mercredi se déroulèrent sans anicroche, les jours restants défilant dans ma tête : plus que trois, plus que deux…
Le mercredi après-midi, je faillis d’ailleurs me faire renverser par le tram en sortant de cours, tant j’étais excité de revoir Morgan encore une fois avant le week-end ! Pour ma défense, c’était aussi assez tendu niveau timing ; quelle idée de programmer ce match avancé à 18h30 !
Cette fois, la rencontre s’annonce bouillante, car nous rendons visite à une équipe de banlieue qui n’est pas, mais alors pas du tout réputée pour son fair-play. Le genre de clubs où les grands frères des joueurs s’amusent à balancer des cailloux sur les voitures de l’équipe visiteuse en guise d'accueil, enfin bref…
La première mi-temps démarre dans un calme assez relatif, avant qu’un groupe de quatre racailles de cité, qui viennent "supporter leur équipe", vienne prendre ses quartiers derrière mon but. Je les entends déjà débiter leurs conneries dix mètres derrière… Alors passent encore les vociférations du type : "Wesh les bleus on vous encule ! " , c’est presque de bonne guerre, mais je commence à me crisper sérieusement quand les insultes me sont destinées personnellement : les encouragements à leurs attaquants du style "Allez, niquez-moi ce gardien ! Il sait pas jouer !" se multiplient sans que je puisse réellement y faire quelque chose.
Avec ce genre de mecs, c’est encore pire si tu te retournes ou si tu montres des signes d’énervement. Ils se délectent de leur semblant de pouvoir éphémère, et la seule manière de les faire taire est de réaliser un match de qualité.
C’est devenu vraiment fatigant quand l’un de ces cons s’est écrié :
— Allez les gars, finissez-en avec ce petit PD ! Défoncez-le, il mérite que ça ! et que ses acolytes ont ensuite explosé d’un rire gras avant de lancer par intermittence d’autres remarques peu gratifiantes.
Et le pire, c’est qu’ils ont fini par obtenir ce qu’ils cherchaient. Sur une grossière erreur de concentration, je permets à leur équipe de prendre l’avantage. Et ça n’a pas amélioré les choses… De loin, le coach me crie :
— Allez, mieux que ça !
Ce ne sont pourtant malheureusement pas ses remontrances qui vont faire taire les racailles derrière moi...
L’arbitre, qui a probablement remarqué ce qui se tramait, est certainement trop lâche pour intervenir ; en même temps, je le comprends, il n’a pas envie de se faire attraper à la sortie... Alors, j’essaie de faire abstraction, mais c’est difficile…
Avant la mi-temps, sur une occasion que j’aurais à nouveau pu mieux négocier, les adversaires prennent le large… 2-0. Et je reçois une nouvelle salve de remarques dégradantes. La mi-temps est enfin sifflée, allez, plus que 45 minutes à tenir… Parce que connaissant ce genre de type, maintenant qu’ils ont déterré un bon filon, ils ne vont pas se priver de faire le tour du terrain pour me retrouver de l’autre côté pour la deuxième mi-temps. Notre coach n’est visiblement pas du tout satisfait :
— Mais bon sang, arrêtez de vous faire marcher dessus ! Allez ! Bon, on va changer de système, faut bien tenter quelque chose… On réorganise une défense à trois, Léo, tu montes au milieu à la place de Morgan, et du coup, toi, tu décales devant aider l’attaque ! Allez, c’est le genre d’équipe, vous leur mettez un but, ils commencent déjà à s’engueuler entre eux !
Alors que nous revenons sur la pelouse, Morgan me pousse gentiment dans le dos. Je ne sais pas s’il a distingué précisément les insultes que les types ont proféré, mais il me souffle à l’oreille :
— Fais pas gaffe, je t’aime !
Et il va se placer à l’avant en me lançant un regard espiègle qui me réchauffe tout le corps. Je me positionne aux 5m50, et comme je l’avais prévu, je vois le groupe longer la longueur du terrain pour revenir vers moi. L’un d’eux jette et écrase son mégot tandis que les autres me lancent un regard vicieux et carnassier. Pathétique… mais très déstabilisant.
La deuxième mi-temps recommence comme la première s’était terminée, et je suis déjà excédé après seulement cinq minutes. Heureusement, le pénalty qui est sifflé en notre faveur, alors que Lucas s’est littéralement fait découper, semble détourner leur attention provisoirement. Je râle intérieurement contre l'arbitre, qui n’a même pas sorti de carton, alors que le rouge était largement justifié. C’est Florian qui se charge de frapper le penalty, pendant que notre entraîneur passe la bombe de froid sur la cheville de Lucas pour qu’il puisse terminer la rencontre. Il ne tremble pas dans l’exécution de son geste, 2-1.
Nos adversaires ont visiblement compris qu’ils pouvaient abuser de fautes violentes sans prendre de cartons, ce qui rend la suite du match particulièrement compliquée.
De mon côté, j’ai pu reprendre confiance sur un arrêt difficile, ce qui n’empêche bien-sûr pas les quatre acolytes de continuer à me traiter de tapette bonne à se faire enculer, entre autres amabilités. J’aurais bien envie de leur faire un bras d’honneur, mais j’abandonne rapidement cette idée stupide. Alors que je n’y croyais plus vraiment, sur un enchaînement de contres favorables, Lucas parvient à égaliser. 2-2. Nos adversaires repassent à l’attaque dans les dernières minutes, mais cette fois-ci, je parviens à faire les bons choix.
Le match se termine sur ce score de parité, et dès le coup de sifflet final, je vois Morgan se précipiter vers moi. Il m’attrape dans le dos, sûrement pour me féliciter d’avoir bien réagi en deuxième période. Sauf que… il fait en sorte que nous nous placions bien dans le champ de vision de mes emmerdeurs, qui étaient pourtant en train de décamper, et il plaque ses lèvres contre les miennes en leur faisant un doigt d’honneur.
Mais il est dingue ! Je tente de le repousser, mais il me serre alors plus fort et approfondit son baiser… sans baisser son doigt. Après une vingtaine de secondes, je parviens à me défaire de son emprise. Bordel ! Et toute mon équipe qui s'est arêtée de marcher pour nous regarder ! Il est complètement timbré ! Et mon père qui me fixe ! Heureusement, ses parents à lui ne sont pas là, c’est un coéquipier qui n’habite pas loin de chez lui qui l’a emmené…
Je préfère foutre le camp rapidement pour éviter des représailles, rapidement suivi par Morgan qui me rattrape à la sortie du terrain. Je sens une colère viscérale, tellement intense que je pourrais mettre le feu à la pelouse rien qu'en la fixant assez fort, prendre possession de moi, et alors qu’il m’attrape l’épaule, je le repousse violemment, suite à quoi il s’ouvre l’arcade en heurtant la barrière. Je ne fais même pas demi-tour pour lui porter assistance. Il vient de ruiner ma place dans l'équipe ! Sur un putain de coup de tête ! Mais lui, il s’en fout, il n’aura qu’à se casser et se remettre au saut en hauteur ! Je rentre dans le vestiaire en faisant claquer violemment la porte. Tous me regardent bizarrement :
— Alors comme ça t’es homo ? me questionne Léo d’un ton doucereux.
— Mais pas du tout ! crié-je, je ne sais pas ce qui lui a pris, à l’autre abruti !
— Ouais, j’espère bien ! Par contre, le Morgan, il va aller prendre sa douche avec les autres, il se fera bien défoncer comme il aime ça !
Je n’ai même pas envie de le défendre et participe à l’hilarité générale avec un rire nerveux. Il réapparaît quelques minutes plus tard avec un large bandage imbibé de sang couvrant son arcade ouverte. Il prend son sac, qui était à côté de ma place, et va s’installer à l’autre bout du vestiaire, ne décrochant pas un mot. Le coach, qui l’accompagnait, explique simplement :
— Juste un petit accident… rien de grave… quelques points de suture feront l’affaire.
Et il ne fait aucun autre commentaire, à part un "Bon match" froid, avant de ressortir précipitamment.
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