Chapitre 46
Écrit en écoutant notamment : Vagus/Belik Boom – Rona Style [Reggae/Psytrance]
Aouwitch ! La galère ! Je tente de comprendre l’énoncé en y mettant toute ma bonne volonté, mais dois déjà m’y reprendre à quatre fois pour saisir vaguement le sens de la première phrase. Une envie irrépressible de m’allonger sur ma table me gagne doucement, mais je me force à essayer de réfléchir à la première question.
Ça… y est… je crois voir à peu près comment faire… Je commence à écrire le calcul sur ma feuille, mais j’enchaîne les erreurs de calcul, barre, re-barre, rature, re-rature, et m’énerve sur ce foutu exercice… Grrrr ! C’est pourtant pas difficile… mais impossible de se concentrer plus de dix secondes consécutives après avoir autant bu. J’ai envie de balancer mon trieur à la gueule du prof, mais alors que j’étais en train de replier les élastiques de celui-ci pour envoyer un projectile plus aérodynamique, je me rappelle subitement que ce n’est absolument pas de sa faute.
Finalement, une fois les vingt minutes accordées écoulées, il me demande logiquement d’aller au tableau, alors que je recommence le calcul de la première question pour la vingtième fois sans y parvenir. Je me lève en titubant, à moitié ébloui par les néons du plafond, et lorsque je recopie les données de l’énoncé au tableau, je ne peux malheureusement pas m’empêcher d’éclater de rire en constatant que mon écriture est digne de celle d’un enfant de dix ans.
— Alors M. Hincker, c’est le fantôme de Schrödinger qui vous chatouille les côtes, cette fois-ci ?
Sa remarque, et en particulier le ‘cette fois-ci’, me font immédiatement repenser à samedi dernier, lorsque Morgan m’a vaincu à plate couture dans cet exercice. Mes neurones établissant probablement des connexions hasardeuses entre eux, j’arrive à la conclusion stupide que mon prof est au courant de la chose.
Je me retourne vers lui choqué, mais le fait de voir Lilian plié en deux devant mon air hagard quelques mètres derrière déclenche chez moi un nouveau fou rire. Je finis par comprendre que mon prof de physique faisait référence à sa blague d’il y trois semaines, et en retournant vers le tableau, je heurte le coin de son bureau. Mon sens de l’équilibre étant devenu assez précaire, je m’écroule dans un bruit sourd sur le carrelage sous les rires choqués de mes camarades. Heureusement, M. Kwiatowski intervient sans s’affoler :
— Lilian, amenez votre ami à l’infirmerie s’il vous plaît !
Alors qu'il s'agenouille à mes côtés, je vois les yeux de mon ami se mettre à rouler comme des billes, et nous quittons tous les deux la salle en nous soutenant mutuellement. Nous déambulons approximativement à travers les couloirs morts de rire sous le regard interrogateur de quelques profs qui passent par là. Nous prenons garde à ne pas devoir vraiment passer à l’infirmerie en tombant dans les escaliers, et finissons par nous installer sur un banc dans la cour à l'écart des allers et venues.
— Mec t’es vraiment un génie ! lui crié-je dans les oreilles.
— Chhh ! Je sais qu’on est un peu allumé, mais essaye de parler moins fort !
— Bon, on remonte pas en cours, il reste que 15 minutes de toute façon !
— Bah évidemment !
Nous attendons donc la sonnerie avachis l’un sur l’autre, secoués par des répliques de notre fou rire. Il finit par se retrouver la tête posée sur mon entrejambe, ce qui a l’air de sacrément l’amuser :
— Une petite pipe mon pote ?
— Euh non t’es pas obligé ! Il y en a qu’un qui a le droit de faire ça, et il s’appelle…
— Ok ok ! dit-il en se relevant, reprenant involontairement appui sur cette partie de mon anatomie.
Et il s’appelle Morgan.
Étonnamment, les derniers cours de la semaine se déroulent remarquablement bien. Nous décuvons bien-sûr au fur et à mesure des heures, mais l’alcool nous apporte un soutien non négligeable à l’oral en anglais, et nous sortons tous les deux du cours de philo persuadés d’avoir eu des illuminations révolutionnaires pour le travail d’écriture que nous a demandé M. Castagnier.
A cinq heures, nous quittons enfin l’enceinte du lycée après être passés aux toilettes une n-ième fois. Je commence à me sentir un peu moins à l’ouest ! Nous nous arrêtons devant l'immense baie vitrée de la gare, et il me dit :
— Bon, je pars ce soir voir de la famille du côté de Lausanne, on se reverra mardi, je te tiens au courant !
Je l’enserre vigoureusement dans mes bras :
— Ok parfait ! Je t’adore ! Je m’en souviendrai, de cet après-midi !
— Moi aussi, et maintenant je peux te le dire, j’avais jamais fait ça avant !
Je m’écarte de lui et ris aux éclats :
— Oh le salaud ! Au moins, on s’est pas fait prendre, même si le père Kwiatowski risque de se poser encore quelques questions ! Allez, à mardi !
Je marche ensuite seul vers mon arrêt de bus. Oui, je pense encore à Morgan, mais je suis résigné et me suis fait à l’idée que je ne le verrai pas ce week-end, ni même plus tard. Arrivé chez moi, je salue mes parents qui préparent leurs affaires pour leurs courtes vacances. Ma mère m’intercepte :
— Ah, Michaël, tes cousins arrivent vers 19 heures. On mangera un petit bout rapidement avant de partir. Il doit arriver quand le Morgan de nouveau ?
Je grince des dents en l’entendant parler de lui comme d'un colis Chronopost qu’on va nous livrer, d’autant plus que celui-ci n’est pas près d’arriver, et mon père, qui était en train de mettre ses polos dans sa valise, se rapproche discrètement pour tendre l’oreille, sûrement très curieux d’entendre ma réponse.
— Normalement il m’avait dit vingt heures.
— Alors on aura peut-être une chance de le croiser !
Je monte ensuite à l’étage, et vais voir mon frère, qui s’étonne de me voir d’assez bonne humeur.
Il fronce les sourcils et me demande :
— T’as eu des nouvelles de Morgan ?
— Non, mais s’il-te-plaît, parle-moi d’autre chose, tant que je tiens le coup !
— OK ça marche !
Refroncement de sourcils, et cette fois-ci, il se lève et se rapproche de moi :
— C’est moi où tu sens l’alcool ?
— Euh… comment dire… ouais… mais pas pour les raisons que tu pourrais croire !
— Hmmm, c’est bien mystérieux, tout ça ! Moi j’ai l’œil, enfin le nez, mais change-toi rapidement avant que les parents le remarquent !
Je m’exécute, et alors que je termine de me rhabiller après une bonne douche très savonneuse, la sonnerie de l’entrée retentit. Je regarde rapidement l’heure : 18h30, et en conclus que les cousins sont en avance ! Je dévale les escaliers, pressé de retrouver Alexis et sa sœur Mia.
J’ouvre la porte, et me retrouve face à un mec d’une beauté absolument époustouflante, affublé de quatre points de suture qui lui donnent un air guerrier terriblement excitant. Tiens, cette sensation me rappelle un certain 31 août au foot… Après être resté abasourdi quelques secondes face à son regard de marbre, je bredouille :
— Mais… mais… qu’est-ce que tu fais… ici ?
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