L'invisible

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Il faut se méfier des personnes que l'on ne voit pas. Leur discrétion est redoutable. Ils prennent place dans un lieu commun où ils effectuent des gestes ordinaires. On ne les voit pas lorsqu'ils montent dans le bus, occupent une table dans un restaurant ou croisent notre chemin. Il faut se méfier d'eux parce qu'un jour, on ne sait quand, on ne sait pas pourquoi mais on les verra. Et ce jour là, notre vie changera. Ils dévieront nos couleurs et décomposeront notre lumière. Alors nous serons déstabilisés à tout jamais. L'échelle du temps deviendra alors plus courte et la sensation de manque une nouvelle unité de mesure à l'instant précis où ils vont nous sourire et que l'on remarquera notre beauté dans leur regard.

Je ne l'avais pas vu. Pourtant, mon sens de l'observation est toujours aux aguets. Mais il faisait partie des invisibles. Depuis quelques semaines, j'avais rajouté un nouveau plaisir à mes déambulations. Je prenais le temps de m'assoeir à la terrasse d'un café, vers 10 h, afin de déguster un brunch. La première fois, certainement guidée par l'audace de m'accorder un nouveau plaisir j'avais trouvé leurs tartines délicieuses, le jus d'orange et le café savoureux. Je m'asseyais alors au fond de la terrasse et je sortais tout mon attirail : un livre, un cahier et mes stylos. Puis, au fil de mes visites, je remarquai que le pain était trop sec, le jus de fruit avait disparu de la table. Pas de la carte mais simplement de la table. Un oubli qui m'obligea à lever les yeux pour m'apercevoir que j'avais trouvé un endroit aussi cahotique que mes pensées.

La veille, il avait plu à Marseille. Des trombes d'eau qui avaient surpris les touristes, venus dans la cité phocéenne pour profiter de sa clarté et de sa gouaille . Mais, la ville avait changé d'avis. D'ordinaire si bruyante et dynamique, elle affichait aujourd'hui des teintes plus douces. Les pavés brillaient sous les pâles rayons du soleil. Il régnait une atmosphère de silence et d'apaisement. Même le défilé permanent des voitures et des scooters n'avait plus le même tempo. Les gens marchaient, munis d'un parapluie, en fixant le ciel dans l'espoir de voir une belle éclaircie. Une de celle qui approuve leurs projets de ballade en bateau, de méditation éveillée au bord de la jeté. Une éclaircie complice et solidaire qui améliore l'humeur et autorise le farniente. Elle peinait à arriver rendant les passants maussades qui ne voyaient pas que la ville avait retrouvé une forme de serénité , certes passagère. Elle s'accordait enfin une pause loin de sa légendaire vigueur et de son brouhaha incessant. Elle avait stoppé le vent. Celui qui chasse les nuages et déchaîne la mer. Elle se fichait bien des réactions des citadins. Que cela plaise ou non , il a plu à Marseille.

Assise au fond de la terrasse du café, j'observais les gens qui venaient chercher un peu de chaleur avec une boisson chaude en prenant place à une table choisie au hasard. Ils ne savaient pas que le service serait long, que les boissons n'étaient pas toujours celles qu'ils attendaient. Ce jour là, les serveurs étaient très préoccupés par leur auvent qui risquait de céder à cause du poids de l'eau stagnante. Entre deux commandes, ils avaient entrepris de purger le rideau en demandant au client de se déplacer un peu pour qu'ils puissent récupérer l'eau à l'aide d'un seau à glace.

j'exultais. Je tournais la tête pour me nourrir de leur réaction. J'adorais ces instants où l'humeur des uns et des autres bascule. Certains s'exécutaient sans rechigner prêts à porter main forte s'il le fallait et d'autres, convaincus que le client est roi, se permettaient des commentaires acides sur le comportement du serveur et se poussaient à peine. Ils recevaient alors quelques éclaboussures qui ne faisaient qu'alimenter leur contrariété. Il n'y a rien de plus enrichissant que de voir les éléments se déchainer face à l'humain qui complique les choses parce qu'il pense qu'il est dans son bon droit et à la bonne place. Mon regard glissait de table en table en proie aux répliques assassines. C'est à ce moment précis où je l'ai vu. Il me fixait du regard et il m'a souri.

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