Il était un arbre...
Ça avait été un arbre autrefois. Il y a bien longtemps, tel un songe au bord de l'oubli. Un rayon de soleil sur son bois lisse était juste assez pour éveiller la conscience évanescente, rappelant ces anciens souvenirs. Un long et solide tronc aux branches s'élançant vers le ciel, le souffle du vent caressant des feuilles réchauffées par le soleil. Un flux de sève avait donné vie à tout cela, des plus profondes racines aux plus fines brindilles. Une vie qui n'était plus.
Seule subsistait une tranche du tronc, plantée sur quatre bâtons droits en une caricature de branchages. Lisse, sèche et sans vie. Si peu de ce que ça avait été, près de basculer dans le néant si ce n'était pour la lumière du soleil ramenant ce qui restait comme une ombre de soi-même.
Y avait-il, ailleurs, des choses faites de bois avec un fragment de conscience piégée ? Ça avait tenté de trouver ce que ça avait perdu, mais sans jamais parvenir à atteindre quoi que ce fut. Soit ces autres morceaux étaient trop éloignés, où c'était tout ce qui restait.
Ça se sentait si seul. Quand c'était enraciné dans la terre humide, ça s'était dressé fièrement parmi ses frères, les racines entrelacées et les branches se touchant. Il n'y avait aucune fierté dans ce que c'était devenu. Ça ne savait pas ce que c'était à présent, mais essayait de ne pas s'en préoccuper. Le bois réchauffé par le soleil, c'était presque satisfait. Sentir le soleil était si bon que ça pouvait oublier tout le reste pour un temps.
Un délicat contact attira soudainement son attention. Des doigts menus suivaient le grain du bois, un titillement qui rappelait les petits oiseaux ayant vécu dans la cime perdue. Ça les regrettait, mais ça aimait aussi ce petit oiseau. C'était un aperçu de la vie.
***
Elle faisait glisser ses doigts sur le bois, sentant ses presque imperceptibles collines et vallées, puis posa sa paume sur la surface chaude. Elle aimait faire ça. Sa maman lui avait demandé pourquoi elle ramenait constamment le tabouret là, près de la fenêtre. Les grandes personnes ne comprenaient pas. Le tabouret avait trop froid dans le sous-sol, il avait besoin du soleil. Ici il avait chaud et il était content. Elle ne pouvait expliquer comment elle le savait, bien qu'elle ait tenté de le faire. Maman avait juste souri.
Aujourd'hui le tabouret paraissait légèrement différent, un petit peu triste, peut-être. Lui parler ne sembla d'aucune aide, mais elle eut une autre idée. Elle prit le tabouret à deux mains et le porta pour l'emmener dehors. Ce n'était pas facile avec ses jambes qui se cognaient dessus, elle fut donc bien contente de le poser enfin par terre en arrivant dans le jardin.
Elle s'accroupit et appuya sa joue sur le bois, essayant de sentir quelle était maintenant son humeur. Elle n'en était pas sûre, mais elle avait l'impression de presque ressentir quelque chose. Elle releva la tête, regarda vers sa mère occupée avec ses fleurs, et fut sur le point de l'appeler mais changea d'avis aussitôt. Maman dirait qu'elle avait imaginé ça. Et elle sourirait, encore, avant de retourner à ses fleurs.
Maman ne la croyait pas parce qu'elle était juste une petite fille. Est-ce qu'on la croirait si elle était plus grande ? Elle se leva et regarda le tabouret d'un air songeur. Elle posa un pied dessus, mais quelque chose n'allait pas, alors elle retira ses chaussures et grimpa pieds nus. Debout sur la pointe des pieds, elle tendit les bras vers le ciel, son visage tourné vers le soleil. Le tabouret de bois semblait tout aussi excité qu'elle.
— Regarde maman !
Sa mère tourna la tête et se leva brusquement en l'apercevant.
— Qu'est-ce que tu fais ? s'exclama-t-elle.
Sa maman avait l'air inquiète, mais maintenant elle n'était plus une petite fille. Elle sourit avec fierté.
— Je suis un arbre.
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