Amours parallèles
Combien de mois écoulés depuis leur exil ? Elle n’en avait cure et profitait de chaque instant passé à deux, sachant pertinemment que cette pause dans leur existence ne durerait pas.
Sa convalescence s’était mue en une douce routine, intime et délicieuse, mais elle ressentait une peur indicible, honteuse : celle de perdre leur complicité fragile lorsqu’elle marcherait à nouveau, lorsque leurs destinées se rappelleraient à eux.
Alors, incarnation vivante du paradoxe, elle lui cacha ses progrès. Certes, le temps aidant, elle s’était accommodée de ses souffrances. Elle apprenait en permanence à connaître ce corps meurtri. En cela, il l’aidait au mieux, par la magie et des exercices, l’obligeant à se défaire de son handicape, à se reconstruire.
Ce matin, le moment était venu d’affronter ses peurs, après avoir attendu si longtemps de se sentir prête à quitter leur cocon. Déterminée, le vent magique la souleva, légère comme une plume, pour l’aider à chacun de ses pas.
Allongé non loin, tout juste sentirait-il une brise fraîche lui caresser les joues. À son réveil, il ne trouverait qu’un lit vide, les draps défaits. Dans la pièce suivante, des linges mouillés jetés sur une chaise près du bassinet, puis ça et là de l’eau sur le sol qui n’avait encore séché. De la plus grosse flaque, un chemin de fines gouttelettes le conduirait à la porte principale.
Portées par le vent, quelques bribes de voix le mèneraient jusqu’à cette plaine dégagée, décorée de colchiques blanc glacier. Les pieds dans l’herbe, une silhouette maladroite danserait en chantant comme si sa vie en dépendait, libérée de toutes craintes et contraintes.
Lorsqu’elle sentit sa présence, l’azur de ses yeux rencontra l’améthyste des siens. Entourée de sa longue chevelure brune décorée de pétales d’anémones, le rythme de ses pas se fit plus lents, sans qu’elle ne cesse de glisser sur la brise, comme une feuille d’automne malmenée par les éléments sitôt tombée de l’arbre. À la fois fragile et gracieuse, libre mais captive.
I never saw you like this before
Elle aurait aimé prendre sa main, le faire valser avec elle, lui transmettre cette énergie salvatrice qui lui avait permise de se relever. Qu’ils tournoient ensemble, liés pour l’éternité dans cette bulle de bonheur qu’ils s’étaient créés. Le serrer dans ses bras pour ne pas avoir à le quitter. Leur attachement mutuel scellé dans une première danse.
Those eyes so weary, But that smile so steady
Lorsqu’elle s’arrêterait, cette bulle de verre hermétique éclaterait. D’infimes morceaux leur picoteraient les pieds comme pour leur rappeler que désormais, la réalité les avait rattrapés, prête à les blesser. Les séparer.
The words so heavy, they sound so dreary
Leurs routes parallèles ne pourraient se rejoindre, s’assembler, n’en former qu’une. Deux destins différents. Deux âmes que l’on ne pouvait unir, mais qui s’évertuaient à se suivre envers et contre tout, bravant les interdits sans pourtant s’accorder la liberté de s’aimer au grand jour. Se suivre… rien ne le leur interdisait. Se suivre sans jamais en attendre d’avantage. Elle s’en contenterait.
Over your gaze and your call
À bout de souffle, à bout de force, le vent tiède la déposa sur le sol avec toute la délicatesse du monde. Elle s’y allongea, étreignant les brins d’herbe fraîche. Puis son regard vint se noyer dans celui de l’être aimé, l’invitant à s’approcher, s’installer, juste à côté.
I stumble and fall
Deux lignes qui jamais ne se toucheraient.
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