Mer | Naufrage | Mort
Ça fait un an. Un an qu’ils ont disparu, c’est la façon la plus politiquement correcte que j’ai pu trouver pour expliquer aux gens qu’en fait ils sont morts. Tout simplement mort. Il n’y a rien d’autre.
Il y a un an dans deux minutes exactement tous les passagers du bateau sont allés dans la salle de restaurant pour le dîner. Sauf moi. Je n’avais pas faim. Le bateau a coulé pour je ne sais quel problème technique. Une sirène hurlait dans les hauts parleurs du pont, et une voix de femme enregistrée nous expliquait de monter à bord des canots de sauvetages. Je m’y suis précipité et j’ai attendu de voir si mon père, ma mère et mon petit frère me rejoindraient. Ils ne sont jamais arrivés. Une dizaine d’autre passagers a survécu à ce naufrage. Mais pas ma famille ! Alors pourquoi moi ? Pourquoi je n’ai pas eu faim ? Pourquoi je ne suis pas allée avec eux ? Et même, pourquoi je ne suis pas allé les chercher lorsque la sirène a retenti ? Je les ai abandonnés. Je ne mérite pas de vivre. Alors pourquoi je vis ? Qu’ont-ils fait de plus que moi pour avoir ce privilège: être ensemble ? Moi je suis séparée d’eux, je ne suis plus avec eux depuis 365 jours 20 heures et 30 minutes. Je ne les vois plus, et eux ne me voient plus. Pourquoi sont-ils partis sans moi ? Qui a bien pu décider que nous devions être séparés ? Qui a autorisé la mort à ne venir cueillir que l’âme de mon père, de ma mère et de mon petit frère ? Mon âme n’était-elle pas assez méritante ? Était-elle trop jeune ? Alors pourquoi mon frère ? Était-elle trop vieille ? Alors pourquoi mes parents ?
Certaines personnes me disent que j’ai eu de la chance de survivre, mais qu’elle chance ? Moi je ne vois que du malheur, je ne perçois que de la tristesse mais de la chance ? De la joie ? Non ! En quoi devrais-je être heureuse et me sentir chanceuse d’avoir survécu ? ça fait un an maintenant que je me demande pourquoi je ne suis pas morte avec eux. Et cette question m’accompagne à chaque seconde qui me sépare d’eux, à chaque pas qui trace ma route sinueuse dans ce monde de fous et qui m’éloigne d’eux.
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