-Hé ! … Oh !

Mmmmmh, mais silence, quoi.

-Hé, bouge-toi, feignasse, debout là-d’dans !

Bordel, y’s’passe quoi, là ? Quelqu’un tambourine à la porte, y’va finir par la dégonder, s’il continue comme ça ! J’ouvre les yeux, je regarde la porte de ma chambre, nan c’pas possible : elle est grande ouverte. Couloir désert. Je me frotte les yeux, jette un coup d’œil au réveil : 15 heures passées. Je replonge sous la couette en grognant. Le raffut reprend de plus belle, dans mon crâne on dirait.

-Oh, tu t’bouges, oui ? T’as un roman à écrire, là !

La couette vient de voler, emmenée par… rien. OK, j’ai trop picolé hier soir ? L’homme invisible a trouvé le trousseau de clés que j’ai perdu le mois dernier ? Mon éditeur me fait une farce ?

Nan, lui il m’envoie des mails incendiaires avec une deadline, il me rappelle que j’ai signé un contrat, que je me suis engagé à le respecter, il propose des debriefs ou des copil… La couette qui vole c’est pas son style.

Je me frotte à nouveau les yeux, regarde la couverture se plier toute seule au bout de mon lit, et s’enfoncer délicatement, à peine, comme des… empreintes de pas ? Minuscules, alors. Je plisse les paupières, décidément je vois rien. J’hallucine, ça doit être ça…

-Non, tu n’hallucines pas… Enfile tes lunettes, Trouduc !

La voix, en tout cas, est bien là. Je tâtonne sur le meuble de chevet, fais tomber une pile de bouquins au passage, finis par mettre la main sur mes lunettes. Je les pose sur mon nez, les retire aussitôt pour y souffler un peu de buée et les essuyer sur le drap. Ah ouais, ça va mieux, dis donc ! Le brouillard s’est levé, d’un coup !

-Ben c’est pas trop tôt !

La voix ronchonne, maintenant.

-Tu vas me faire le plaisir de boire un grand verre d’eau, ça va t’hydrater le cerveau et te réveiller un peu, t’as du boulot ! Quoi que, dans ton cas, je me demande s’il faudrait pas carrément le tuyau d’arrosage…

Ah, ça y est ! Je la vois ! Assise sur le bout de mon lit, là : une petite créature minuscule. Avec un long nez, ça doit lui faire mal aux cervicales, porter un truc comme ça, nan ? Une robe affreuse. Rose…et un chapeau pointu assorti, posé un peu de travers sur ses cheveux blonds. J’ouvre des yeux ronds, retire mes lunettes, les remets, nan elle est toujours là.

-Ben oui je suis toujours là, tu crois quoi ? Allez, debout !

-Mais… t’es qui, toi ?

-Ah ben ça y est, tu causes ! Je te croyais muet. Je suis la fée Inspiration.

-La fée… mais bien sûr… et la marmotte elle met le chocolat dans le papier d’alu…

-Ben oui, tu crois que c’est qui, sinon ?

Elle me regarde comme si j’étais un gros demeuré.

-Effectivement, on peut se poser la question, c’est légitime, tu ne crois pas ? Tu es un peu long à la détente, comme garçon, tout de même…

Et maintenant, elle se fout de ma gueule !

-Ah non, ça c’est pour quand tu auras dégringolé du lit.

-Ben j’ai pas l’intention d’en bouger, de mon lit !

Pas le temps de finir ma phrase, badaboum, le matelas semble monté sur ressorts, et moi je me retrouve sur le plancher, avec l’autre qui se gondole en voletant autour de ma tête. J’explose :

-Mais qu’est-ce que tu veux, à la fin ?

-Que tu te lèves et que tu écrives.

-Ben j’y arrive pas. Le syndrome de la page blanche, tu connais ? J’ai pas d’inspiration, en ce moment.

-Tu te moques de moi, là ? Avec toutes les idées que je te file ?

-Elle sont moisies, tes idées, je peux pas les mettre dans mon roman !

-Pas dans celui-là, non. C’est pour les suivants. Bosse, un peu ! Moi je te file les idées, mais si je dois te les écrire en entier, tes chefs-d’œuvre, tu seras mignon de penser à mes droits d’auteur…

Bon, pas le choix, va falloir que je m’y remette… Cafetière, sucre, tasse, check. Crayons, carnet, dictionnaires, check. Bureau, chaise, ordinateur, check.

Au boulot.

Ah merde, elle est encore là. Perchée sur l’écran du PC. Elle me surveille, en plus…