La traversée de la Yougoslavie...

7 minutes de lecture

Lundi 3 Août 1970 :

 Bien "plombé" par le café turc, nous voilà tonifié pour reprendre la route … A 8 heure, nous quittons Zagreb à destination de Belgrade distant d’un peu plus de 400 km. C’en est fini de la belle grande route, car les tronçons asphaltés alternent avec de la route poudreuse et nous rencontrons de nombreux chantiers… Poussière indescriptible sur les routes caillouteuses… Il faut être vigilant car, il n’est pas rare que la chaussée soit encombrée de divers obstacles  tombés des camions qui cahotent dangereusement sur d’incontournables « nids de poule » : chiffons, cageots, barre de fer … La conduite tient du « Jim Kana » … Notre progression s’effectue à vitesse réduite … parfois nous ne pouvons pas dépasser les 40 km/h sur de longues distances… le trajet nous parait interminable …

Vers 11h, nous faisons un arrêt pour laisser refroidir les moteurs. Il fait chaud, plus de 32° à l’ombre ! Depuis Zagreb, nous avons parcouru 178 km effectués en 2H50… On se désaltère et on croque quelques friandises avant de reprendre la route…  

15H… nous arrivons dans la capitale yougoslave (2252 km de notre point de départ. Court arrêt pour faire un peu de ravitaillement en vivres. Nous découvrons avec stupeur qu’en centre-ville, Belgrade possède des magasins de luxe : fourrures, bijoux, articles de mode, parfumerie, situés dans des galeries marchandes en sous-sol … En surface, il y a moins de vitrines et les bâtiments sont plutôt d’un gris sinistre (en tous cas, c’était ainsi, dans le quartier où nous nous étions arrêtés…) Nous ne restons pas trop longtemps dans cet environnement peu familier et filons plus au sud, parcourant encore une quarantaine de kilomètres avant de nous arrêter pour faire une toilette sommaire dans un petit village … Ralja…  

Nous allons de surprise en surprise dans ce pays, cette fois nous tombons sur un Yougoslave qui parle parfaitement le français, il nous propose d’entrer chez lui (chez ses parents) pour faire notre toilette à la pompe dans le jardin … Stupéfaction … Un cabriolet Mercedes 190 SL immatriculé « 75 » trône dans la petite cour. C’est la voiture du jeune yougoslave qui nous dit être en vacances, car il vit et travaille à Paris  … Il nous apprend que 30% de la population yougoslave travaille en France… Ah bon !... (Enfin, c’est lui qui l’affirme … Nous sommes en 1970 … Si ce n’est l’eldorado, il en demeure que la France est un véritable paradis pour ces gens de l’Est …) 

En tous cas, le jeune actionnant la pompe et nous, à nous asperger d’eau, nous font le plus grand bien, car il fait très chaud et nous sommes harassés par les kilomètres parcourus en grande partie dans la poussière…

  Nous remercions vivement notre hôte puis reprenons encore une fois, la route pour nous arrêter une vingtaine de kilomètres plus loin et faire une halte campement pour la nuit dans un champ au bord d’une petite route (Nous avions quitté l’autoput juste avant …)   Il est 17H45 et nous sommes à 2317 km de chez nous… Nos compagnes préparent le repas du soir : riz courgettes accompagné de saucisses et fruits… on dévorerait bien n’importe quoi … Je suis hagard et m’étale dans un fossé ivre de fatigue… Tout en mangeant, nous évoquons les péripéties de l’étape, depuis le camp précédent en Autriche et nous trouvons encore la force de nous faire rire… Un jeune couple de Yougoslaves, dans une carriole tirée par un cheval, vient à passer, ils se laissent gentiment photographier… ce n’est pas le cas des tziganes, il y en a beaucoup dans ces petits villages qui, eux, refusent qu’on les prennent en photo… A 20H30, nous entrons dans les tentes … Nous ne tardons pas à nous endormir…  

 

Mardi 4 Août :

6 H… Réveil après 9 bonnes heures d’un sommeil de plomb… Le soleil est déjà chaud … Je précède mes compagnons et saute sur le toit de l’Anglia, pour préparer un café dans les hauteurs, assis sur l’une des cantines, le réchaud, devant moi, sur l’autre  Le jus prêt, j’appelle à la cantonade et me fais un plaisir de servir mes amis du haut de mon perchoir… Anne-Marie commente sur le carnet de bord : «  Patrice est sur un volcan, il fume près de la réserve de gaz » Ah oui, c’est vrai, les cartouches  "camping-gaz"  sont dans la valise métallique entre les deux cantines, j’avais oublié… Saute qui peut !...   Rassurez-vous, tout se passe dans la bonne humeur matinale et là, sur le toit de ma voiture pour épater la galerie, je m’imagine grand cow-boy drivant une diligence avec lasso et winchester…« Buffalo grill » bien avant-gardiste !...  

Pliage du campement et, à 7H10, c’est reparti … Environ 50 km plus loin, arrêt dans un garage station service pour y faire vidanger les deux voitures (Petit détail qui a son importance : nous avons notre réserve de bidons d’huile moteur, tenant compte des recommandations faites dans les guides de voyage qui spécifiaient que l’huile moteur de certains pays que nous allions traverser, n’était pas de bonne qualité …) Ainsi cette première vidange ne nous coûte que la main d’œuvre. Les patrons de la station sont très aimables … Arrivent deux motards, policiers de la route, dont les montures sont incontestablement d’un autre âge… leur casque aussi (En cuir, type aviateur des années « 30 »…) Ils n’ont pas mis le pied à terre que déjà, ils fondent sur nous ??? Arrivé à ma hauteur, le premier me sort toute une diatribe dans une langue que je ne comprend pas… Je le regarde avec un air aussi étonné que navré… Silence... puis, avec ses doigts, imitant une paire de ciseaux, et en me fixant droit dans la barbe, il me fait : "couic- couic - couic" … Nous éclatons de rire… et lui aussi… Son collègue dit : « pop » et pointe son index sur mon ventre… Pop ?... Ah oui ! Yes (essayons en anglais …) yes ..I’m a Pope a great Pope … in holydays…  Alors là, c’est la grosse marrade …  Les deux policiers, eux, se sont moins esclaffés que nous… ils sourient étrangement puis apercevant les voitures dans le garage … «  Franssteee ?... Oui, nous sommes français !…ils nous font comprendre qu’on leur présente nos passeports… nous leurs montrons donc… lecture pour eux… attente pour nous… le temps passe. Enfin, ils nous restituent les passeports puis, en souriant, à mon intention, juste avant de tourner les talons ils me refont le coup du « Couic – couic » … On s’abstient bien de rire, cette fois… Ils repartent dans une pétarade qui nous soulage …   8H30, nous quittons le bourg de Plana où nous avons fait la vidange de nos voitures … En sortie de village, nous nous égarons et faisons un détour pour regagner l’autoput. Sur une vingtaine de kilomètres de part et d’autre de la route s’étendent des camps tzigane... Impressionnant : des roulottes, des chevaux, des tentes, des caravanes avec autos, autour, des groupes de tziganes, leurs enfants qui courent le long de la route dont certains qui nous font des signes de la main et, cela, sur des kilomètres…

11H : nous arrivons à Nis. Ville à l’allure méridionale, bien plus accueillante que Belgrade. Il y a quand même encore pas mal de portraits de Lénine sur de grandes affiches… Nous cherchons une banque pour changer quelques dollars contre des Dinars… Sur un boulevard, voilà que Daniel se fait héler par son nom… ce sont des Français, des connaissances à lui, du département de l’Orne… on bavarde un moment ensemble. Eux, participent au raid « Citroën » Paris–Kaboul ; ils voyagent en « Méhari » et en fourgonnette 2CV … le monde est petit !… Effectivement, sur notre route, nous avons trouvé, roulant dans le même sens, bon nombre de 2CV et autres petites Citroën avec une joyeuse jeunesse à bord… De Nis, ils se dirigent sur Sofia en Bulgarie. Nos chemins se séparent là… Il y a plein de militaires qui déambulent dans la ville et souvent, nos compagnes, attirant leur regard, doivent subirent quelques œillades et exclamations dans une langue que nous ne comprenons, fort heureusement pas …  

Ayant quitté la ville, c’est dans un café restaurant en bordure de l’autoput que nous faisons une nouvelle halte à l’heure du déjeuner … Il fait un soleil de plomb … On se demande si, en fait on ingère pas plus de poussière que de nourriture…  Achat de cigarettes infectes … Quel pays !… Au moment de repartir, il y a une nuée de gamins, pieds nus, qui entourent nos voitures, beaucoup ont dans une main un seau d’eau et dans l’autre une éponge. « oune dinar ! oune dinar ! oune dinar ! Crient-ils tous dans une bousculade qui soulève un peu plus de poussière … Ils proposent de laver les voitures… Tu parles, dans 2 kilomètres, elles seront aussi sales ! Ils commencent à passer leurs éponges sur les carrosseries brûlantes. On parvient à les écarter et nous acceptons qu ils lavent seulement les pare-brises. Ils s’y mettent à quatre par voiture … On leur laisse une petite cinquantaine de dinars (Un dinar devait correspondre globalement à 20 centimes de nos francs du moment … pour eux, un dinar est, semble-t-il, une manne précieuse …)   Nous reprenons la route sous la canicule… Nous rencontrons encore beaucoup de gamins laveurs d’autos à chaque traversée de villages… Nous passons non loin Skopje, récente martyre d’un séisme très meurtrier… Les paysages ont changé, c’en est fini avec les plaines arides interminables, nous traversons maintenant des canyons… du coup, on se croirait en Arizona… Nous apprendrons par la suite que de nombreux westerns « spaghetti »  ont été tournés dans cette région… pas étonnant ! … C’est vraiment le dépaysement. Nous franchissons encore des tunnels étroits et sinueux, dangereux à cause des chutes de pierres dont il y a, en pas mal d’endroits, des éclats sur la route… nous avons hâte de sortir de ce dédale inquiétant …   Il est 16H 20 quand nous parvenons à la frontière sud yougoslave. Formalité d’usage et nous voici dans le « no man’s land »  jusqu’à la frontière grecque à 1 kilomètre… Il est 16H30 quand nous rentrons sur le territoire grec à Evzoni. D’après nos compteurs, nous sommes à 2890 kilomètres de notre verte Normandie …  

  à suivre...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Patrice Lucquiaud ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0