Bienvenue à Zombiepolis !
Salut à toi spectateur impromptu. Qu’est-ce que tu viens faire dans mon histoire ? Moi, c’est Chuck Norris. Quoi ? Evidemment que c’est pas mon vrai nom. En même temps, il ne reste plus grand monde qui connait l’ancien. Presque tout le monde a clamsé. Du coup, je m’en fous, je pourrais me baptiser Mère Thérèsa qu’on n’y trouverait rien à redire. A force de tourner en rond tout seul, j’en viens à te parler comme si j’étais dans un putain de documentaire. En tous cas c’est sympa de ta part de m’écouter.
Ça fait un moment que j’ai croisé personne. Mais ça a pas été immédiat. On nous a dit à la télé qu’un consanguin du coin avait bouffé une fricadelle mal cuite, et ça a réveillé un parasite endormi. J’ai toujours su qu’il fallait se méfier de ces cochonneries. Vertiges, fièvre, bave, spasmes, arrêt cardiaque. Une joyeuseté. Et attends ! Je t’ai gardé le meilleur pour la fin ! Le macchabée se relève avec une furieuse envie de te changer en steak haché. Ou en fricadelle, vu qu’on est dans la région. Une espèce de fricadelle-ception. Un mec ingurgite de la viande avariée, il se transforme en viande avariée et ensuite veut te bouffer.
Ils ont d’abord tenté tout un tas de trucs arbitraires du genre « si vous portez un masque, vous avez moins de risques de mordre quelqu’un quand vous revenez », « la distanciation sociale évite les morsures accidentelles ». Mon cul : en moins de six mois, toute la France a été zombifiée. Pour les autres pays je sais pas. Sûr que les richoux de Monaco et du Luxembourg ont dû se planquer dans des bunkers au Groenland ou que-sais-je. Et le pire, c’est qu’il est possible que les connards du show-biz aient trouvé un moyen de se mettre à l’abri. Dommage, j’aurais bien aimé voir un Hanouna-zombie. Il aurait p’t’être même été plus drôle.
Au début, c’était rigolo, on nous forçait à rester chez nous, et j’ai fait que jouer à la console pendant un mois. Mon appart c’était ma petite carapace à moi. Et puis c’était devenu franchement inquiétant d’aller faire des courses, alors je limitais les sorties. Je croisais encore un peu de monde, puis de moins en moins, puis pratiquement plus que l’armée qui tenait tant bien que mal les macchabées en respect. A un moment il était quasiment impossible de trouver une supérette ouverte. J’ai vu aux infos que des émeutes avaient commencé dans les grandes villes. Autant dire que l’infection s’est propagée deux fois plus vite là-bas. Ils ont montré des images d’un concert de Maya Hakimura qui a tourné en bain de sang. En même temps quelle idée débile de maintenir des événements comme ça, vu la situation. « On va pas s’arrêter de vivre » qu’ils disaient. Moi j’habitais dans une petite banlieue dans le Nord de la France, donc c’est resté calme assez longtemps. C’était juste plus difficile de trouver des choses à acheter.
Pas sûr de me rappeler quand ça a basculé. Enfin si, c’est quand le courant a sauté et que la console s’est éteinte. Là c’était déjà un avant-goût de fin du monde. Plus de téléphone, plus d’internet, plus de nouvelles. J’ai été voir mes voisins, mais la plupart était partie se confiner dans le Sud. J’avais la clé de ma voisine, du coup je suis allé piocher dans ses placards et je lui ai laissé un mot. Elle est jamais revenue, pour info. Une semaine plus tard, c’est l’eau qui s’est arrêtée, là je me suis dit que ça craignait.
J’ai cru à un moment que j’allais crever de faim, à deux doigts de valider l’expression gitousse « Et ben mange tes morts ». Et puis je suis tombé par hasard sur la vraie, l’unique, l’originale fabrique de carambars. J’en ai fourré deux kilos dans mon sac à dos. Crois-moi, les blagues pourries, c’est encore plus déprimant quand on est seul à se les raconter. Tiens je vais t’en lire une :
Qu’est-ce que les enfants usent le plus quand ils vont à l’école ? Le prof.
Ahah, purée elle est pas mal en fait.
Quelle tristesse ! Je me destinais à de grandes études et un avenir radieux. Au lieu de ça, j’erre dans les rues d’une ville en décomposition, comme la plupart de ses habitants. Tiens regarde celui-là ! S’il lui manquait pas un œil, on aurait dit le Prince Philip. Mais genre, avant sa mort. Pauvre gars. Enfin, pauvre, pauvre, lui il s’en fout, techniquement il est mort.
C’est pas tout, ça, je devais trouver un truc à boire. Et pour ça, je compte sur la supérette qui fait l’angle de la rue là-bas. Un putréfié m’attend derrière la vitrine.
- Bonjour ! C’est Chuck ! Vous voyez ce zonzon derrière moi ? Il lui manque les bras ! Comme il vient de me porter la poisse, et que je ne trouverai pas de chocolat, je vais lui faire une balayette, et il pourra pas se relever ! Oui c’est sadique, mais comme vous n’existez pas, je m’en fous, je vais le faire quand même !
Oh la vache, il s’est éclaté le front contre le carrelage, ça me rappelle une boîte que je me suis pris quand j’étais môme, je courais à poil dans la maison devant ma mère qui essayait désespérément de me sécher après le bain, j’ai glissé comme un benêt, et je me suis pété le nez contre les carreaux. Je sais pas si ces machins ont mal, mais j’ai presque mauvaise conscience du coup. Attendez, je vais le finir avec un extincteur parce que là il me fait vraiment de la peine.
- Ben oui Gislain, sans les bras, tu peux pas te relever, hein ! C’est qui la grosse la limace qui se tortille comme un asticot ! Ne t’inquiète pas, tonton Chuck va arranger ça !
Et merde, il m’en a foutu plein le pantalon. Rendez service, tiens. Ah, il avait un portefeuille dans la poche. Il s’appelle pas Gislain en fait. Déso Gislain-Damien. Mais bon, tu faisais que me dire « grr grr » aussi, c’est pas une manière de se présenter.
Allez, j’ai mes bières pas fraîches, on va aller se caler dans le palais Rihour pour vider tout ça. Comme tu l’auras compris, cette ville n’a rien d’un parc d’attractions, ou alors si, mais pour un public pas franchement conventionnel. J’en ai connu des gens comme ça, qui auraient pu trouver ça fun. On se parlait pas mal sur Internet, des gens qui écrivaient. Enfin… qui disaient qu’ils écrivaient. C’était plutôt un genre de communauté. Hétéroclite, un peu fêlée parfois. Mais on se marrait bien. C’est fini tout ça. Maintenant, j’aurai du bol si je trouve un pigeon voyageur, et encore, il me faudrait un correspondant. Et puis c’est pas un de ces cerveaux mous qui va m’écrire des trucs poétiques du genre « Le fantôme de son amertume hantait encore sa bouche. ».
Pourquoi j’ai pensé à cette phrase en fait ? Peut être à cause de la puanteur de la cervelle liquéfiée de Gislain-Damien. Tiens, quelqu’un a laissé un mot dans mon spot de picole préféré. Peut être que les cadavres de bibine l’ont inspiré ?
Si tu es encore vie, nous pouvons nous aider. Retrouve-moi au pont Napoléon au lever du soleil.
Maaaaaaais bien sûr. J’ai à peu près autant confiance que si je traversais Barbès avec une liasse de billets à la main. Enfin le Barbès d’avant. Oh purée maintenant que j’y pense, ça a dû être l’orgie à Barbès après l’infection.
Comment je dois prendre ce message ? La personne fait le pied de grue tous les matins au pont ? Ça ressemble encore plus à un piège qu’un frère Bogdanov à l’autre. Après, soyons honnête, je m’ennuie sec. Et ça me fera du bien de parler à quelqu’un. Par contre, le soleil baisse, et les zonzons sont bien plus guillerets la nuit, donc, excusez-moi, mais il faut vraiment que je me trouve un endroit pour pioncer.
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Il est pas loin de trois heures du matin. En fait j’en sais rien, ma montre s’est arrêtée sur deux heures quarante-cinq depuis presque un mois, en général j’ai envie de pisser vers trois heures. Je fais le malin, mais en vrai c’est pas encourageant d’entendre les hurlements des bouffeurs de fricadelles vivantes dans l’obscurité. J’ai déjà rêvé plusieurs fois qu’un décomposé me mordait la teub alors que j’étais en train de pisser derrière un buisson. Je me demande ce que Freud aurait eu à dire à ce sujet ? « Vous êtes amoureux de votre mère morte, et vous voulez accomplir un acte sexuel avec son cadavre ». Quel taré celui-là. Rho la dégaine qu’il aurait eue Freud-zombie, avec ses petites lunettes de pervers et son trois-pièces. Mais je crois qu’il est mort depuis trop longtemps. Il est mort quand, au fait, Freud ? Sans Wikipédia ma culture s’étiole rapidement. Je suis presque fier de me rappeler du verbe étioler.
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Le soleil commence à apparaître. Je n’ai pas franchement bien dormi. En fait je me demande qui je vais trouver sur le pont. Une espèce de Negan qui va faire de moi son esclave ? Un paumé comme moi qui cherche juste des potes ? Une nymphette en petite tenue ? Quoi ? On peut rêver non ? Et puis en quoi c’est moins crédible qu’un personnage de série télé ?
Chut ! Tais-toi, quelqu’un approche ! J’essaie de l’apercevoir depuis derrière les chiottes publiques. C’est pas très malin de ma part vu qu’il y une grande esplanade à découvert dans mon dos. En même temps, j’ai croisé personne de vivant ou mort depuis presque une semaine, à part Gislain-Damien. Mais c’est comme les MST, il suffit d’une fois… Je suis à la fois impatient et inquiet pour tout te dire. Pour la rencontre, pas pour les MST. Et toi spectateur de mon esprit aliéné, tu t’attends à quoi ?
La réponse arrive d’un pas léger. C’est une jeune femme qui s’approche du pont. A ses côtés un doberman patibulaire. Effectivement, le molosse doit donner un sentiment d’assurance. Et puis on est dans le Nord, pas à Chicago, c’est plutôt calme niveau armes à feu. Elle porte à ses yeux une paire de jumelles. Qui a encore des jumelles, sérieux ? Ça a l’air d’être du matos solide en tous cas, du genre militaire ou de chasse.
Allez, elle s’apprête à repartir, on fait quoi ? Est-ce qu’il vaut mieux se faire attaquer par un doberman ou un zombie ? Ou crever seul comme un con, peut-être en tombant d’une échelle ou dans un escalier ? Si tu as pas le courage d’y aller moi j’y vais !
- Bonjour, il y a quelqu’un ?
Mince, est-ce que j’ai encore parlé tout seul ?
- Je vous ai entendu derrière les toilettes !
Et merde.
- Bonjour, j’ai trouvé votre message dans le palais Rihour…
Je sors de derrière mon abri de fortune avec les mains levées. Tu y crois, toi ? Je me sens vraiment con, du coup je les remets rapidement dans mes poches.
- C’est toi le buveur de bières ?
- Heu, oui… Je ne savais pas trop sur qui j’allais tomber.
- Comment tu t’appelles ?
- Chuck, heu… Martin.
- Enchantée Martin, moi c’est Sandrine. Tu as bien fait de venir !
Son chien me renifle de partout l’air suspicieux. Il marque une pause sur mon entrejambe en grognant. Finalement ce n’est peut-être pas un zombie qui va me bouffer la teub.
- Je me suis installée dans la citadelle là derrière, il y a des murs assez haut, on y est tranquille.
- Comment tu es entrée ?
- Mon père est, enfin était dans l’armée. On s’y est réfugiés rapidement. On était une vingtaine au départ, maintenant ils sont tous morts. C’est réconfortant de voir un visage humain. Tu as quel âge ?
- Vingt-deux, et toi ?
- Trente-cinq.
Elle est franchement baraquée de près, et me dépasse d’une demie-tête. Je sais pas pourquoi je pense à Adam et Eve, et à la gueule qu’il aurait tirée si son papa barbu lui avait envoyé une amazone d’un mètre quatre-vingt-cinq. Elle soupire.
- Ça n’a plus rien à voir avec la ville que j’ai connue. C’est vraiment devenu le Lille des Morts.
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