La Renaissance d'un vieillard
Vêtu de sa tunique de vert profond, le vieux débris qu'était Ryu quittait la barque qui l'avait mené jusqu'à la région isolée, la terre des anciens. Une île où reposaient, selon les légendes, les plus emblématiques figures du monde.
Comme le voulait la tradition, une parure de couleur était à porter pour pouvoir pénétrer le sanctuaire des anciens. Ryu ne connaissait que peu ce monde mythique séparé de l'humanité par des murs et des cyprès, mais on lui avait compté nombres de récits à son sujet qui avaient attisé son désir d'en percer les mystères.
Il s'engagea dans le jardin de l'île, le préambule d'un monde aux antipodes de ce qui se faisait ailleurs. La végétation abondait, envahissant les lieux dans une pagaille étrangement ordonnée. Tels des habitants en fêtes souhaitant la bienvenue aux nouveaux arrivants, les majestueux arbres, entourés par de somptueux arbustes, traçaient une haie d'honneur pour Ryu. Frottant avec curiosité sa barbe, il admirait les lieux, fasciné par ce qui ne représentait que le haut de l'iceberg qu'était l'île.
L'entrée se dévoila alors à lui, magnifiquement taillée dans la roche, comme si elle l'invitait à explorer les entrailles de cette citadelle plongée dans le mystère.
Quand il pénétra ce portail, frontière entre le monde du commun des mortels, et celui des anciens, le vieillard fut alors frappé de stupeur, par la vision absurde qui s'était présentée à lui.
Un jardin suspendu, un mont escarpé parcouru par des veines de magma, une cité perçant les cieux et un étrange labyrinthe prit dans une nuit fictive lui apparurent. Sans frontières pour en tracer les les transitions, des territoires se mélangeaient avec une harmonie émouvante.
Chacunes gentiment installées dans leurs mondes respectifs, des bêtes radieuses, auréolés d'une sagesse palpable, aussi tangible qu'un tissu caressant la peau, arpentaient les territoires qui leurs étaient échus.
Un caracal au poil doré et chatoyant gravissait d'un air grave et contemplatif les marches de ses cités antiques, avançant à pas de loup au milieu de ces vestiges. Ces vertigineuses ruines libéraient tel un parfum l'odeur de l'ancienneté, comme un fromage ayant atteint le sommet de sa quintessence.
Ryu reconnu sans peine ce transfiguré aux oreilles fines, aux pattes musclées, qu'il avait croisé en des temps reculés, dans le monde des mortels. Il y a longtemps, caracal cherchait un endroit, une terre d'accueil où errer et étaler sa pensée et ses idées. Ryu lui avait donc suggéré de débuter le voyage jusqu'à l'île où peut-être cet artiste trouverait ce qu'il cherchait.
Le vieillard ne put s'empêcher un sourire à la vue du félin changé, plus libre qu'autrefois, dans ces contrées sont-il avait fait son chez-lui.
En sortant de sa torpeur, Ryu remarqua alors, alors qu'il émergeait de la lave, les écailles couvertes de marque rougeoyantes, un komodo. Malgré la vision de terreur que le reptile à la cuirasse presque violacées inspirait, il irradiait d'un aura de souverain en ces lieux en proie à la violence de la nature.
Le vieil homme put distinguer des roches taillés en lances et en lame, éparpillés de façon erratique à travers la montagne volcanique. Le komodo traversait ce champ de bataille avec aisance, se frayant un chemin à travers cette toundra plongée dans les flammes, impitoyables et mortelles.
À travers la pénombre, alors qu'il plissait les yeux, le regard de Ryu aperçu alors le poil soyeux et fourni d'un lama. Sous la lumière vascillante d'un lampadaire défectueux, il peignait avec passion des tableaux. De ses coups de peintures, il récréait les courbes aiguisées du Komodo, transmettait la douceur et l'innocence d'un hérisson, et la férocité virile du caracal.
Une chouette et même un ocelot venaient s'ajouter à cette somptueuse composition qui n'avait pas la prétention d'égaler ses modèles. Le lama ne voulait pas imiter, juste transmettre ce que lui inspirait ces figures, caractérisées d'une main de maître par son coup de pinceau.
Un grognement attira alors l'attention de Ryu qui leva les yeux en direction des jardins suspendus, reliés au sol par des escaliers en colimaçon. Immaculés, ces chemins vers un monde tourné vers les cieux semblaient inviter l'aventurier qui sommeillait au fond du vieillard.
Malgré son âge avancé, il gardait un profond attachement vis-à-vis de ce concept qui avait dicté sa philosophie il y a longtemps. Ryu se décida alors à monter, avançant marches par marches, ces escaliers jusqu'à arriver au sommet.
Là, une intense bourrasque lui souffla au visage, et une langue sophistiquée, un franc parlé et une convivialité d'un style encore jamais entendu, pénétra ses oreilles. Un ours aux yeux bleus, affalé sur un tapis de fleurs, les yeux mi-clos, grognait à l'adresse de ses camarades, il narrait les contes d'un monde qu'il avait façonné de ses pattes, taillé de ses griffes.
D'autres bêtes écoutaient avec attention sa voix caverneuse mais apaisante qui mit bien vite Ryu à genoux. Le caracal et le komodo étaient là eux aussi, mais ils se mélangeaient à cette assemblée disciplinée pendue aux lèvres de l'imposant mammifère.
La chouette, posée sur une branche, un loup au pelage neigeux, un ocelot au regard pénétrant et même un bonobo étaient réunis au sein de cette table ronde. Tous différents, mais comme liés par un fil rouge invisible, que Ryu ne manqua pas de remarquer.
Son cœur de serra à la vue de cette troupe, cette famille unie par ce que dans le monde des mortels, on appelait la Passion. Le vieillard resta à l'écart du groupe, écoutant avec le coeur, alors que l'histoire finie de l'ours passait sous l'analyse de ses sages compagnons.
Chacun offrait son point de vue, débattait avec son voisin dans un joyeux désordre qui ne manqua pas de le faire sourire. Puis ce fut au tour d'un autre membre de l'assemblée de raconter son odyssée, que ses camarades prirent tout autant de plaisir à entendre.
En un battements de cils, tout s'était terminé, et chacun était alors retourné dans son monde, alors que Ryu restait là à fixer l'ours à moitié endormi. Le vieillard trépignait d'envie de connaître la suite de cette aventure, de tirer des narines de l'animal les secrets d'un monde dont lui seul connaissait la profondeur. Mais il était trop tôt. L'ours était entré en hibernation, et seul l'avenir connaissait le jour où son grognement sage viendrait répandre de nouveau les péripéties des Égarés.
Alors que sa main allait, une fois encore, palper sa barbe, tant il était stupéfait, le vieillard se surpris à ne sentir qu'un léger gazon de poils grisâtres. Son regard s'attarda sur l'étendue d'herbes et de fleurs qui avaient alors accueillis la sage assemblée, comme si une révélation l'avait frappée. Le monde des mortels l'avait vieilli, mais au fond de lui, une flamme de jeunesse brûlait encore, et la vue de cette assemblée de transfigurés l'avait attisée.
Le temps passait différemment ici, tantôt à vive allure tantôt lentement, au gré des moments. En un rien de temps la merveilleuse ménagerie se rassemblait de nouveau, dans un cercle parfait, laissant pourtant toujours une place à quiconque voudrait s'intégrer. Un nouvel orateur venait sans cesse renouveler l'effervescence qui croissait au fil des contes et des débats.
Le fil rouge de la passion vint alors se saisir du vieillard devenu cinquantenaire. Son corps devenu plus léger, moins pesant, se mit naturellement en mouvements, impatient de rejoindre l'assemblée des sages. Il s'assit, et tendit simplement l'oreille, appréciant le voix intense et profonde du caracal qui subjuguait une fois encore son audience.
Ryu sentait les évocation du félin prendre forme, les parfums qu'il mentionnait se créer dans ses narines. Tout était si précis, si fluide, que cela semblait réel. Les autres bêtes elles aussi ne manquèrent pas d'apprécier cette ôde si puissante qu'elle en faisait vibrer les tripes. Puis le caracal mit fin à sa tirade, reçu les éloges qui lui étaient dûes, comme c'était le cas pour tous ceux de cette assemblée, puis les regards se tournèrent vers Ryu.
Sa voix manquait à l'appel, et il se sentait à peine capable de dire quoique ce soit, alors même que tous l'invitaient à passer la frontière des limites, pour pénétrer l'infini monde des mots. Les mains tremblantes, le cinquantenaire vit alors ses cheveux blancs diminuer, et ses mains retrouver leur finesse d'antan.
Il prit alors son courage à deux mains, mais en vain, la parole ne venait pas, il n'en avait pas le courage, il ne le pouvait pas. C'est alors que, comme si l'ours aux yeux bleus avait compris ce que traversait ce jeunot des terres de l'imaginaire, il se mit à raconter.
Comme il savait si bien le faire, le gros mammifère se fit alors intermédiaire entre Ryu et les membres de l'assemblée. Avec une diligence admirable, sans fautes ni écarts, l'ours à offert au reste du groupe, les mots du jeune garçon. C'était une décision purement arbitraire de la part du mammifère, parce qu'aucun de ceux venant s'assoir au sein de ce cercle n'était abandonné. Alors l'ours remuait ses lentes mâchoires avec autant de vigueur que si c'était son propre compte qu'il exposait à ses pairs.
Quand le conte prit fin, c'est avec passion que le cadet de la troupe des sages reçu les enseignements de ses aînés. Ils étaient avisés, aimables et justes, à l'image de l'éclatante lumière émanant d'eux.
Tout s'est passé très vite, et en un rien de temps, l'assemblée fut conclue. Pourtant, ce n'était plus un jeune adulte qui se tenait là, mais bien un adolescent. Le monde des mortels lui avait fait oublier ce qu'il était, et ce qu'il possédait.
Il n'était qu'un cadet parmi ctes incarnations de l'altruisme, un individu dont la flamme n'avait connue que peu de chaleur, seulement un blizzard impitoyable.
Ryu resta là, alors que les sages s'étaient de nouveau dispersés, arpentant les milles et une terre de ce monde qu'ils avaient fait leur.
C'est alors, que dans un élan de lucidité, où plutôt dans le but d'exprimer sa reconnaissance, il prononça ces mots avec honnêteté. Lui qui avait si peu fait mais à qui tant avait été offert en retour, il souhaita dire ces mots à ces sages arpenteurs de mondes. Bien que tous différents, ils étaient unis par cette passion qui nourrissait leur flamme commune, et même la sienne.
– À vous tous anciens, je vous dis merci.
Ce texte, plus qu'un conte je le vois comme une manière de vous prouver ma gratitude. À scribopolis, ce serveur si chaleureux qui, je l'estime, m'a redonné goût à l'univers de la littérature. Je me croyais sage, mais en découvrant le monde de scribopolis et ses habitants, j'estime avoir pu me redécouvrir moi même. Redécouvrir des écrivains de talent, et au cœur d'or.
Annotations
Versions