VII

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 Ailia eut un sourire des plus éblouissants.

 Je ne la reconnaissais pas. Mais qui était-elle ?!

– Miss Sherly Meryl ! Une enchanteresse ayant accompli un tour du monde et fraîchement revenue dans notre beau pays !

 Des applaudissements se firent entendre, le public semblait apprécier la nouvelle femme du monde. Dans quel bazar voulait-elle me mettre, enfin, comment allais-je expliquer ce qu’elle faisait à mon bras ? Personne ne pouvait savoir que c’était ma fille adoptive, j’allais devoir rentrer dans son mensonge.

 Qu’est-ce qu’elle essayait d’atteindre avec cette mascarade ? Nous verrions bien, pour l’heure il fallait que je m’emploie à cacher mon trouble, j’interviendrais si nécessaire.

– Cette magnifique jeune femme à l’érudition sans pareille a pu découvrir notre vaste planète et s’abreuver de savoirs occultes et magiques, une authentique magicienne ici ce soir ! Laissez-vous tenter par le sort des cartes, ou bien la lecture de votre avenir dans votre sang ! C’était un imprévu mais quelle heureuse surprise, ce soir, elle montrera son talent ! Mesdames et messieurs, Miss Sherly Meryl !

 Mais d’où allait-elle sortir cette magie bon sang ?! Je ne l’avais jamais éduquée à prédire la bonne aventure. Puis elle me lança un regard, il ne s’éternisa pas mais je savais ce qu’elle voulait me faire passer comme message : « Préparez-vous. »

***

 Etrangement, une petite flopée de dames se pressa autour de « Miss Meryl » – moi qui pensais que ma fille les importunait par son immense beauté, aussi indigne d’être en ces lieux que les putains qui s’occupaient déjà de leurs maris, la gente féminine était vraiment incroyable – bien que certains maris soient resté pour voir ma fille accomplir des miracles, une jolie bande de chiens.

 Une table très éclairée avait été privatisée pour Ailia, des cartes de tarots bien rangées étaient mises en évidence, une boule d’Obsidienne et des pendules ainsi qu’une soucoupe d’eau. Son frère se pencha vers elle et déposa un collier serti d’une grande pierre de la même couleur que les yeux émeraude de ma fille, elle le contempla replongée dans son habituelle détachement, comme envoûtée par l’éclat du bijou, le caressa. Puis la seconde d’après le déposa sur la table devant elle, la main apposée dessus.

 Tandis que la vieille noblesse aigrie et orgueilleuse était restée attablée pour l’enchère, luttant à la tentation de connaître l’avenir et les hommes ne voulant pas succomber sous les coups de leurs épouses jalouses, la salle se divisait pour s’adonner à ma fille ou à la vente. Je restais dans mon coin ne prenant aucun parti.

 Ailia entama sa mascarade.

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– Madame, venez à moi, demanda-t-elle calmement à une lady très maquillée tout en lui prenant la main.

 Elle marqua une pause. Les yeux perdus dans le songe, éteinte comme à son habitude, et commença à faire tournoyer le collier vert au-dessus de l’eau claire. D’où j’étais je pouvais voir la réaction du liquide car la soucoupe était étendue, l’eau prenait une légère teinte violette.

– Oh, vous avez perdu votre enfant il y a trois années de cela, je peux entendre que l’épreuve était horrible pour vous n’est-ce-pas ?

 La lady eut un sursaut et lâcha violemment la main de ma fille, une main devant sa bouche, serrée en poing.

– Votre ancien travail n’a pas dû être de tout repos, mais heureusement un riche noble s’est « entiché », elle articula ce mot après avoir penché la tête vers le liquide violet comme pour mieux saisir ce mot, de votre personne, il vous a sortie de vos ténèbres.

 La femme tremblait de tout son être.

– Taisez-vous !

 Elle avait hurlé d’une voix déchirée, tout en frappant la table de divination avec ses mains gantées. L’eau sombre tacha la nappe. La foule regardait la pauvre femme et murmurait de stupeur sur le passé inconnu d’une ex-prostituée. La couleur de l’eau n’avait rien d’anodin : la couleur d’un avortement.

 La femme s’enfuit en courant.

 Ma fille la regarda partir sans sourciller et jeta l’eau impure dans un bassin à côté d’elle, posé au sol. L’excitation semblait être redescendue après ce spectacle, personne ne voulait voir ses secrets dévoilés au grand jour, bien évidemment. Le chef de l’organisation s’approcha en applaudissant et riant, et pria les convives de regagner leur place pour profiter des enchères, la démonstration était terminée et avait traumatisé assez de personnes pour la soirée, place aux cadavres et aux artefacts douteux, bien moins horribles pour eux.

 Ma fille se leva aidée par son frère. Il l’emmenait vers les coulisses des enchères, derrière l’escalier central, là où la lumière n’était que peu présente. Ailia me fit un signe bref, sa main dans le dos et l’index tendu et fit mine de lancer un regard derrière elle « Rejoignez-moi. ».

 Laisser ma fille avec son bourreau dans l’intimité de l’obscurité, jamais. Je quittai mon siège pour traverser la salle pleine de monde et me rendre à l’endroit maudit.

 Personne dans les coulisses, il faisait sombre et chaud. J’avançais sans bruit, à l’affut du moindre son, retenant ma respiration. J’espèrais qu’Ailia ne courait aucun risque, pourquoi faisait-elle tout ça ? De la magie ? Comment avais-je pu louper ce don tout ce temps ?

 Tant de questions et aucune trace de ma fille. Un corridor reculé du bouquant de la salle principale se dressait devant moi, et une multitude de portes closes. Cet endroit devait coûter une fortune.

 Un bruit.

 Je me figeai.

 Derrière l’une des portes entrouvertes, des voix s’élevaient. Je reconnus la voix de ma fille. Il fallait s’approcher discrètement.

– Tu pensais duper ton propre frère avec ce faux nom Miss Sherly Meryl ?

 Oh non !

– Je suis venue reprendre mon collier, lâcha Ailia, impassible.

– Tu vas reprendre ton rôle ! Sale petite bâtarde, il l’attrapa au menton pour lui faire relever la tête, mais tu es devenue bien belle ma sœur, trop belle même. Tu pourrais me rapporter encore plus d’argent en recommençant à vendre ton corps, celui-là est bien plus appétissant que l’enfant malpropre que tu étais la dernière fois qu’on ne s’est vus.

 Il commença à rire, le salaud. Mon sang bouillonnait tandis qu’il s’approchait de plus en plus d’elle.

– Si tu me laissais tester la marchandise avant que je la mette en vente, hein Ailia ?

 Il la poussa contre un divan.

 Ailia me fixait.

 Merde !

 La statue de la Vierge était dans mes mains. Moi j’étais dans la pièce. Je la sentis fracasser le crâne de l’homme infâme. Le corps s’écrouler lourdement sur Ailia. Ailia restait impassible.

 Comme à son habitude.

***

 Le sang ne se voyait pas sur sa robe rouge si belle, nous étions sortis en saluant les membres de l’organisation qui gardaient l’entrée puis nous étions rentrés chez nous.

 Ailia n’avait pas dit un mot, et serrait dans sa main gauche le superbe collier vert qui scellait sa magie divinatoire.

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