Faute de combattants
Sachant qu’ils n'avaient aucune chance, nous les avons envoyés mourir, porteurs de nos derniers espoirs. C’était la vérité ! C’est notre trahison.
Nous les avons trahis par espoir. L’espoir d’un monde sans eux. Nous voulions qu’ils perdent ce combat, le dernier, afin que soit aussi perdue toute velléité d’autre combat.
Nous avons pris le risque de leur folie, le risque de disparaître avec eux dans l’embrasement. Des enfants ont voulu partir se battre et nous ne les avons pas retenus. Des mères nous offraient leurs fils et nous les avons acceptés, tant que les mères partaient se battre aussi.
Nous les avons bel et bien trahis. Sans remords.
Tous sont morts au combat. Nous aurions accueilli les déserteurs en héros, mais tous ont succombé. Lorsqu'il n'y eut plus un seul guerrier dans nos rangs, les extraterrestres envahissants n'avaient pas subi le moindre dommage. La guerre était finie. Enfin, nous avions perdu.
L'espèce était vaincu, purgée de ses combattants. Nous pouvions nous relever, jeter les bases d’une autre histoire, la vôtre.
En gardant toutefois la trace – cet enregistrement – de ce qui vous a donné naissance.
L’Homme reste Homme.
Alors sachez, vous qui peut-être caressez de nouveau les armes, que vous êtes par avance trahis.
D’autres que nous vous regarderons nourrir votre colère au lait de votre peur. Ils vous regarderont créer les outils du combat. Ils vous aideront, au besoin. Ils vous écouteront théoriser la guerre que vous appellerez défense. Ils ne pourront vous en empêcher car il ne sert à rien d’interdire.
Et quand vous serez prêts, ils vous enverront au combat, puisque vous l’exigerez. Ils vous encourageront, même, comme nous avons encouragé nos morts. Ils vous pousseront à vous dépasser, par loyauté, patriotisme, grandeur… Vous croirez la victoire possible, ce sera votre perte.
Toute victoire est une défaite en germe. Votre puissance sera votre aveuglement, ils y veilleront. Ils pleureront votre mort, parce ce que vous aurez été leurs frères perdus et parce qu’ils n’auront pas su vous éviter le combat. Aucun combat n’a de raison, si ce n’est contre soi-même, pour grandir et non pour détruire.
Si des survivants se relèvent ils raconteront de nouveau cette Histoire. Celle des vaincus qui peuvent enfin vivre en paix, faute de combattants.
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