Chapitre 5 : Le festin

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Léger, il flottait. Pareil à une feuille de tremble, il planait, virevoltait sans que le moindre obstacle ne vienne freiner sa course. Plus rien ne le retenait. Ce qu'il avait pris pour un don du ciel s'était mué en malédiction funeste, mais cela n'avait plus d'importance puisqu'il était libre. Bientôt, ces questions trouveraient leur réponse.

Apaisé, il contemplait le ciel étoilé. Quelle heure était-il ? Peu importe. Sous cette forme, toute crainte s'était envolée.

Bientôt, ses souvenirs refirent surface. Les bons comme les mauvais. Il se vit soigner un pigeon dont la patte avait été fracturée, défendre un ami qui se faisait harceler, réconforter son frère, inconsolable suite à l'échec de ses examens, se disputer avec ses parents et quitter le domicile familial, rompre avec sa copine, apprendre son décès, s'en vouloir à l'excès, pactiser avec le démon, suivre sa partition.

Soudain, l'essence de son être, de ce qu'il avait été et de ce qu'il était devenu, s'alourdit considérablement. Le spectre chuta et traversa, impalpable, les murs d'un petit appartement à l'allure accueillant. Il avait visiblement aterri dans un salon où le mobilier, très chic, contrastait avec la couleur rose fuchsia du papier peint. La pendule, la table, le buffet, et même les chaises étaient constitués d'un bois de haute qualité. Soudain, l'attention de Brandon Collins fut attirée par une vive silhouette bondissante. Cette dernière allait et venait sans discontinuer, se mouvant avec la grâce d'une danseuse étoile.

"Un chaton", se dit-il.

Un chaton noir qui vint trôner sur le canapé de velours. Royal, le félin le fixait adoptant une position de sphinx. Il ne détachait pas ses petites billes vertes de Brandon, semblant s'interroger sur la nature de son nouvel invité. Celui-ci, cloué au sol et incapable de faire le moindre mouvement, pouvait entendre le son étouffé d'une eau déversée, mais c'est sur le reportage de Goodnews TV qu'il se concentra. La reporter Annie Panthers qui apparut à l'écran, était connue pour son élocution tranchante, transformant n'importe quelle anecdote de quartier en véritable évènement national.

— Le tueur qui sévit dans la région depuis maintenant de nombreux mois, a enfin été identifié. Un certain Brandon Collins serait à l'origine de la disparition de six personnes dont Clara, une jeune fille de seize ans.

— Vous m'en direz tant.

— Son modus operendi, que nous ne détaillerons pas à l'antenne, lui a déjà valu le nom de "calligraphe pourpre". Nous n'avions pas connu pareil traumatisme à Goodtown depuis les tristes événements d'il y a vingt-deux ans. Heureusement, ce cauchemar est peut-être enfin terminé, puisque le docteur Steven Marshall, psychologue, s'est mué en véritable héros pour sauver Elyse, étudiante à l'université Goodwin. Il n'a pas hésité à pénétrer dans l'antre de l'assassin et à risquer sa vie pour mettre fin à ses agissements maléfiques ! M. Marshall, comment vous sentez-vous ? Cette expérience n'a pas dû être facile. Comment avez-vous localisé le meurtrier ?

— Je suis épuisé. Je ne l'ai pas localisé. j'ai simplement entendu des cris alors que j'effectuai mon jogging quotidien. J'ai décidé de vérifier si tout allait bien quand je suis tombé sur Elyse.

— Vous dites que Collins s'est échappé malgré la blessure que vous lui avez infligé.

— C'est exact. je pense qu'il n'a pas dû aller bien loin. Je n'avais malheureusement pas la force de le poursuivre, j'ai donc préféré veiller sur la victime.

— Une victime qui nous a transmis des propos incohérents, affirmant que l'assassin était mort avant de disparaître mystérieusement. Nous savons qu'elle a été droguée, mais en tant que psychologue qu'en pensez-vous ? Que pourriez-vous nous apprendre à propos du comportement du tortionnaire ?

— Comme vous dites, elle était sous l'influence de substances hallucinogènes et, bien sûr, le choc et la fatigue ont également pesé sur son esprit. Collins était un déséquilibré comme il en existe, hélas, partout. J'aurais aimé être en mesure de lui apporter mon aide.

— Merci docteur, vous faites honneur à votre profession. Revisionnons maintenant l'interv...

— Ils n'y vont pas de main morte n'est-ce pas ?

Brandon ne s'était pas rendu compte de sa présence, si bien qu'il sursauta lorsqu'Amy se manifesta. Elle portait un peignoir de bain d'un blanc immaculé. Sa chevelure flamboyante s'en retrouvait délicieusement mise en valeur. La démone croqua la poire qu'elle avait en main et en proposa à Collins.

— Non merci, je préfère les pommes dit-il, souriant à peine.

Amy haussa les épaules et engloutit le reste du fruit. Elle rejoignit ensuite son chat qui se fit câliner sans retenue. Ennuyé par cette démonstration enfantine, Brandon poursuivit.

— Est-ce qu'un fantôme peut manger de toute façon ?

— Aucune idée, c'était l'occasion de vérifier ! répondit-t-elle sans cesser de dorloter l'animal. Celui-ci cherchait à fuir l'affection dont il faisait l'objet, en vain.

— C'est donc là que tu habites ? Je m'attendais à quelque chose de plus lugubre.

— Tu as l'esprit trop fermé. Te souviens-tu de la fois où tu as essayé de me faire fuir à l'aide d'une simple croix de bois ?

Elle s'esclaffa, abandonnant "sa peluche" d'un noir de jai qui détala aussitôt, puis s'approcha de l'otage, plongeant son regard dans le sien.

— C'est donc ainsi que tout prend fin.

— Je suis désolée, j'aurais aimé qu'il y ait une autre issue. Tu as une dernière volonté ?

Elle s'approcha plus avant, agrippa ses épaules, huma son odeur. Il inspira profondément, détendit ses muscles, ferma les yeux.

— Non, je n'attends plus rien de toi.

Amy aspira l'âme de Brandon, le processus ne dura qu'une dizaine de secondes pour elle, mais s'éternisa pour l'autre. À mesure que le démon se délectait, insatiable, de sa pitance, la douleur et le désespoir de sa victime grandissait. L'incontrôlable Frénésie se mêlait à de pitoyables plaintes pour former une inaudible cacophonie. Elle avait satisfait son appétit, il avait été détruit.

Nous sommes le 22 décembre, il est deux heures trente-deux du matin.

Satané journalistes ! Que je les hais, comment ont-ils su ? Ils sont arrivés en même temps que les autorités... Même la victime a eu droit à son interview, c'est inconcevable. Par chance, j'ai pu cacher la vérité et dissimuler le sac de Collins avant leur arrivée, j'irai le chercher quand toute cette agitation sera un peu retombée. Un héros ? Sans blague... J'en tremble encore, mais je ne pouvais plus rien pour lui, il a eu un éclair. Quelque chose ne tourne pas rond chez moi, je ne suis pas fatigué. En même temps, ce fut une journée éprouvante, de quoi être en émoi. Je sais que ça ne va pas, mais c'est normal, j'ai affronté l'épouvante ! Bon sang, combiner boulot et tueur à gage pour un démon ne me réussit pas. Même mon écriture est étrange. Une bonne nuit de sommeil me ferait le plus grand bien.

Alors que je remplissais mon journal, mon téléphone se mit à vibrer. Je pouvais compter sur les doigts d'une main les personnes susceptibles de m'appeler à une heure si tardive. Ils n'étaient que trois, ma soeur et mes parents. Je n'avais pas eu de nouvelles de la première depuis plus de six mois, quant aux seconds, ils n'appelaient que pour les grandes occasions. L'écran indiquait "Myrtille".

— Allô

— Salut frangin, désolée je te réveille sans doute.

Ma soeur était de nature joviale et extravertie, mais c'est d'une voix à peine audible qu'elle s'adressa à moi. Je savais que l'heure n'y était pour rien.

— Que se passe-t-il Myrtille ?

— C'est père... il est souffrant. Il a eu un accident et a été admis à l'hôpital. Je sais que tu ne t'es jamais entendu avec lui, mais mère est effondrée et...

— Je prépare mes affaires et j'arrive.

— Merci Steve, nous t'attendons.

Six heures de vol étaient à prévoir. Rapidement, je me préparai à emporter le strict minimum pour un voyage de cette ampleur, sans me douter de l'importance réelle de celui-ci.

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