Chapitre 8 : La chute du prince

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Ma tête... Bon sang, elle me fait un mal de chien, où ai-je encore atterri ? Je ne vois rien ! Amy ? Tu es là ?

  • Son état se dégrade et son pouls ralenti. Injectez lui...

A qui appartiennent ces voix ? Des médecins. Ce son, constant. Je suis à l'hôpital.

  • D'abord père et maintenant Steve... Ce n'est pas possible, c'est un cauchemar...
  • Calme toi Violette. Tu dois rester forte, plus encore en de pareilles circonstances.

Ces voix... Je les reconnais. C'est Violette, elle est en larmes et ma mère, fidèle à elle-même.

  • Je suis certaine qu'il va s'en sortir, gardez espoir.

C'est Amy, elle discute avec elles. Que leur a-t-elle dit ? Je n'arrive pas à ouvrir les yeux, comment se fait-il que je puisse entendre leur conversation, si je suis en salle d'opération ?

Bon sang, il ne survivra pas à cette allure. C'est comme si son corps était à l'arrêt, il ne réagit pas aux stimulations.

Nous sommes en train de le perdre. Vite

Ces pensées... Surement celles des mèdecins, rassurant. Pas de quoi en faire tout un plat, sèche tes larmes Violette. Je ne meurs pas aujourd'hui, c'est un fait accompli. La mort, ce n'est pas la perte m'a-t-elle un jour dit, c'est l'abandon. On peut dire que dans le domaine, j'ai été un champion. Je faiblis, mon être s'évanouit, mais je ne suis pas à plaindre. J'ai essayé et j'en suis satisfait, il est temps que j'arrête de m'accrocher et qu'enfin j'embrasse la paix.

Un jeune. Arrogant, enquiquinant, mais honnête et puis il m'écoute lui au moins...

Monsieur Marshall m'a sauvé la vie. Pour moi, c'est bien plus qu'un psy.

De nouveau, mon repos est troublé. Monsieur Grey et Julien ? À qui s'adressent-ils ? Ça n'a pas de sens, je deviens fou. Peut-être suis-je en train d'expérimenter le fameux orgasme cérébral précédant la mort. Mes patients... J'en respecte certains, je méprise la plupart. Je les aide parfois, mais souvent, leurs afflictions sont hors de ma porté. J'étais plus intéressé par leurs problèmes que par leur bien-être, quelles erreurs avaient-ils commis ? Comment éviter de finir ainsi ? Leurs déboires, par contraste, illuminaient ma vie. Je ne mérite aucun remerciement. Au bout du compte, je ne suis qu'un homme, un simple enfoiré qui a un jour souhaité s'émanciper. Ha ! Comme les autres, je suis coincé.

J'avais perdu toute notion du temps. Les pensées assaillantes avaient laissé place à un calme olympien, uniquement rompu par le rythme monotone de l'électrocardiogramme. Plongé dans d'insondables ténèbres, mon esprit embrumé était bercé par les tonalités de l'appareil. Celles-ci, de plus en plus lentes, de plus en plus espacées, ne prirent fin que lorsque mon âme s'était libérée.

*

Je fus frappé par une incroyable sensation de liberté ! Délesté de mon enveloppe charnelle, je m'envolai au-dessus de l'hôpital sans même jeter un regard en arrière. Un superbe panorama s'offrit à moi. À cette heure, les rues ne comptaient que quelques fêtards et je pus admirer ma ville natale dans son plus simple appareil. Pour la première fois, je pris le temps d'observer. Je redécouvrais chaque bâtisse, de l'église à l'épicerie, du puits au manoir abandonnée. Chaque détail était devenu significatif. Les lampadaires illuminaient la scène, comblant ainsi l'absence de l'astre lunaire, tandis qu'une pluie battante accompagnait le baisser de rideau.

  • Steve

Qui donc pouvait bien interrompre cet instant, fallait-il que ma mort soit gâchée, elle aussi ? Je me retournai, prêt à foudroyer l'impudent individu qui avait troublé ma contemplation. Ce que je vis m'ôta toute colère.

  • Maria ?
  • Bonsoir Steve, ça fait un bail.

Je n'en croyais pas mes yeux, elle était là. De son corps translucide s'échappait une légère lumière bleue, similaire à celle qui me constituait également. Je restai bouche-bée, ne sachant comment initier la conversation. Elle s'en chargea pour moi.

  • Viens, on va discuter dans un endroit un peu plus chaleureux ! Dit-elle calmement.

En un claquement de doigt, elle modifia notre environnement nous transportant en un endroit que je ne connaissais que trop bien.

  • Tu t'en souviens ?

Quelle question...

  • Comment l'oublier. répondis-je, ému.

Le panorama nocturne de Peakville laissa place à un magnifique couché de soleil. L'hôpital se métamorphosa en un gigantesque sécoya et de l'église, il ne resta que des ruines. C'était maintenant une maison abandonnée. Maria s'assit au pied l'arbre centenaire et m'invita à la rejoindre. Je m'adossai à mon tour et nous fixâmes un instant la bâtisse délabrée. Je brisai le silence.

  • Tu te rappelles quand nous imaginions toutes les histoires sordides qui avaient pu se dérouler là-dedans ?
  • Elle ne répondit pas immédiatement, ses prunelles semblaient perdues face au spectacle de l'étoile mourante.
  • Et comment ! Cette maison stimulait notre imagination... Elle nous rappelle qu'au bout du compte, l'oublie s'oppose toujours à la vie, qu'elle en est son plus mortel ennemi.
  • Dommage que tu aies toujours eu la trouille de rentrer dedans.

Cette fois, j'obtins la réaction escomptée, Maria me dévisagea avant de s'emporter. D'une voix puissante, elle me rappela que de nous deux, c'était moi le trouillard et que lorsqu'il fallait fuir, je me découvrais toujours une forme physique extraordinaire. Nous rîmes comme au bon vieux temps jusqu'à ce que son visage se ferme.

  • Je suis déçue, Steve. Je t'ai observé, tu sais ? Je t'ai vu évoluer et troquer tes vertus contre des vices, je t'ai vu devenir le connard égocentrique, renfermé et aigri qui tu es aujourd'hui. Trop effrayé pour aller de l'avant, trop borné pour sortir de l'ombre. Tu préfères te nourrir de la douleur des autres et satisfaire ta raison bancale !

Elle était en colère, son regard, humidifié par des larmes naissantes, s'était plongé dans le mien.

  • Tu m'en veux de ne pas t'avoir protégé, de ne pas avoir été là quand tu en avais vraiment besoin... Je regrette le choix que j'ai fait ce jour-là.
  • Là n'est pas la question. Je t'en ai voulu, je t'en veux encore, mais cette colère n'est que la manifestation de mon affection. Je te parle de toi, maintenant, qu'importe le passé !
  • Si j'avais été là, si je ne m'étais pas montré si lâche. Peut-être les choses auraient-elles été différentes. Nous avions tant de projets, tant de rêves. Le bonheur nous tendait les bras.
  • N'est-ce pas toi qui disais que le bonheur n'était pas fait pour être atteint, mais pour être pourchassé ?

Je n'avais jamais remporté nos joutes verbales. Qu'importe mes arguments, elle parvenait toujours à retourner mes mots contre moi. Pourtant, jamais la colère n'avait atteint mon esprit, car par sa répartie, elle guérissait mes maux.

  • Nous aurions construit le nôtre ! rétorquai-je vivement.
  • Nul ne sait ce qui serait advenu de nous, cela n'aurait peut-être pas duré. Qu'aurions-nous fait de nos journées ? Toi, peintre bidon, fils de bourge avec moi chanteuse en chausson. Nous étions sans avenir, sans le moindre sous. Peut-être ton père avait-il raison...
  • N'en dis pas plus ! Je t'interdis de continuer. Regarde ce qu'il a provoqué, ne gâche pas ce moment. Cet instant m'est précieux et parler de lui n'a plus de sens à présent. Certes, nous aurions été pauvre, démunie, mais si je t'avais choisi. Peut-être aurai-je vécu heureux et sans soucis, car en dépit de ce que tu dis, l'amour nous aurait souri ! L'amour nous aurait souri. répétai-je, comme pour m'en convaincre.

Après un long silence, Ma bien-aimée retint un rire nerveux.

  • Tu es devenu bien romantique dis-donc !

Elle s'esclaffait pendant que je me confondais en excuses maladroites, mes explications n'avaient pour effet que d'amplifier son hilarité.

Puisque je te dis que je manque de sommeil !

  • Oh à d'autres, ton pitoyable dédouanage ne fonctionnera pas avec moi, tu le sais bien !

Elle posa sa tête sur mon épaule et articula lentement.

  • Pourtant, c'est la mort qui aujourd'hui t'emporte. Tout ce temps, je t'ai observé. Tu erres sans rêve dans ce monde en proie à la folie, accorde une trêve à ton esprit. Je te le demande, vie !

À peine avait-elle prononcé ces mots que le sol se désagrégea sous nos fesses. En une fraction de seconde, je me retrouvai de nouveau sur le toit de la clinique. Maria avait disparu. Je me relevai, abattu avant de perdre haleine devant un spectacle saisissant. Une multitude d'esprits se déplaçaient, tantôt en coeur, tantôt indépendamment les uns des autres. Certains flânaient, d'autres, comme moi, contemplaient. Mais tous finissaient par joindre le point central d'un monstrueux maelström céleste, portail guidant vers un autre monde. Le tourbillon, formé de nuages d'orage, aspirait les âmes par milliers. Je n'en croyais pas mes yeux, j'assistais à une véritable symphonie spirituelle.

C'est à cet instant que je le vis.

Il était différent, j'ignorai ce qui m'avait poussé à regarder en sa direction. Sous cette forme, mon acuité visuelle était décuplée, si bien que même sous l'averse, je n'avais aucun mal à le distinguer. L'ange noir. Il avait initié son ascension à partir du clocher de la cathédrale. Similaire en tout point à un être humain, il ne rayonnait pas comme nous autres esprits, mais était entouré d'une sorte d'aura d'un noir abyssal. J'eus envie de vomir, pourtant, je ne pouvais détourner les yeux de cet être formidable. Nue, l'intégralité de son anatomie était couverte de tatouages. Son physique ordinaire contrastait avec la superbe paire d'ailes qui prenait racine dans son dos, aussi sombre que l'émanation. Elles battaient l'air avec violence, bousculant les âmes qui ne s'étaient pas écartées à temps. Longtemps, il avançait, pourtant, jamais il n'atteignit sa destination. Pour une obscure raison, le gouffre lui était inaccessible, la porte lui était fermée. Avant que je ne pus l'analyser en détails, le tonnerre gronda. Un éclair surgit du centre du tourbillon et frappa l'ange de plein fouet, entrainant sa chute. Celle-ci fut accompagnée d'un cri strident, insupportable. Je m'accroupis, les mains sur la tête. Priant pour que ça s'arrête, quand je me sentis soudain tiré vers le bas.

J'avais retrouvé mon corps.

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