L'ascenseur

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Il est 18h30, ce samedi soir de novembre. Sonia a travaillé toute la journée à la bibliothèque universitaire et rentre chez elle, dans son studio au sixième étage. L'immeuble est vieillot, mais elle loge au chaud sous les toits. Quand elle a signé le contrat de location, son propriétaire lui a dit en riant: "Vous avez de la chance, l'assemblée des copropriétaires a fait passer les travaux d'isolation des combles avant la rénovation de l'ascenseur."

Pour l'heure, Sonia n'a qu'une seule idée en tête: se préparer un plat de pâtes réconfortant. Les recherches pour son mémoire la stressent. Ca n'avance pas et elle s'éparpille dans une mille et une digressions.

Il serait temps que je fixe mon plan et que je m'attelle à la rédaction, se dit-elle en attendant au rez-de-chaussée.

Elle s'engouffre dans la petite cabine, pose son sac à dos au sol et appuie sur le bouton du sixième étage.

Les portes grincent, elles bloquent au moment de se fermer. Mais Sonia connaît l'astuce: Il faut appuyer sur le battant gauche à environ 1,8m du sol, car il est voilé.

Fermeture effectuée. La montée commence lentement. Sonia se demande pourquoi elle n'a pas pris les escaliers. Même avec son gros sac à dos, elle serait plus rapide.

Deuxième étage, Sonia sent un flottement dans la cabine. Le mécanisme s'arrête et les portes s'ouvrent. Personne. Quelques secondes d'attente, puis les battants se rapprochent.

- Attendez!

Un corps se glisse dans l'espace restant.

- Ouf! C'était juste.

- Tu as eu de la chance, Denis! Tu aurais pu te faire écraser. La sécurité ne fonctionne plus.

- Double coup de chance: Tu es là. Ca fait longtemps qu'on ne s'est pas croisés.

Sonia se souvient qu'ils s'étaient rencontrés en boîte quelques jours après la rentrée universitaire, avant de découvrir qu'ils étaient voisins. Ils avaient passé un bon moment et étaient rentrés ensemble ce soir-là, mais chacun chez soi, en se promettant chacun de leur côté d'aller sonner chez l'autre pour apprendre à mieux se connaître.

Il y avait entre eux une attirance qui les rendait maladroits. Ils voulaient l'apprivoiser et prendre leur temps.

Denis lui demande:

- Tu sors aussi?

- Non, je rentre chez moi.

- Merde! Alors, l'ascenseur monte?

- Oui. Enfin, quand j'aurai débloqué la porte.

Dans un même élan, ils posent leur main sur le battant. le contact est électrique. La main de Denis n'a appuyé qu'une seconde sur celle de Sonia, mais elle sent sa chaleur la traverser de part en part et lui brûler les joues.

- C'est plutôt bien qu'on se revoie, reprend Denis. Je veux dire... On pourrait s'organiser une sortie ensemble. Ou si tu préfères, on peut se voir entre voisins.

- Oui, pourquoi pas?

Ils restent silencieux, les yeux dans les yeux.

Nouveau flottement de la cabine à hauteur du quatrième étage.

- Pourvu que personne ne veuille monter... murmure Denis.

- De toute façon, renchérit Sonia, il n'y a pas assez de place.

- C'est clair...

L'espace leur semble de plus en plus petit. Le quatrième étage a été dépassé péniblement. L'ascenseur grince, puis s'immobilise.

- On est bloqués, constate Denis.

- Oh non!

- Ca m'est déjà arrivé, t'inquiète. C'est l'affaire de quelques minutes.

La lumière s'éteint. Sonia tremble.

- Tu as peur?

- Non.

- Tu fais bouger la cabine.

- Désolée. Je ne suis pas rassurée.

Le mécanisme se remet en marche avec un à-coup. Sonia pousse un cri et agrippe le bras de Denis.

- C'est bon, lui dit-il, on repart! Tout va bien.

- Tu es sûr? Et la lumière?

- On ne peut pas tout avoir...

Denis a passé son bras autour du corps de Sonia. Elle choisit de plaisanter pour dédramatiser la situation.

- Je suis ridicule. Si on s'en sort, je t'invite à partager une plâtrée de pâtes

- Si on s'en sort, j'annule mon restau et on dîne en tête-à-tête!

Le mouvement devient poussif. L'ascenseur bloque une nouvelle fois à l'approche du sixième étage. le mécanisme redémarre, force, s'emballe, hurle, et les câbles cèdent. La cabine s'écrase au sol, tuant ses occupants sur le coup.

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