Écrit collaboratif
« Alors comme ça vous êtes amies ? »
Je glisse un regard rieur à Oliphie. Les sièges sur lesquels nous sommes assises sont d'un rouge éclatant, mais trop raides pour être bien installées. De nombreux projecteurs sont braqués sur nous, et la luminosité est difficile à supporter. Les caméras sont aussi tournées dans notre direction et vers notre interlocuteur. Devant nous, la grande table basse en verre distord le reflet des néons au plafond. Sur celle-ci se trouvent, éparpillés pour que les caméras puissent les filmer sans problème, les différents livres des auteurs invités ce jour. À gauche, près du présentateur, notre recueil de nouvelles en langue originale semble se débattre au milieu de cet océan de bons écrits. À côté de tous les autres, j'ai du mal à croire que le nôtre y ait pu faire tant de vagues.
« Oui, en effet. Nous nous sommes rencontrées au lycée et de là nous est venus cette idée.
- Pourtant, vous avez des personnalités tout à fait différentes toutes les deux, et nous le sentons vraiment dans la façon dont vous écrivez. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez fait pour créer ce recueil ?
- Ce n'est pas si complexe que vous le pensez. Nous avons en effet des caractères tout à fait différents... »
Alors qu'Oliphie se lance dans des explications que j'ai maintes et maintes fois entendues, mon regard se perd à nouveau autour de moi. Le sourire forcé du présentateur alors qu'il écoute sans grande joie le discours de mon amie me donne presque envie de rire. Les gens sont tous les mêmes, à se cacher derrière un masque d'hypocrisie et une fausse sympathie. Lui, je suis sûre qu'il souhaite être tout à fait autre part qu'à l'endroit où il se trouve, sur ce plateau télé, à parler d'un livre qu'il a à peine feuilleté. Et Oliphie continue de parler de nos différences, et de ce qui nous unit, alors qu'il écoute plutôt les renseignements qu'on lui transmet dans son oreillette. Quant à moi, le micro que l'on a accroché sur ma chemise me gêne affreusement. J'essaye de l'empêcher d'effleurer ma peau, mais le matériau rugueux et un peu piquant me démange. Alors je prends mon mal en patience et m'oblige à sembler intéressée par ce qui se dit.
Selon moi, nous ne méritons pas tout cet engouement autour de notre œuvre. Les gens ne semblent pas penser la même chose, étant donné l'accueil qu'ils nous réservent un peu partout dans le monde. Cependant, je ne vois pas un si grand intérêt dans ce recueil. Nous avons écrit séparément quelques nouvelles, et par un élan soudain, décidé de les mettre en commun dans un seul livre. Ensuite, nous nous sommes efforcées d’en créer quelques unes en collaboration, ce qui n’a pas été une tâche facile.
« Nous nous sommes rencontrées au lycée, et je n’avais aucun goût pour l’écriture. »
Alors qu’elle décrit rapidement nos années de lycée et celles qui ont suivi, je me mets à penser à cette époque. Je me souviens que la première fois que je l’avais vue, je m’étais dit que je n’allais jamais l’apprécier. Elle était tout le contraire de moi, en apparence, en esprit, et encore aujourd’hui. Pourtant nous nous étions rapprochées. On discutait souvent de notre étrange amitié. Je n’hésitais jamais à lui dire quand elle m’exaspérait.
Tournée vers elle, je souris lorsqu’elle parle des nombreux différents que l’on a essuyé. Je trouve que son côté matérialiste ressort beaucoup aujourd’hui, avec son maquillage détaillé et ses habits de grandes marques. Avec mes vêtements simples, j’ai l’impression de faire tâche sur ce plateau, en glissant un regard sur le costume hors de prix du présentateur.
Je ne compte plus le nombre de fois où nous avons été en conflit, mais nous étions toujours habitées d'un calme certain. Elle est plutôt excentrique, moi réservée. De nombreuses fois nous nous sommes demandé pourquoi nous étions si proches. Au lycée, les délires entre amis nous réunissaient, mais aujourd’hui, nous n’avons pas d’explication.
« Pourtant, voyez où nous sommes ! Ici, à discuter de ce recueil de nouvelles que nous avons eu tant de mal à diffuser ! »
Mon sourire se fait plus grand en entendant la phrase concluant le discours d’Oliphie, qui se trouve être la directe continuité de mes pensées. Je remarque alors qu’en effet, notre amitié est réellement remarquable. Comment deux êtres comme nous ont pu continuer de se suivre au cours des ans, sans que rien ne les rapproche ? Je l’ai initiée à l’écriture, et elle au goût de la mode. Pourtant elle a arrêté d’écrire après la finalisation de notre recueil, et je ne suis jamais retournée faire du shopping pendant des heures. Comment cela est-il possible que nous soyons, là, toutes les deux, devant ces dizaines de caméras ? Les gens connaissent nos différences, mais personne ne comprend. Personne ne nous explique. Et pourtant nous tenons bon, nous accrochant à nos délires de lycéennes. Je crois que certaines choses ne s’expliquent pas.
Les caméras sont toujours braquées sur nous, et la lumière des spots me donne mal à la tête. J’espère que cette aventure ne s’arrêtera pas là.
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