Sasquatch - par Marsh walk
Ce matin-là, je partis à la chasse. Oh, je devine à vos yeux effarés votre mécontentement de lire ce mot : chasseur !
Mais que vient faire ce drôle d’énergumène, ce vilipendeur de vie sur nos textes fleuris ?
Je vous rassure, il ne s’agit pas de la chasse à laquelle vous pensez, loin de moi de vouloir mettre fin à la vie d’un animal quel qu’il soit. Non, je partais à la chasse aux fleurs d’un bois de pins et de hêtres d’une montagne perdue dans les rocheuses canadiennes.
Rien que ça ! me direz-vous.
Oui, pas grand-chose, somme toute.
Pour cela, un guide m’accompagnait. Un gaillard d’une cinquantaine d’années toisant plus de deux mètres, aux yeux bleu vif, aux cheveux et à la barbe hirsute, aux mains caleuses, aux pieds trois fois plus longs que les miens. Bigfoot incarné en homme ! Ou plutôt Sasquatch comme disent nos cousins de là-bas. Cet homme ne disait mot, peut-être le valait-il mieux ! J’imaginai, en voyant sa poitrine se soulever sous sa chemise à carreaux, une voix rocailleuse, forte, tonitruante, apte à déclencher éboulements et avalanches. Donc, il ne parlait pas, tout au plus bougonnait-il quelques paroles incompréhensibles, mais il marchait. Vite. Ses enjambées de géant le propulsaient à une vitesse que j’avais du mal à suivre, moi qui ne suis qu’un humain de taille honorable. Pour vous dire, je courais dans son sillage.
C’est ruisselant de sueur et à bout de souffle que j’arrivai à l’orée du bois.
Monsieur Jielm Fortyseven, puisque c’est comme cela qu’il s’appelle, ralentit et s’arrêta au pied de rochers. Les rocs se dressaient d’une fierté infranchissable, il m’invita à poser mon oreille contre, comme il le fit. J’entendis la terre, l’eau, le vent, je sentis la force mais aussi la faiblesse des éléments, je compris la poussière qui me matérialisait. Je me détachai des pierres, déjà différent. Après quelques pas de plus, Jielm se courba en avant puis tendit son bras et son index. Il montra une première fleur, une Anémone pulsatille, puis une seconde, une Campanule à feuilles rondes. Leur beauté électrifia mes prunelles. Je me dépêchai de sortir mon appareil photo afin d’immortaliser les pétales violets, lorsqu’un bruit attira mon attention. Jielm m’intima le silence en posant un doigt sur sa bouche puis tendit l’oreille. Après quelques secondes, il sourit, me rassurant un brin. Nous nous redressâmes puis reprirent notre avancée. Chaque pas dévoila, une fleur, une herbe, une fougère, un arbuste, si bien que je ne sus où donner du regard. Mon Nikon crépitait. Plus loin, alors que mes yeux fouillaient le sol, une empreinte, suivit d’une autre, firent monter mes pulsations. Je redressai la tête puis déglutis avec peine. Là, dressés sur un rocher, deux yeux jaunes me dévisageaient. Un grognement. La panique me statufia. Jielm s’interposa entre la bête et moi puis s’avança vers elle. La louve partit en courant, il s’élança à sa poursuite. Je fus alors le témoin d’un jeu incroyable.
La rapidité avec laquelle Jielm se déplaça me parut extraordinaire. Il sauta sur le rocher, attrapa une branche, se balança sur un tronc, replia ses jambes, se propulsa dans le sillage de la bête qui hurlait de satisfaction. On aurait dit un danseur prit d’une soudaine frénésie d’exprimer son talent, tant ses gestes semblaient un ballet organisé. Qui l’aurait cru d’une personne de sa corpulence ? La forêt, semblable à une scène, lui appartenait.
La course dura plusieurs minutes au bout desquelles les deux protagonistes se firent faces. La louve, épuisée, se coucha puis enfouit son museau entre ses pattes. Jielm s’approcha d’elle, s’assit à ses côtés puis passa sa main dans le pelage. Il me fit signe de m’éloigner. Sans bruit, je rejoignis la lisière de la forêt puis me retournai. Le soir tombait déjà, nacrant d’obscurité le sous-bois, une fine brume donna un air fantomatique. Devant le spectacle, je me fis l’effet d’un allogène découvrant sa vraie place.
Avais-je rêvé ?
Non !
Deux paires d’yeux, l’une bleue intense, l’autre jaune, percèrent le brouillard à quelques mètres de moi, me prouvant la réalité. Les auras disparurent, happées par les troncs cotonneux. Je souris. Là vivait l’animal, le minéral, le végétal. Tous ne faisaient qu’un. Si Fortyseven ne parlait pas, j’avais saisi son message.
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