Conversation de jardin - par Harold, le gentil jardinier
L’autre jour, en me promenant dans un jardin, j’ai surpris une conversation entre trois jolies petites fleurs. La plus proche de moi était une humble pâquerette annuelle aux délicats pétales bordés de rose, un peu plus loin fixant le soleil, je reconnus une renoncule communément appelée bouton d’or, dont les cinq pétales forment une coupe précieuse. Encore un peu plus loin, mais les dominants par sa taille, j’identifiai un silène, autrement dit un lychnide fleur de coucou.
Les trois commères profitaient d’une éclaircie pour papoter tranquillement.
- Moi, disait la pâquerette, je surgis souvent la première à la fin de l’hiver et, contrairement à ce que certains colportent, je n’attends pas forcément Pâques pour éclore. Mais quand je me décide, j’y vais à fond, je couvre le sol de mes fleurs toutes blanches à tel point que l’autre jour, quelqu’un en ouvrant son volet a crié : "Wow, la pelouse est toute blanche, il a neigé". Je vous l’accorde, il n’avait pas encore du mettre ses lunettes, mais quand même.
- En ce qui me concerne, repris le bouton d’or, j’attends que le soleil soit un peu plus haut dans le ciel pour me révéler. Mais ce n’est que normal puisque je reçois ma couleur de l’astre du jour. Comme lui, j’apporte joie, et douceur, mais aussi énergie, opulence et dynamisme. C’est en cela que je suis la plus belle.
- Pfutt, renchérit le silène. Moi je ne suis pas comme vous à me précipiter pour être la première dans le jardin. Je prends mon temps et j’attends. J’attends que mon ami le coucou commence à chanter pour balancer mes épis de fleurs roses au doux vent de mai.
- Dis donc le bouton d’or, reprit la pâquerette, tu dis représenter la joie et la douceur. Mais qui d’autre que moi est symbole d'amour, d'affection et de tendresse infinie ? Moi, je parle toujours d'amour. N’est ce pas avec mes pétales que l’on joue à "je t'aime, un peu, à la folie ou pas du tout" ?
- D’accord, dit le bouton d’or tu es aussi symbole de l’amour. Mais n’est-ce pas moi que les enfants placent sous le menton de leurs proches pour leur demander tendrement « Aimes-tu le beurre ? ». Et pour cela, ils n’ont pas besoin d’arracher mes pétales !
Le lychnide lassé d’entendre les deux mégères se chamailler relança le débat sur un autre sujet.
- En ce qui me concerne, je suis excellent en salade. Tout est bon chez moi. Mes fleurs ont un subtil goût de thé doux. Mes feuilles sont amères mais suaves. Et vous les filles ?
- Moi, répondit la pâquerette, j’offre mes feuilles dans des salades où elles apportent un petit goût de noisette subtilement poivré. Quant à mes boutons, conservés au vinaigre, ils remplacent avantageusement les câpres. Mais toi, le bouton d’or, tu ne dis plus rien.
- Et non, répondit celle-ci, je ne suis pas très comestible et je dois bien avouer que je provoque des effets toxiques. Mais certaines peuplades m’utilisaient pour guérir les morsures de serpent ou même la variole et la syphilis. Ainsi, je guéris de certains maux de l’amour…
En tout cas, je pense qu’un sujet doit nous rassembler. Je parle du massacre commis par les tondeuses qui nous fauchent sans aucune pitié. - Ah oui, Carrément, tu as raison. C’est un scandale ! renchérirent les deux autres, pour une fois d’accord.
Mais à cet instant je vis sortir de la maison voisine une petite troupe d’enfants qui se précipita sur les trois compères, les cueillirent et en firent un superbe bouquet associant le vert et leurs trois couleurs : rose, blanc et jaune. Les garnements repartirent aussitôt en criant :
- Maman, maman, regarde le joli bouquet que l’on a fait pour toi !
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