Chapitre 1 - Aloïs
Il devait être autour de vingt-deux heures. L’air était frais dehors, pourtant, Aloïs ne tremblait pas. Vêtu d’un simple t-shirt noir avec son prénom marqué sur la poitrine et d’un jogging noir délavé, il marchait en direction de sa maison, prenant le plus de temps possible. Ses collègues du McDonald's étaient tous partis fêter l’anniversaire d’une collègue qui venait de fêter ses 18 ans. Ce n’était pas rien. Mais Aloïs n’était toujours pas assez confiant pour se mêler à ce genre d’événements. Même s’il avouait, parfois, qu’il aimerait, un jour, nouer une vraie amitié avec l’un d’entre eux, pour ne pas finir seul jusqu’à la fin de l’année.
Les lumières extérieures éclairaient faiblement les petites rues par lesquelles Aloïs passait pour rentrer chez lui. Le vent se faisait de plus en plus fort. Il serra son sac de cours contre lui, un sac dans lequel il mettait ses devoirs pour les faire pendant ses pauses. Ses cheveux noirs, trempés par la sueur, lui dégoulinaient sur son visage fin. Alors que sa chanson préférée de Billie Eilish passait dans ses oreilles, il aperçut enfin sa maison. Une petite maison en pierre, isolée du reste du monde, située dans une impasse composée au maximum de cinq bâtiments. Pour pouvoir écouter cette musique avant que le cauchemar ne commence, il s’installa dans l’abri-bus au bout de l’impasse. Il s’assit sur le banc en bois jonché de petites branches d’arbre qui passaient à travers l’abri, et posa sa tête dans ses mains, fermant les yeux.
Il n’avait pas envie de rentrer chez lui. Son père, grand et musclé, le rabaissait, le frappait. Sa mère, ne voulant pas contrarier son mari, se contentait de regarder. Parfois, elle participait même à ces violences, qu’elles soient physiques ou morales. Tout ça, pour quoi ? Il n’en savait rien. C’était comme ça, et il n’imaginait pas la vie autrement. C’était ainsi depuis sa naissance. C’est pour ça qu’Aloïs avait trouvé ce petit job au McDonald's, juste après le lycée. Il voulait rentrer le plus tard possible. Au début, quand ses collègues lui demandaient d’où venaient ses bleus, il ne savait jamais quoi répondre, comme à son habitude. Mais lorsque ce fut son patron qui lui posa la question, Aloïs s’était contenté de mentionner le harcèlement qu’il subissait. Jamais, au grand jamais, il n’oserait dénoncer ses parents. Mais maintenant qu’il allait changer de lycée, il ne savait pas quelle excuse il allait inventer. Qu’il était maladroit et tombait souvent ? Ou alors, qu’il se faisait harceler dans son nouveau lycée ? Non. Ça ne se faisait pas. Déjà, il ne remerciera jamais assez son patron d’avoir convaincu ses parents de lui faire changer d’établissement. Mais il n’aurait jamais la force d’accuser quelque chose qui n’était pas vrai. Enfin, il l’espérait.
Quand la musique s’arrêta, Aloïs se leva mollement et regarda sa montre. 22h21. Il arracha les écouteurs de ses oreilles et les fourra dans la poche droite de son pantalon avec son téléphone. Un Samsung pas bien large, qui passait son temps à buguer.
Arrivé devant chez lui, il sonna. Ce qu’il était obligé de faire, bien que ce soit sa propre maison... Une silhouette floue, aux larges épaules, apparut dans la petite fenêtre à motifs de la porte. Aloïs avala sa salive et, ne sachant pas où poser ses mains, attrapa les lanières de son sac. La porte s’ouvrit.
— Bonjour papa…
L’homme avait les cheveux blonds rasés. Le marcel bleu ciel qu’il portait laissait apparaître ses muscles bien développés. Avec sa peau de surfeur — bien qu’il n’en fût pas un — et ses yeux bleus couleur océan, il avait un regard profond et intimidant.
— Dépêche-toi de manger, gamin, il est tard ! répondit-il en poussant son fils à l’intérieur de la maison.
Sans broncher, Aloïs déposa son sac au pied des escaliers et se dirigea vers la salle à manger. Sa mère était assise à sa place, les yeux rivés sur son téléphone, ses cheveux noirs de jais tombant devant ses yeux sombres. Sans même lever les yeux, elle lui dit d’un ton glacé :
— Il reste un fond de pâtes dans la casserole.
Bonjour à toi aussi, maman… pensa Aloïs.
Le jeune garçon se dirigea vers la casserole posée à côté de l’évier, prête à être lavée. Se penchant par-dessus, il distingua effectivement un fond de coquillettes collées au fond de la casserole. Il attrapa une assiette et des couverts dans les placards, puis, après avoir décollé les pâtes du fond de la casserole et les avoir réchauffées 30 secondes, il prit une tranche de jambon dans le frigo. S’installant à sa place habituelle autour de la table, il évita le regard de sa mère qui le fixait. Cela en disait long… Ce soir, elle allait… ou bien, ils allaient… Leurs regards ne laissaient pas de doute.
Il mangea ses trois pâtes, débarrassa ses affaires, se lava les dents et monta en vitesse les marches des escaliers en attrapant son sac au passage.
S’installant confortablement dans son lit, vêtu d’un simple short et d’un t-shirt bleu unis, il attendit. Puis, les bruits commencèrent. Doucement, les marches des escaliers grincèrent. Aloïs voulut se cacher, comme lorsqu’il était plus jeune et qu’il redoutait ce moment. Mais avec le temps, il avait compris que se couvrir de sa couette ne servait à rien. Les pas des deux êtres qui habitaient avec lui se rapprochèrent de sa chambre.
La porte s’ouvrit.
Deux silhouettes apparurent, légèrement éclairées par la lumière du couloir. Aloïs eut l’impression que son père souriait. C’était bien le seul moment où il semblait prendre plaisir à quelque chose. Mais ce sourire, jamais Aloïs ne le lui rendrait. Jamais.
Fermant les yeux avec force, il attendit encore et encore. Ses parents étaient maintenant à côté de lui. Son père le saisit violemment par l’épaule et le retourna sur le ventre. Puis, le prenant par les cheveux, il le força à le regarder. Aloïs aurait voulu se mettre en boule et crier avant que ça ne commence, mais il savait qu’il ne devait pas. Il connaissait les conséquences...
Puis ça partit… Baf ! Paf ! Paf ! Baf ! Paf !
Aloïs sentit déjà que son visage était rouge. Les larmes lui brûlaient les yeux. Il voulut mourir.
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