Puissance paternelle
Un soir d'été, nous trions des vêtements avec ma mère. En général, je déteste ce genre d'activité, puisqu'elle ne me stimule pas et ne fait appel à aucun de mes sens. J'ai une sainte horreur d'être assise et reproduire la même chose, plusieurs fois d'affiler dans un même laps de temps, cela me lasse et surtout m'irrite. Oui, je suis une enfant, en somme.
Alors que c'est une des activités préférées de ma mère, qui adore gérer la paperasse et trier des choses, dans un silence religieux. Et par dessus tout, elle est si minimaliste que ne pas faire le tri plus d'une semaine l'horripile au plus haut point. Rester assise ne la gêne aucunement, au contraire. Il est probable même que je fus adoptée, parce que nous sommes vraiment différentes l'une de l'autre. Le Yin et le Yang.
Ce qui nous amène à trouver une vieille robe, que je n'ai pas portée depuis quasiment vingt ans. C'est une robe mauve, évasée, à manches courtes, au col replié, cousue par ma maman, avec quelques motifs floraux noirs eux-mêmes, initialement pour ma sœur, qu'on a fini par me refourguer.
Comme je détestais cette robe. Elle me donnait atrocement chaud en plus de me gratter atrocement, alors qu'elle était censée être une robe d'été.
Lorsque j'étais petite, je n'aimais vraiment pas l'été. Et pourtant, c'est bien lors de cette saison, que j'ai mon tout premier souvenir. Du moins, l'un de mes premiers.
Et je me souviens très bien avoir bel et bien porté cette robe, ce soir là. J'avais quatre ans.
Maman, elle, l'a tout de suite reconnue. Elle me l'a presque arrachée des mains, l'a examinée, et n'a presque pas pu s'empêcher de retenir ses larmes.
- Tu te souviens d'elle ? elle m'a questionnée, un gigantesque sourire aux lèvres, la voix pleine d'émotion.
Comme vingt années avaient passés depuis...
Le naturel revenant au galop, ma mère a tout de suite décidé de la mettre dans les affaires à jeter mais je m'y suis opposée sans concession et au regard interrogateur qu'elle m'a lancée , je fus obligée de me justifier.
- Tu la détestais ! tu courais partout dans la maison pour que je te la fasse pas porter, tu te rappelles ? ria-t-elle.
J'ai donc expliqué à ma mère, à mi-voix, me dégonflant un peu à l'idée d'être soudainement si émotive, moi qui suis si dure et franche, refusant d'ouvrir mon cœur d'habitude :
- La robe me rappelle le seul bon souvenir que j'ai de papa, quand j'étais petite.
Comme ce sujet la touchait aussi... elle posa l'habit qu'elle avait dans les mains pour m'écouter patiemment raconter ce souvenir.
"- C'était quand vous aviez invité les Yamamoto (nom fictif) à manger un soir. J'étais seule avec toi et papa. Tu m'avais mise cette robe et je me souviens que tu m'avais promis de me punir parce que j'avais passé le dîner à râler parce qu'elle grattait.
Mais je m'en fichais faut croire comme j'avais passé toute la soirée à danser. Quand il a commencé à faire tard, il y a eu un courant d'air, sur la terrasse où il y avait papa et Yamamoto-san qui discutaient. Je suis allée les rejoindre parce que j'avais besoin de m'asseoir quelque part. Toi t'étais avec sa femme dans le salon mais il y faisait extrêmement chaud, carrément mon dos était un étang. Je sais d'ailleurs pas comment vous faisiez pour tenir.
Bref, je suis allée rejoindre papa pour dormir, j'ai demandé à monter sur ses genoux, et quand il m'y a installée, malgré sa propre chaleur, d'un coup, je me suis sentie si bien, j'avais l'impression d'être protégée de tout, en sécurité quoi.
Alors je me suis laissée allée dans ses bras et je me souviens précisément que lorsque j'ai commencé à somnoler, j'ai laissé ma tête aller contre sa poitrine, j'ai entendu ses battements de cœur, si calme et si doux. Et je me rappelle bien avoir pensé que c'était le meilleur sentiment que je n'ai jamais ressentie de toute ma vie et j'ai tellement souhaité que ça recommence. Sauf que ce n'est plus jamais arrivé.
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