Sur la plaine de Tewkesbury

9 minutes de lecture

.

La guerre faisait rage depuis plus de quinze ans, opposant les Lancastre et les York. Depuis 1461, le roi Henri VI d’Angleterre est déchu de son trône, remplacé par son cousin Edouard IV de la maison York. Emprisonné à la Tour de Londres, il ne doit son retour sur le trône à l’automne 1470 qu’à un changement d’alliance. Or, alors que son épouse Marguerite d’Anjou quitte la France, où elle se trouvait en exil, pour le rejoindre, Edouard IV retourne en Angleterre avec une armée et parvient à mettre à nouveau la main sur Henri. Marguerite qui foule de nouveau les terres anglaises avec son fils Edouard de Lancastre, est contrainte d’engager le combat à Tewkesbury. Cette bataille est la dernière, celle qui fera à tout jamais pencher la balance vers le camp York ou le camp Lancastre.

*

À genoux, face à la croix en bois brut, elle priait ardemment pour la victoire. Sa victoire et celle de son fils. La pierre fraîche et humide de l’abbaye faisait frissonner sa peau d’un blanc laiteux. Cependant, rien ni personne ne pourrait la détourner de sa tâche. En ce 4 mai 1471, sur le champ de bataille de Tewkesbury son existence était en train de se jouer.

Marguerite d’Anjou avait autrefois régné sur une cour, elle avait vécu dans des palais, avait été traité avec respect. Aujourd’hui, elle n’était qu’une reine cherchant à protéger son trône d’un usurpateur. En ce jour, elle cherchait à protéger l’héritage de son fils, mis à mal par leurs nombreux ennemis. Les tourments, Marguerite les avait connus depuis le début de son règne. Française dans un pays ennemi. Epouse d’un roi faible qui ne parvenait pas à régner. On lui avait fait de nombreux jugements, sans qu’elle ne puisse espérer la protection de son mari le roi Henri VI. Pourtant, quand elle l’avait rencontré pour la première fois, élégant, prévenant envers elle et dont le regard débordait d’amour, elle avait cru pouvoir aimer ce souverain.

L’éclatant mariage avait laissé place à la solitude. Seule, elle avait dû se défendre. Les conseillers du roi lui demandaient de produire un héritier, mais comment le pouvait-elle quand son mari évitait sciemment son lit ? Encouragé dans sa foi, Henri VI honorait peu sa femme et celle-ci finit par lui renvoyer après cinq années de mariage, qu’il aurait mieux fait de devenir pape. Marguerite ne pardonnerait jamais la faiblesse d’Henri. Jamais. L’homme avait fini par sombrer dans la folie. Apathique, il la laissa seule alors qu’elle était enceinte de leur unique enfant. Leurs ennemis étaient nombreux, trop nombreux pour qu’elle puisse les vaincre seule, alors qu’elle était en position de faible femme qui allait prochainement enfanter pour la première fois. Angoissée à l’idée de perdre son enfant, ou encore de se faire occire dans son sommeil, elle laissa Richard d’York prendre la protection du royaume.

A ce moment-là, en cette année 1453, une seule chose comptait pour Marguerite, mettre au monde son fils. Edward était né, comblant à tout jamais son cœur. Elle était mère et qui plus est du futur roi au trône d’Angleterre. Sa position allait changer à tout jamais, mais c’était sans compter Henri et sa faiblesse. Marguerite se souvenait encore de ce jour où elle lui avait présenté leur fils. L’homme était resté de marbre, ignorant le monde qui l’entourait, apathique. Si Marguerite avait pu le gifler et le secouer à ce moment-là, elle l’aurait fait, elle lui aurait hurlé de reconnaître aux yeux de toute la cour leur fils. Elle n’avait rien pu faire et le roi n’avait pas réagi. La rumeur s’écoula lentement de seigneurs en seigneurs, le roi ne reconnaissait pas son fils, le prince Edouard était un bâtard. La Française avait tenté de les tromper avec cet enfant. Marguerite s’était occupée de son enfant subissant cette situation incertaine, puis un beau jour, Henri se réveilla. Marguerite ne croyait plus en cela et pourtant il la fit demander et reconnu enfin son fils. Les évènements qui s’écoulèrent auraient pu être beaucoup plus doux, mais c’était sans compter la perfidie des York qui firent sombrer tout le royaume dans la guerre.

Le bruit de la bataille était tel un bourdonnement dans ses oreilles. Marguerite ne savait pas ce qui était en train de se passer, si son fils était en vie, si Jasper Tudor était parvenu à rassembler assez de troupe pour leur apporter du renfort. La reine avait un mauvais pressentiment, malgré ses prières, elle pensait que les vents ne lui étaient pas favorables. Tous ces malheurs depuis son arrivée en Angleterre l’avait conduite à ce jour. Exil, dénuement, mendicité auprès de son cousin le roi de France Louis XI, elle avait tout connu, elle avait perdu tout espoir. Aujourd’hui, son destin était en train de se jouer, soit elle gagnait et conservait son trône, soit elle perdait et elle deviendrait un objet entre les mains des York. Autant mourir que d’être à leur merci.

Marguerite posa son front sur la dalle froide et humide de l’abbaye. L’angoisse lui faisait perdre toute son assurance. Son fils, son si bel Edouard se battait pour la première fois. Elle l’avait entraîné pour ce jour. Il était parti vaillamment défendre son trône. Il l’avait quitté, l’embrassant une dernière fois sur la joue, en lui assurant que s’il ne parvenait pas à reprendre ce qui lui appartenait, il mourrait. Même si la perte de son fils serait une douleur extrême, elle comprenait son choix. Ensemble, ils avaient vécu l’humiliation de l’exil. Elle était reine et on l’avait forcé à mendier à toutes les cours d’Europe, pour finir oubliée en France. Si elle avait tenu, c’était pour son fils. Elle l’avait élevé et toutes ces années, elle l’avait vu entretenir cette rage de vaincre. Son Edouard voulait reprendre le trône de son père et il irait jusqu’à la mort pour cela. Fier, il avait hérité de son orgueil et il ne laisserait pas passer cette humiliation.

Quand ils étaient en France, on les avait envoyé loin de la cour. Marguerite avait essayé d'apaiser son fils, de le convaincre qu’ils pourraient vivre heureux en Anjou, auprès de son grand-père, de qui il hériterait les terres. Cependant, Edouard voulait bien plus, il voulait la couronne, il voulait à l’image du glorieux Henri V, son grand-père, conquérir des terres. Chaque soir, avant de s’endormir, il lui disait, qu’il libérerait son père et qu’il les ferait rentrer à la maison. Edouard était heureux en France, mais il ne se sentait pas chez lui. Pendant de longues années, ils ont été traité comme des insectes dérangeant leur cousin Louis XI, puis un matin, une missive finit par arriver.

Marguerite et son fils était sommet de venir à Amboise, pour y rencontrer un invité qui pouvait régler leur affaire. Warwick, ce traître, celui que l’on surnommait le faiseur de roi. Il était là, après avoir trahi un énième souverain. Marguerite s’était détournée de lui. Le traître ne trouverait pas grâce à ses yeux à moins de la supplier. Son cousin le roi de France fut l’entremetteur, incitant sa cousine à accepter le soutien de Warwick pour remettre son mari sur le trône. Pour une fois depuis son retour en France, elle ne se laissa pas dicter sa conduite par son cousin. Warwick dut se mettre à genoux et il le resta longuement jusqu’à ce qu’elle daigne lui accorder de l’attention. Il avait juré, puis pour sceller leur alliance, son fils Edouard avait été fiancé à la jeune Anne Neville, la fille du faiseur de roi. Ainsi, Edouard et Anne s’étaient mariés en décembre dernier.

Warwick était alors retourné en Angleterre et avait reconquis le royaume, chassant le roi usurpateur et libérant Henri, considérablement affaibli. Richard Neville assura la régence en attendant leur retour. Marguerite ne revit jamais cet homme. En effet, l’usurpateur, avec les soutiens nécessaires avait pu reformer une armée et débarquer de nouveau en Angleterre. Le jour où elle avait posé le pied sur ses terres, avait lieu la terrible bataille de Barnet où Warwick avait trouvé la mort. Marguerite avait immédiatement voulu repartir, mais c’était sans compter la témérité de son fils qui ne voulait plus vivre en exilé. Il était prince et si Dieu le voulait il serait roi, sinon il mourrait avec honneur et ne vivrait plus jamais de la mendicité. Le courage de son fils était sans faille et leur objectif était de rejoindre l’armée de Jasper Tudor, mais cela, c’était jusqu’à ce qu’on leur ferma les portes de la ville de Gloucester et que l’armée de l’usurpateur les débusqua sur la plaine de Tewkesbury.

On entra avec fracas dans l’abbaye. Les visages sont inquiets, Marguerite commença à se douter que l’issu ne pouvait que être fatale.

« Parlez. Marguerite venait de se relever, toisant l’homme qui lui faisait face. Son visage était marqué par la froideur alors que son cœur se consumait de terreur.

— Majesté, l’ennemi nous submerge de toute part. Le prince Edouard vous conjure de partir vous mettre à l’abri, ainsi que son épouse la princesse Anne.

— Jamais. Vous m’entendez. J’ai déjà quitté des champs de bataille à dos de cheval ou à

pied, traversant la boue et les cadavres, fuyant l’ennemi qui voulait m’éliminer. Je ne quitterai pas celui-ci sans le prince Edouard.

— Mais, votre Majesté ! Supplia l’homme, mais il fut tout de suite arrêté par la reine Marguerite.

— Dites au prince que sa mère et son épouse se portent bien et que si nous devons quitter le champ de bataille, cela sera à ses côtés.

— Bien votre Majesté. » L’homme s’en détourna et il quitta l’abbaye. Bien plus soulagé de s’éloigner de cette femme, même si cela signifiait retourner sur le champ de bataille.

Les minutes paraissaient devenir des heures. Bientôt, Marguerite fut rejointe par sa belle-fille, qui se mit en prière à ses côtés. Au début du mariage, la reine aurait pensé que la fille de Warwick serait aussi arrogante que son père, mais cela avait été tout autre. Anne n’était que douceur et elle avait su ravir le cœur de son fils. Au moins, si Edouard venait à mourir, il aura connu le bonheur avec sa femme et peut-être que Dieu leur a permis de concevoir un enfant. Ainsi, la lignée des Lancastre ne serait point perdue.

Au-dehors, la bataille semblait inlassable et le bruit que l’on entendait était devenu oppressant. Qui se faisait massacrer ainsi ? Les York ? Les Lancastre. Le regard orienté vers le Seigneur, Marguerite continuait de prier pour son fils unique. Elle avait tant besoin de lui.

Le grincement de la porte de l’abbaye se fit entendre. Marguerite se retourna et découvrit la silhouette de son fils. Edouard retira son heaume et se mit à genoux devant sa mère. Anne, qui était toujours aux côtés de Marguerite s’effondra aux côtés de son mari, soulagée de le voir vivant.

« Mère nous avons vaincu. L’armée de Jasper Tudor nous a rejoint à la dernière minute et nous les avait défaits. L’usurpateur est mort, tout comme ses frères et actuellement nous nous occupons des derniers combattants. Edouard embrassa la main de sa mère, tout en serrant sa femme contre lui. Mère, nous sommes définitivement rentrés chez nous. Plus personne ne pourra nous faire du mal. » Le sourire qui se trouvait sur les lèvres d’Edouard en disait long. Le jeune homme était soulagé par l’issu de cette bataille. Enfin, il avait pu prendre sa revanche. Pourtant, les choses auraient pu se dérouler tout autrement. Avant l’arrivée de Jasper Tudor et de son armée galloise, Edouard avait cru voir la Mort. Il se voyait déjà gisant sur le champ de bataille, froidement assassiné par ses ennemis, les trois frères d’York. Cependant, c’était lui qui avait vaincu. Les Lancastre étaient définitivement sur le trône et les voilà vengé de toutes ces années d’humiliation et d’exil.

« Maintenant, allons délivrer père de la Tour de Londres. » Le jeune homme s’était redressé et Marguerite put mieux contempler son visage maculé de boue et de sang. Edouard était un homme désormais. Il avait récupéré le trône de son père, maintenant, ils allaient marcher sur Londres et libérer Henri VI d’Angleterre de sa geôle.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Antanasya ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0