Retour en "Pays sûr"
A Calais, j’ai retrouvé des gens qui m’ont clairement dit que ça ne passait plus, on ne pouvait plus rien espérer. Je suis monté en Belgique, j’ai essayé dix, quinze fois, de me glisser sous les camions pour passer en Angleterre. Et puis un soir, des chauffeurs routiers, ils se sont mis à plusieurs, m’ont sorti du dessus de l'essieu de leur camion et m’ont tabassé. J’ai mis quelques jours avant de pouvoir remarcher. J’ai fait de nouvelles tentatives. J’ai été dénoncé et arrêté par la police. Quelques jours en cellule, et puis je me suis retrouvé avec d’autres africains dans un avion-cargo… qui a volé longtemps, longtemps. Il s’est arrêté une fois. Je crois bien que c’était au Qatar, pour faire le plein. Je n’ai pas compris, aucun de nous n’a été débarqué. Et puis l’avion a de nouveau atterri… à l’aéroport de Khartoum !
Tout de suite, j’ai bien vu les hommes au fond en vestes militaire noires. Ils nous regardaient tous. J’ai tout de suite compris qu’il ne fallait plus rien espérer. C’était la police secrète. Elle nous a conduit dans une prison très « spéciale », à l’est de Khartoum pas très loin de l’aéroport. Et j’y suis resté longtemps, longtemps. J’ai su après que j’avais passé treize mois enfermé. Je ne pourrai jamais non plus raconter ce qu’on m’a fait là-bas. J’ai vécu dans un air irrespirable, dans un brouillard de souffrance. La fin de cet épisode a été un grand brouhaha, quand au printemps 2019, d’abord les étudiants, puis la foule, puis toute la population sont descendus dans les rues pour hurler contre Al-Bashir, notre dictateur. Les prisons ont été ouvertes. Ma famille a pu me récupérer. Depuis, elle s’occupe de moi. On me fait boire, manger. On m’aide à faire pipi. On me fait ma toilette. On me dit ceci, on me dit cela, et moi, je ne peux plus parler.
Les pays européens ont trouvé une belle expression : « Pays Sûr ». Un pays sûr ça permet de faire des demandes d’asile, de respecter des quotas, d’expulser des migrants, des exilés sans se poser de question. On les renvoie dans un « Pays Sûr », alors que souvent les attendent la prison, des sévices et la mort.
De vous à moi, penserait-on vraiment que quelqu’un qui quitte son pays, sa famille, ses amis, sa culture, sa langue, ses paysages, qui prend le risque de traverser des déserts, de séjourner dans des pays où il va être humilié, séquestré, vendu comme esclave, violé – que quelqu’un qui prend le risque de partir sur une coquille de noix franchir une mer difficile et souvent meurtrière – pensez-vous vraiment que quelqu’un qui est capable, en plus, de traverser des pays avec un peu d’eau croupie dans des flaques ou des ruisseaux et un peu à manger, sans espoir de vie meilleure – pensez-vous vraiment que quelqu’un comme ça vienne chez vous juste pour voler une bouchée de pain ?
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