Recherches martiennes

6 minutes de lecture

Il était assez tard, sans doute aux alentours de vingt-trois heures, quoique Franck perdait complètement la notion du temps quand il se plongeait dans ses travaux. Peut-être était-il plus tard en réalité, peu importait. Il avait déjà laissé un mot à Emmeline pour qu'elle ne l'attende pas. Il eut un petit rire amer, se disant qu'il aurait tout aussi bien pu ne laisser aucun mot, sa femme ne se serait sans doute même pas aperçue de l'absence de sa famille. Il songeait au divorce depuis quelques temps, cette pensée revenait l'effleurer sans cesse, même s'il mettait toute la bonne volonté dont il était capable pour la chasser. Il ne comprenait pas lui-même d'où lui venait cette idée, puisqu'il n'avait pas de raison de se plaindre de sa compagne. Il comprenait qu'elle soit prise par son travail, et il était d'ailleurs admiratif de la façon dont elle parvenait à gérer cette colonie, malgré toutes les tensions qui se formaient dans leur base. Jamais il n'en serait capable, et ne voyait personne mieux qu'elle diriger leur communauté. Pourtant, il ne parvenait pas à s'empêcher de se montrer distant et froid. Une vague de culpabilité le parcourut quand il songea au mot qu'il avait laissé sur la table. Il savait que c'était insensible de sa part de l'abandonner ce soir, après sa réunion avec la Terre - dont il se doutait qu'elle avait dû mal se passer. Franck l'avait pourtant fait, et sans véritables remords vis-à-vis d'elle. Depuis quand étaient-ils devenus si étrangers l'un à l'autre ?

Le chercheur songeait à son mariage une éprouvette à la main, dans laquelle un liquide non identifié produisait une étrange émulsion rouge. Il était si absorbé qu'il ne vit pas que de la mousse remontait le long du tube, rampant sournoisement jusqu'à son gant. Une seconde main gantée lui arracha alors le tube sans ménagement, pour aller le poser sur un support qui se trouvait dans un cristallisoir. Le propriétaire de cette main miraculeuse vint se placer en face de Franck, les poings sur les hanches. Des éclairs sortaient de ses yeux noisette, dans lesquels quelques paillettes dorées pouvaient parfois faire leur apparition lorsqu'il était de bonne humeur, mais qui étaient pour le moment obscurcis par ses sourcils froncés. Du haut de son mètre soixante, il toisait son collègue comme s'il voulait l'impressionner. Malheureusement pour lui, outre les vingts centimètres de plus que Franck possédait, il avait aussi cette manie d'être la plupart du temps tellement dans ses pensées que c'est à peine s'il comprenait le monde extérieur. Ce soir ne fit pas exception à cette règle générale, et il regarda sans comprendre son camarade, penchant légèrement la tête du côté droit. Une mèche de ses cheveux noirs s'était échappée de la petite queue de cheval qu'il portait toujours, et se précipita dans ses yeux gris clairs, donnant à Franck cet air un peu enfantin et maladroit qui le caractérisait.

  • I-il y a un problème Marc ? demanda-t-il alors, ne semblant pas avoir remarqué que son collègue venait de lui éviter de graves brûlures, et visiblement juste surpris de s'être fait arracher son expérience des mains.

Marc eu envie de le réprimander sévèrement, mais il ne pouvait s'y résoudre. Il pesta intérieurement contre cette faiblesse qu'il avait quand Franck le regardait avec cet air innocent, et faute de pouvoir lui crier dessus, il se contenta de râler en lui montrant le tube qui produisait toujours de la mousse corrosive dans le cristallisoir.

  • Le voilà le problème ! Et ça fait plusieurs fois que ça t'arrive aujourd'hui bon sang ! Je vais commencer à croire que tu veux sérieusement perdre une main.
  • Oh ! Ah...

Franck, baissa les yeux d'un air coupable et gêné. Il balbutia une réponse tout en ramenant sa mèche rebelle derrière son oreille, en se demandant dans un coin de sa tête comment elle avait réussi à se libérer et s'il faudrait qu'il défasse toute sa queue de cheval pour la remettre dedans, ce qui l'embêterait beaucoup. Cette question le perturbait plus que de savoir à quel type de catastrophe il avait échappé grâce à son collègue - et ami.

  • Je suis désolé, je n'ai pas fait assez attention.
  • Ecoute, je préfère éviter de devoir sortir une trousse de premiers soins ce soir, donc si tu te sens trop fatigué pour bosser, tu peux rentrer. Je me chargerais de finir les manip' et de compléter les rapports, c'est pas comme si tu aimais ça de toute façon !

Marc soupira en regardant son camarade, et il voyait bien que quelque chose le travaillait depuis quelques temps. Il se sentait d'ailleurs coupable de ne pas faire le premier pas vers lui en lui proposant son aide. Seulement il n'avait jamais été aussi doué avec les mots qu'avec les équations, ce qui expliquait sans doute pourquoi il était devenu chercheur et non pas psychologue. Il tentait donc à sa façon de soulager Franck. De bonnes intentions dans un procédé maladroit. Franck quand à lui le prit au premier degré, comme toujours, et répondit avec une énergie feinte :

  • Je ne suis pas fatigué, ne t'en fais pas. Je suis juste un peu perdu dans mes pensées. Ça te va si je prends les données à analyser d'aujourd'hui ? Comme ça pas de risques, et la trousse de secours reste à sa place.
  • Okay, si tu te sens de le faire je ne vois pas le problème.

Puis Marc se tourna vers le cristallisoir dans lequel la drôle d'éprouvette avait fini de déverser sa mousse, laquelle produisait une odeur rance. Il prit son courage à deux mains, et commença à nettoyer ce fiasco, tout en gardant un échantillon dans un tube. Après tout, peut-être Franck voudrait-il analyser ce qu'il avait produit par accident ?

Celui-ci s'assit sur une chaise face à son bureau - si tant est que l'on puisse appeler un tel capharnaüm ainsi - et se mit à trier, à annoter de ses pattes de mouches presque illisibles, à agrafer et à surligner de diverses couleurs des documents.

Le laboratoire était grand et bien équipé, pourtant seuls deux bureaux y figuraient, alors qu'il y aurait largement eu la place pour accueillir une plus grande équipe. La réponse à ce vide tenait en un nom : Franck Briley. Le chercheur n'était agressif pour rien au monde, il n'était pas non plus particulièrement acharné ou imbu de lui-même au point de faire fuir ses congénères. Simplement, peu de gens - et surtout peu de scientifiques rigoureux - arrivaient à suivre cet homme, que ce soit dans ses réflexions ou dans son organisation. Organisation qui d'ailleurs, à en juger par son bureau ou encore par les feuilles qui s'éparpillaient dans tous les sens et dans tous les lieux de ce laboratoire, était au choixc unique ou inexistante. Le seul chercheur qui arrivait à supporter la façon dont travaillait Franck était le jeune Marc Stelitch, dont la ténacité n'était plus à prouver. Du haut de ses vingt-huit ans, il était celui qui réussissait à sauver le laboratoire du chaos en s'assurant que le matériel restait - à la différence des feuilles - à sa place, et que les rapports et travaux étaient effectués et rendus dans les temps. S'il détestait le désordre de Franck, il avait une admiration incommensurable pour l'esprit de ce dernier, et ressentait une étrange fierté à l'idée de travailler avec lui.

En ramassant une feuille de relevés qu'ils avaient reçu en fin de soirée, Franck haussa un sourcil en émettant un claquement de langue. Il semblait qu'un phénomène ait attiré son attention. Il se plongea plus avant dans les données en approchant la feuille de son visage ; s'assit, se releva pour aller chercher un autre document qui servait de cale pied au microscope optique dans un coin de la salle, revint à sa place, tira des feuilles de brouillons et se mit à écrire des formules qui n'en finissaient pas. Quand il eut noirci une vingtaines de pages, il se leva pour aller écrire au tableau, effacer, recommencer encore. Ce manège finit par attirer l'attention de Marc, qui achevait de nettoyer et de ranger le matériel de chimie, et s'apprêtaitm à s'atteler à la rédaction de son compte-rendu. Le jeune homme voulut interrompre son collègue pour lui demander ce qu'il avait trouvé, avant de remarquer la petite lueur dans les yeux de son ami ; cette lueur d'intelligence, de fascination et d'émerveillement mêlés qui caractérise ceux qu'on appelle communément des génies. Chez Franck, cet éclat particulier traduisait une sorte de frénésie scientifique, que l'on remarquait également à ses yeux rieurs, son agitation telle qu'il ne tenait plus en place, ainsi qu'au sourire béat qui faisait ressortir ses faussettes au creux de ses joues. Marc n'avait plus qu'à attendre qu'il ait fini, sachant très bien qu'il ne pourrait rien en tirer avant que son collègue ne se décide de lui-même à partager ce qui avait piqué son intérêt ainsi. Pour passer le temps, il se mit à taper tous les travaux en retard. Le jeune scientifique espérait que son camarade viendrait lui raconter ce qu'il avait trouvé rapidement, car n'importe quoi vaudrait mieux à ses yeux que de taper bêtement sur un clavier durant toute la nuit.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Pokiæ ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0