Dernière rencontre
La faille s'étendait jusqu'à environ trente mètres plus à l'Ouest avant d'aboutir sur une brèche au sol, suffisamment large pour faire passer un homme, et dont on ne distinguait pas le fond. Les deux scientifiques qui avaient poussé leur exploration jusqu'à ce point furent extrêmement déçus en pensant que leur aventure s'arrêtait là, et qu'il leur faudrait rebrousser chemin. Marc pour sa part ressentait plus une sorte de soulagement mêlé d'amertume. Certes, il rentrerait en vie, mais il serait puni malgré tout, sans avoir rien trouvé de ce qu'ils étaient sortis chercher. Son camarade, lui, ne se voyait pas abandonner si facilement et se pencha sur le creux au sol pour essayer d'en voir la profondeur avec sa lampe frontale. Il poussa une exclamation de triomphe et s'empressa de partager la raison de son enthousiasme à son ami :
- Cette cavité ne fait que quatre ou cinq mètres de profondeur ! Les simples poulies de nos scaphandres suffiront largement pour cette hauteur, on peut descendre sans risques !
Il se mit aussitôt à l'ouvrage, aménageant la zone de sorte qu'ils puissent descendre en toute sécurité avec leur matériel. Il bénissait aussi les inventeurs de cette combinaison, qui contenait une arsenal d'outils pensés pour toutes les situations. Marc fit une grimace, puis aida son compagnon. Quitte à descendre là-dedans, il voulait être sûr que Franck ne ferait pas de maladresse qui pourrait les forcer à rester pour toujours dans ce trou. Après de longues minutes d'efforts, les deux hommes s'accordèrent une pause bien méritée afin de reprendre des forces avant la descente. Ils allèrent s'asseoir contre un pan de roche, et Marc déclara nerveusement :
- Je ne sais pas ce qu'on va trouver là-dessous, mais sache que tu as de la chance que je sois venu. Ton installation n'aurait pas tenu une seconde vu comment tu l'avais bricolée.
- Ouaip, mais si t'étais pas venu tu aurais eu ma mort sur la conscience, marmonna Franck qui n'aimait pas être pris en faute. Merci de me suivre dans mes conneries Marc, finit-il par lâcher avec un sourire absent.
- Mais je t'en prie, c'est un plaisir de risquer ma vie et ma carrière pour te suivre dans tes lubies !
Le ton était ironique, et blessa un peu Franck qui détourna la tête dans son casque - il savait que Marc avait tout à fait raison. Marc ne sut quoi dire, il n'avait pas voulu froisser son ami. Il improvisa alors une réponse d'un ton penaud :
- Je... Euh... Je voulais pas dire ça comme ça. En fait, je suis sacrément fier de pouvoir faire une découverte avec toi, mais j'ai aussi une frousse terrible. Descendre dans des tunnels sur Mars à quatre heures quarante-sept du matin ce n'était pas ce que je m'étais imaginé en venant ici.
Il laissa échapper un petit rire nerveux, tandis que Franck se relevait. Ce dernier tendit une main vers Marc pour l'aider à se lever en lui souriant gentiment.
- Moi non plus, mais je suppose que la vie est pleine de surprises.
- Ça je te l'accorde, confirma le jeune savant en prenant la main de son aîné pour se lever. On y va ?
Le chercheur hocha la tête, puis entama sa descente après s'être amarré convenablement, sous l'oeil attentif de son collègue. Il atteignit rapidement le sol, mais s'assura d'être bien stable avant de se détacher. Il tourna ensuite son regard pour examiner ce qui l'entourait, à savoir de la roche. Le tunnel se poursuivait un peu plus loin au Sud, en pente douce. Il partagea ses observations à Marc, avant de lui enjoindre de descendre à son tour. Lorsqu'ils furent tous les deux dans le tunnel, le plus jeune des aventuriers décida de laisser sa corde attachée pour qu'ils puissent remonter plus facilement à leur retour. Les deux hommes poursuivirent leur descente vers l'inconnu en suivant la galerie. Plus ils avançaient, plus Marc se disait que le passage était presque trop facile, comme s'il avait été volontairement aménagé pour être accessible. Il balaya cette idée, qui lui donnait la chair de poule.
Ils atteignirent le bout du chemin alors que leur montre indiquaient cinq heures du matin. Les explorateurs sortirent du boyau étroit pour pénétrer dans une salle approximativement rectangulaire, aux dimensions plus confortables. Bien qu'il ne soit pas capable de distinguer le fond de la cavité, Franck évalua que le plafond devait se trouver à six mètres au-dessus de leur tête, et que la largeur devait être d'environ quatres mètres. Il le vérifia d'ailleurs, par excès de rigueur scientifique. « Ah non, seulement trois mètres cinquantes. » conclut-il de cet examen. De son côté, Marc s'était aventuré plus avant dans la pièce, écartant les ténèbres ambiantes à grands coups de lampe torche. Alors qu'il accédait enfin au mur opposé de la salle, il se rendit compte que ce dernier était couverts d'entailles. Il alluma sa caméra pour filmer ce qu'il était en train de voir, car personne ne le croirait quand il rentrerait.
- Franck ? Tu devrais venir voir ça ! La roche a été abîmée par quelque chose, cria-t-il, oubliant que son camarade l'entendait grâce à une radio.
Franck trotta jusqu'au scientifique, en pestant :
- Pas obligé de me crier dans les oreilles !
Mais sa mauvaise humeur s'évanouit quand il vit ce que Marc lui désignait.
- Oh la vache !
Tout un pan du mur rocheux se dressait face à eux, couvert de signes inconnus. Franck tenta de comparer ce qu'il voyait avec quelque chose qui lui était connu, mais les multiples boucles, courbes, points et traits dans tous les sens ne lui évoquait que deux choses : les gribouillages de sa fille quand elle avait deux ans, ou le résultat des griffes de son chat sur le canapé. Il ne parvenait pas à distinguer la moindre logique ou forme qui lui évoquait quelque chose de connu. Il tourna un regard interrogatif vers son ami, lequel secoua négativement la tête, comme s'il avait deviné les pensées du chercheur. Il passa sa main sur le mur, puis examina précisément les gravures alors que Franck se concentrait sur d'étranges creux dans la paroi, qui semblaient bien plus profonds. Marc fut le premier à prendre la parole, sans quitter des yeux une trace qui avait attiré son attention :
- Alors, à première vue bien sûr, il faudrait faire des examens plus précis pour compléter. Néanmoins je peux affirmer que certaines de ces marques sont très anciennes, peut-être plusieurs centaines d'années. Enfin ça reste à prouver évidemment. Par contre, il y a des entailles qui sont très récentes. Sans vouloir te faire flipper, je crois que ce site est encore "actif" - fit-il en faisant des guillemets avec ses doigts - et on devrait partir dès qu'on a finit de faire nos prélèvements.
Franck émit un grognement dont Marc ne savait pas bien s'il marquait sa frustration ou son accord, toujours en train de s'occuper des petites cavités dans le mur. Son collègue haussa les épaules et s'appliqua à prélever dans morceaux de roches à l'aide du matériel dont il disposait. Ceci fait, il se tourna franchement vers son ami pour lui enjoindre de se dépêcher. Cependant Marc ne put que pousser un hurlement d'effroi, tandis que les tubes qu'il tenait encore en main se brisèrent par terre avec un bruit cristallin.
Franck était suspendu dans les air, son corps pendant mollement dans le vide tandis que les morceaux de son casque brisé gisait autour de là où il se tenait debout il y a quelques instants. Son visage était recouvert par ce que Marc assimila spontanément à un tentacule d'un blanc laiteux. Son esprit lui tonnait de fuir, pourtant il n'arrivait qu'à s'époumoner et ses muscles tétanisés ne répondaient plus, le forçant à trembler sur place, incapable de courir. Son propre cri retentit dans toute la grotte en s'échappant de la radio de Franck, créant un écho infernal que la créature n'apprécia pas. Un nouveau tentacule sortit d'une infractuosité de la paroi pour ramper vers le chercheur, et ce dernier observa avec des yeux effarés la matière flasque se coller sur son casque. Il prononça pour la première fois de sa vie une prière quand le membre se retira ; avant de fondre de nouveau sur lui en brisant la paroi vitrée du scaphandre afin d'adhérer au visage du scientifique.
Une onde brutale se propagea dans la roche, provoquant l'effondrement de la grotte. Il était cinq heures trente.
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