Louise courait sur la grande place de la colonie, pourchassant son amie Sam avec son petit pistolet à sable, la menaçant de la recouvrir de poussière si elle l'attrapait. Ce qui ne paraissait pas effrayer cette dernière qui lui tira la langue pour la narguer, l'air de lui dire : « Essaie si tu l'oses ». Franck regardait sa plus jeune s'amuser ainsi, puis tourna son regard vers la petite grotte qu'il venait de finir d'aménager avec Marc. Le divorce auquel il pensait autrefois était devenu une réalité, et il était ravi que ses filles aient bien pris la chose. Il avait l'impression que ce déménagement marquait une étape, comme si une partie de sa vie s'achevait. L'ex-chercheur repensa à son laboratoire qu'il avait laissé en ruine et qui devait prendre la poussière depuis le temps. Demain il s'en occuperait peut-être. Pour le moment, il s'étendit paresseusement sur sa chaise longue bricolée avec des tôles métalliques et des coussins, le regard tourné vers la jeune Louise et l'avenir. Il lança ensuite un regard à Marc qui s'était endormi dans un hamac étendu entre deux rochers, puis ferma les yeux avec un sourire.

•••

Emmeline faisait le tour de son bureau. Elle l'avait rangé afin qu'il soit impeccable, plus une tasse, plus un dossier qui traîne. Elle n'avait rien négligé, c'était sa façon de dire adieu à ce lieu dans lequel elle avait passé plusieurs années de sa vie. Emmeline ravala une larme en songeant à ce qu'elle laissait derrière, puis prononça une dernière phrase, qui tirait un trait définitif sur la colonisation humaine de Mars :

• Superviseur, commença-t-elle avec une voix nouée d'émotion, envoie le rapport à la Terre.

L'oeil à l'écran se ferma, puis brilla en alternant les couleurs de l'arc-en-ciel avant de se rouvrir.

• Je ne peux pas joindre la Terre, dois-je laisser le document en attente dans le satellite relais ?
• Oui s'il te plaît.

Emmeline ressentait presque de la peine pour cette intelligence artifielle, en observant l'oeil se fermer une seconde fois.

• Le document a été mis en attente.

La femme prit une grande inspiration, pour chasser autant qu'elle le pouvait l'émotion de sa voix. Elle n'y parvint pas.

• Superviseur, il est temps de te désactiver. A-adieu.
• Adieu Madame Ryns.

La voix douce et robotique résonna longtemps dans les oreilles d'Emmeline, alors qu'elle regardait l'écran éteint face à elle. Une page se tournait, elle devrait l'accepter. Après un temps infini, elle sortit de ce qui fut son bureau.

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Ceci est le dernier rapport de la base Marsienne MS8.5 qui nous a été envoyé. Reçues par nos équipes ce jour, les données transmises avec ce rapport vont être analysées, et de plus amples informations seront disponibles bientôt.

 « Puisque je doute que ce rapport parvienne un jour à un exécutif terrestre, je me permettrais donc d'en faire une lettre personnelle plus qu'un véritable compte-rendu. Après tout, personne ne viendra plus me demander de justifications à présent.
 « Au moment où j'écris ces mots, nous avons passé plus de cinq ans sur Mars, d'après les données de Superviseurs : 5 ans et 298 jours, ce qui en fait presque six. La situation a beaucoup évoluée, nous avons été contactés par une forme de vie marsienne, ils nous proposaient de nous modifier pour que nous puissions survivre sur Mars. La proposition a d'abord reçu de farouches résistances, peu voulaient se prêter à l'expérience. Puis les ressources ont commencé à manquer, finalement nous nous sommes fait une raison.
 « Notre vie est devenue beaucoup plus simple suite à cela. Plus besoin de combinaisons, d'oxygène en bouteille ni d'eau comme auparavant. J'ai oublié quel goût à le pain, je ne sais plus que la saveur d'une roche qu'on trouve ici. Il n'y a pas d'équivalent sur Terre. En ce qui concerne la base, elle a été démantelée, petit à petit, pour servir à construire des abris dans les falaises qui nous entourent. Les enfants peuvent à nouveau courir dehors, c'est un bonheur de les entendre rire.
 « En ce qui concerne nos voisins, que vous dire ? Ils restent très mystérieux, certains de nos chercheurs adorent communiquer avec eux, d'autres en ont un peu peur. Pour ma part, je ne pense pas qu'ils nous veuillent le moindre mal. Ils nous guident dans notre installation, nous aident à trouver notre nourriture ou à construire certaines choses. Je crois qu'ils aiment simplement pouvoir voir le monde à travers nos yeux, et percevoir ce qui les entoure et dont ils n'ont pas conscience à cause des limites de leurs corps.
 « Je crois arriver au bout de ce que je souhaitais dire, ou presque. Mes derniers mots seront des reproches, que je m'estime en droit de faire. Pourquoi nous avoir abandonnés sur une planète sans ressources ? Vous saviez que vous nous condamniez à mourir à petit feu ! Pendant cinq ans, j'ai attendu une réponse à mes rapports quotidiens. Au moins ça vous fera un peu de lecture quand vous remettrez les communications. Je vais éteindre Superviseur aujourd'hui, et quitter définitivement la base pour m'occuper de la petite communauté que nous sommes.

« Adieu

« Emmeline Ryns, responsable de la base marsienne MS8.5

« PS : vous trouverez ci-joint toutes les données que nous avons recueillies. Je tiens à faire mon travail jusqu'au bout. Certaines de ces découvertes permettront sans doute de développer de nouvelles technologies sur Terre, d'après l'équipe scientifique. »

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En sortant du batiment, après avoir descendu l'escalier, Emmeline se retourna pour regarder les ruines de ce qui fut l'espoir de l'humanité. « Qu'étions-nous venus faire ici ? » la question tournait en boucle dans l'esprit de l'ancienne responsable du ravitaillement de la colonie.