Questionnaire d'admission

6 minutes de lecture

BUREAU ADMINISTRATIF (SAINT-JACQUES-D'ORIGAN) - 8H01 DU MATIN

- Mais ! Laissez-moi passer !

Un individu plus que lamba débarque en trombe, essoufflé et en sueur, dans un petit secrétariat poussiéreux sentant la naphtaline. Reprenant péniblement sa respiration, il s'adresse à une charmante demoiselle à lunettes, assise derrière un bureau métallique vert kaki :

- Bonjour madame, est-ce bien ici que se passe le concours ?

- Vous êtes en retard d'une minute, rétorque sèchement la secrétaire.

- Je suis vraiment désolé. En fait, en démarrant la voiture ...

- Mais j'en ai rien à péter ! Ce n'est pas mon problème ...

L'odieuse bureaucrate lui indique nonchalamment d'une main la grande porte à double battant située à sa gauche :

- Dépêchez-vous d'entrer et fermez-la.

- De quoi ? La porte ?

- Non, votre gueule... La porte évidemment, pauvre demeuré !

- Je me disais aussi... Je vous remercie, madame, de votre amabilité. Je vous souhaite une bonne fin de vie.

- C'est ça, va mourir...

Il pousse lestement la porte et pénètre dans un grand amphithéâtre ornementé de dorures, de statues greco-romaines et de tableaux signés Eugène Delacroix. En refermant précautionneusement les battants, il admire, la bouche ouverte, le magnifique plafond où domine un gigantesque lustre brillant de milles feux. Spectacle magique pour lui qui n'a toujours connu que des studios miteux.

Ses rêveries sont soudainement interrompues par un bruit fracassant : un livre épais vient de s'abattre sur le grand comptoir en bois de chêne situé en bas de l'escalier. Derrière celui-ci, quatre messieurs aux cheveux blancs et en robe noir fixent durement l'incongru :

- Vous êtes en retard, profère l'un des vieillards d'une voix grave se réverbérant dans l'auditorium.

- Veuillez m'excuser. En fait, en démarrant la voiture ...

- Peu nous importe, Monsieur... Veuillez descendre immédiatement et vous placer en face de nous, s'il vous plaît.

Ni une ni deux, le retardataire dévale les marches de marbre doré. Arrivé devant les quatres pontes, le plus éminant, peut-être parce qu'il est le seul à porter des lunettes, récapitule :

- Cher Monsieur, d'après votre dossier, vous avez passé les dix premiers examens de passage avec succès. Aujourd'hui, vous êtes à l'étape décisive. Je vous rappelle donc le règlement : dans un premier temps, vous allez répondre à une série de questions, dans un second temps, nous allons délibérer et, dans un dernier temps, vous allez savoir si vous êtes admis. Si vous n'avez pas de question, pouvons-nous procéder ?

- Avec plaisir, s'exclame le candidat encore trempé de sueur !

- Bien... Maître Mahogany ? Je vous en prie...

Le gâteux aux yeux bridés, placé en bout de table à droite, se lève, une fiche à la main. D'une voix aigue et nasillarde, il débute :

- Queztioun zifique numého oun : quaund oun pehzonne ze fait mal defaunt fous, qu'elle huhle de douleuh à ze houler pah tehhe, quelle est fothe pemier héflegze ?

- Euh... De quoi ?

- Pah egzemple, fous lui demaundez zi za va ou bieun authe ssosse ?

- Oui, voilà... On va dire ça.

- Thès bieun. Queztioun zifique numého deux : pouhquoi un zoldat ne zouffhe-t-il pas pendaunt le coumbat et huhle de douleuh dès qu'il ze fait zoiner pah l'infihmièhe ?

- Alors euh... Et bien, disons qu'en fait...

- Fous thoufez za nohmal, Mounzieur, ou bieun z'est pzyghozoomatique ?

- Alors, au pif... Je dirai que c'est la deuxième réponse.

- Z'est noté. Queztioun zifique numého thois : quand oun ze pehd dauns la hue, pouhquoi les pazzaunts ne zont chamais du coiun quaund on leuh demaunde oun itinéhaihe ?

- Alors là... C'est chaud...

- D'apès fous, quel héponze hefient le plus zoufent ?

- Pétard, je comprend rien du tout ! Je m'excuse vraiment ...

- Ah, thès bieun ! Pas de poblème ! Ze vous hemehzie. Maîthe Hubaun, z'est à fous.

L'évalué reste coi lorsque le vieil asiatique se rasseoit. Dans le côté opposé, un petit papy barbu se lève à son tour et demande d'une voix éraillée :

- Hum... Question de logique primus : pourquoi une pizza doit-elle être ronde dans une boîte carrée alors qu'il faut la manger de forme triangulaire ?

- Sans rire ? C'est une question ça ? Euh, pardon... Je dirai que c'est parce que le plus souvent, il vaut mieux commander une calzone pour ne pas avoir ce genre de problème...

- D'accord... Question de logique secundus : lorsqu'il est impossible de se connecter à Internet, pourquoi Windows propose de trouver une solution sur Internet ?

- Euh... J'ai le droit à l'appel à un ami ? Non, humour ! Pardon... Je dirai que l'informatique a ses raisons que la raison ne connaît pas ?

- D'accord... Question de logique tertius : pourquoi sur les shampoings figure la mention : "Ne pique pas les yeux" alors qu’au dos apparaît sur la notice : "En cas de contact avec les yeux, rincer immédiatement" ?

- Ecoutez, je n'aurai qu'une seule chose à dire : si nous naissons chauve, c'est bien pour une raison. Chassez le naturel, et il revient au galop. Donc, pas de cheveux, pas de shampoing ! Pas de shampoing, plus de problème ! La solution : rasage totale du crâne.

- D'accord... Je vous remercie. Pour terminer, Maître Termaux, s'il vous plaît.

L'interrogé se croirait dans la quatrième dimension... Une fois le nabot assis, le binoclard se met péniblement debout.

- Maître Ruban, je vous remercie. Question pratique antépénultième : pour quelle raison nous rendons-nous compte qu'une chose nous est indispensable qu'après l'avoir égarée ?

- Wow... Euh... Disons qu'avant, on avait le machin sous les yeux, du coup, c'était rassurant. Mais une fois qu'on ne l'a plus, ça crée un stress assez traumatisant. En psychologie, on appelle ça le deuil de l'enfance... Mais cela n'a jamais été prouvé. Je pourrais débattre longtemps sur ce sujet, mais malheureusement, comme vous ne l'avez pas stipulé ultérieurement, mon temps est compté ici. Alors, vaut mieux manger une bonne salade fraîche ou une soupe chaude avant d'aller se coucher.

- Si vous le dîtes... Question pratique pénultième : de quelle couleur sont les petits pois ?

- Rouges... Il est rare de nos jours d'apercevoir d'autres espèces dans un aquarium. Mais j'aime bien avec un petit filet d'huile d'olive, une rondelle de citron ou bien pané. Après, personnellement, je préfère la volaille. Mais bon, chacun voit midi à sa porte. N'est-ce pas, Doc ?

- Si vous le dîtes... Question pratique ultime : il existe une interrogation qui m'obsède. Pouvez-vous me dire pourquoi ?

- Pourquoi ? Alors là, si vous voulez, je connaîs un super jeu, ça s'appelle "Pyramide". Je vous dit un mot et vous me faîtes part d'un autre, qui n'a rien à voir, et ainsi de suite jusqu'à ce que l'un d'entre vous trouve le bon. Sans déconner... Votre examen, on dirait un gag. C'est pour une caméra cachée ?

- Si vous le dîtes... Maître Barrot, vous pouvez conclure la séance, je vous prie.

- Attendez ! Si j'enlève mon slip et que je le met sur la tête, vous croyez que ça peut faire le buzz sur le net ?

Long silence... Les quatres vieillards aigris l'observe sans dire un mot :

- Bon, je ne dis plus rien, articule le candidat... J'aimerai juste faire un petit coucou à ma maman, si elle me regarde...

Maître Termaux se rassoit et le vieillard à la mine la plus sévère prend la parole :

- Ecoutez, Monsieur. L'humour ne fait pas partie intégrante de la liste des compétences demandées pour le poste. Veuillez garder pour votre usage personnel toutes ces piètres billevesées. Bref, vous avez parfaitement répondu au questionnaire. À présent, veuillez prendre place et patienter le temps de la délibération...

Le malheureux s'installe sur l'un des sièges en velours noir tandis que le quatuor discute en chuchotant et en faisant circuler différentes fiches. Durant cet intervalle, le jeune homme en profite pour vérifier si des caméras ne sont pas camouflées au plafond ou derrières les statues, mais ne trouve rien... C'était bien un véritable examen. Une boule s'installe alors dans son ventre... Une boule de panique de plus en plus pesante. Il a envie de vomir... Sa tête tourne... Il a chaud... Ses mains se liquéfient... À cet instant, il a tout bonnement envie de mourir et d'être enterré six pieds sous terre en plein milieu du désert, dans un endroit où même les satellites les plus sophistiqués ne pourraient le retrouver...

Après un silence des plus angoissants, les quatre vieux croulants se lèvent enfin. Le nain barbu annonce :

- Monsieur, veuillez vous lever à présent.

- Oui, alors... Avant toutes choses, j'aimerai m'excuser pour les blagues...

- Peu nous importe, Monsieur... Chacun gère son anxiété comme il l'entend. Bref, après délibération, vous avez obtenu un sans faute. C'est épatant ! Par les pouvoirs qui nous sont conférés, vous êtes admis avec toutes nos félicitations. Bienvenue à la brigade criminelle, Monsieur ?

- Tajinne, crie la nouvelle recrue avec un soupir de soulagement !

- Et bien, Monsieur Tajinne, à partir d'aujourd'hui, vous pouvez être fier de porter l'appellation d'inspecteur...

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