Dur travail !

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- Madame, je vous prie... Ou monsieur peut-être. Vous savez, on n'a pas souvent l'habitude de croiser une personne comme vous alors il est fort probable que ma maladresse...

Elle entra. Pas de grand discours, il est vrai. On ne fait pas attendre le Rêve même sur le pas de sa porte. Encore moins dans sa cuisine mal rangée mais il a des choses sur lesquelles on ne peut influer et l'ordre régnant dans ma cuisine étant un élément qui à l'heure actuelle ne me préoccupait pas. Bien moins que notre fameux personnage.

- Faites comme chez-vous, mettez-vous à l'aise.

- A mon aise...

Sa voix était rocailleuse et grave. La chose avait-elle déjà ouvert la bouche ? Ce n'était pas doux et tintinnabulant comme il nous aurait été de penser. Rêver ne devait pas demander de grande capacité vocale.

- Humain, reprit-elle impérativement comme si j'étais prêt à recevoir une tâche importante.

- Oui, répondis-je tremblotant.

- J’ai entendu de ta part des supplications.

J’ouvrit grand les yeux. Moi, j’avais suppliqué ? Il devait y avoir erreur.

- Ne parait pas étonné. On m’a rapporté ton déplaisir à l’encontre de mes créations.

- Je…

- Contredirais-tu mes informateurs ?

Panique, j'étais en panique. Qu'avais-je fait ? Qu'avais-je bien pu faire pour mettre en colère le Rêve lui-même.

- Vous devez… je crois vous appuyer sur…

- La critique que vous m'avez adressée !

- Oh, oui celle-là, bredouillais-je. Ce n'était pas grand-chose vous savez. On parle parfois sans y penser.

Ses yeux perçants se tournèrent vers moi

- Je veux dire, que… vous voyez…

- Je suis venu rectifier mon tire. Oublie tes cafouillages. J'attends ton reproche en face.

J'expirais tous l'air de mes poumons. Misère ! Allais-je vraiment discuté de ça dans ma cuisine avec la ou le (ce truc androgyne n'avait pas de sexe) concerné ?

Trop tard. Ce n'était pas un livreur que je pouvais refouler à l'entrée de mon appartement. Je me gonflais.

- Hum, hum ! Voyez… j'ai reproché un petit peu…

- Beaucoup, coupa-t-il

- Oui beaucoup, j'ai beaucoup reproché à vos rêves de ne pas en être. Je !

Il n'ouvrit pas la bouche cette fois-ci. La critique était piquante, flottait encore dans l'air. Il s'assit à la table et me fixa.

- Les rêves de mes amis sont tous miraculeux et doux et reposant et jolie. Les miens sont fades. C'est la réalité de mes journées en… en bizarre, retranscrit pendant mon sommeil. Vous ne pouvez pas appeler ça des rêves alors que je suis forcé d'aller toutes les nuits au bureau à poil sans aucune autre forme de procès.

- N'est-ce pas imaginaire, questionna-t-il.

- C’est gênant ! Quand j'étais petit je perdais mes dents. Pourquoi maintenant il faut que mon existence tourne autour de ma nudité ou d'une envie pressante d'aller aux toilettes.

- Tu prends bien tes aises.

- Je vous ouvre mon reproche comme vous me l'avez demandé.

Il souffla du nez. Était-il amusé par mon comportement ? Peut-être pas.

- Vous pensez que c'est si facile de créer des rêves bien et fantastiques et tout ce que tu veux pour des insomniaques se couchant à pas d'heure ? Mes rêves sont à votre image.

- Je suis pudique !

- Comment veux-tu que je le sache ? Vos somnifères et autres médicaments me voilent l'accès à votre conscience ! Vous ne me laissez qu'une heure pour vous créer quelques seconds éphémères d'histoire !

- Eh bien…

- Je t'enverrai des licornes si c'est cela que tu désires.

- Ce n'est pas ce que je demande !

- Alors que veux-tu, asséna-t-il.

- Je ne sais pas quelque chose d'un peu plus personnel.

Je pris la peine de relever la tête. Il me regardait toujours mais avec un air un peu plus… contrit ? Peut-être. Cela détonnait avec l'ambiance de la pièce.

- Vous allez bien, hasardais-je.

- Oui, oui.

- Ce n'est pas moi qui étais censé vous exposer mes critiques envers vos rêves ? Vous semblez…

- Si, si ! Reprenez.

- Euh, vous êtes sûr ?

- Non, je ne sais plus ! J'en ai marre ! C'est trop dur ! Vous ne comprenez jamais rien ! J'ai des quotas à remplir chaque nuit. J'ai un boss sur le dos. Et vous ne me facilitez pas la tâche, explosa-t-il dans une gerbe de morve et de larmes.

J’étais surpris par tant d’émois sortant d’un seul coup en vrac.

- Vous voulez en parler.

Il alla prendre un mouchoir.

- On n'a pas de psy pour parler chez nous.

- Vous savez quoi…

Il me regarda avec des yeux larmoyant de chiens battus.

- Oubliez ce que je viens de vous dire. Prenez un jour de repos. Je me contente très bien de votre travail. Détendez-vous ça ira mieux.

¤ ¤ ¤ ¤

Peut-être que j'aurais dû quand même garder ma demande et ne pas le laisser partir si vite. Ce n'est pas qu'aller au travail nu à dos de licorne n’est pas bien, mais c'est franchement dégradant !

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