Chapitre 63 : Une surprise de taille

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La voiture cahotait lentement sur le chemin. Tenant les rênes, Yussev menait les chevaux avec attention. Devant lui, autant que derrière lui, s'étirait une longue colonne : c'étaient les civils et les blessés de Lucknow. Parmi eux, des soldats incapables de combattre, des familles éplorées, des enfants orphelins. Ou des mères qui n'auraient plus assez de larmes pour pleurer leurs enfants morts de faim ou de maladie.

Mais il y avait aussi des mères qui berçaient leurs enfants, comme Sophie et Luna. Il y avait aussi une adolescente regardant avec curiosité tout autour d'elle et souriant parfois, à Pedro, à Yussev ou à Arthur Robinson qui faisait partie de leur escorte et qui chevauchait à la droite de leur voiture. Il y avait aussi deux Indiennes qui prenaient soin de leurs petites maîtresses. Et il y avait un vieil homme, partagé entre le soulagement de quitter la ville, de mettre à l'abri ses proches, et la crainte pour ceux qui étaient restés à tenir Lucknow.

Car il fallait tenir Lucknow. En attendant l'arrivée d'une nouvelle colonne, d'une nouvelle armée, plus nombreuse encore que celle d'Havelock, le général qui allait succomber à la maladie juste après être parvenu à les faire évacuer.

Luna, Myriam endormie sur ses genoux, regardait dans le lointain. Les jours passés à cheminer ainsi, au pas, n'avaient pas été sans aléa. Il leur avait d'abord fallu quitter la Résidence et elle s'était sentie soudain comme en danger, plus exposée qu'elle ne l'avait été durant les semaines, les mois écoulés. Peut-être le fait de laisser Alex, Nagib et William derrière eux était-il la cause de ce sentiment. Ou bien était-ce d'abandonner la Résidence quasiment en ruines. Toutes les femmes avaient été évacuées, même Lady Honoria qui avait tenté, pourtant, d'obtenir de demeurer auprès de Sir Lawrence.

Ils s'étaient assez vite et relativement aisément retrouvés au fort d'Alam Bagh, mais ce ne fut que pour y faire une courte étape avant de reprendre la route vers Kanpur. Elle était sécurisée, mais alors qu'ils approchaient de la ville, le général Campbell qui était à son tour venu pour libérer Lucknow, avait donné l'ordre de conduire les femmes, les enfants et les blessés vers Allahabad. Il craignait en effet que Kanpur ne soit reprise par les rebelles et des combats avaient dû s'engager pour secourir les forces qui tenaient la ville. Alors qu'ils étaient en chemin vers Allahabad, ils avaient appris que Campbell était parvenu à mettre en déroute les rebelles, mais cela avait fait craindre à Luna que ces derniers n'aillent renforcer ceux de Lucknow.

Depuis, ils cheminaient donc ainsi, sous bonne escorte militaire, vers Calcutta. Personne parmi le haut commandement n'avait été en mesure de leur dire ce que l'on ferait d'eux une fois rendus dans la grande ville. Luna espérait simplement qu'ils ne seraient pas évacués vers l'Angleterre : elle n'avait aucune envie de s'y rendre. Alex était resté à Lucknow, pour tenir la position, elle ne voulait pas quitter les Indes. Fort heureusement, Sophie était tout aussi déterminée qu'elle à y demeurer et son grand-père lui avait rappelé que Rodrigo et Isabella se trouvaient à Calcutta et qu'ils allaient s'y installer provisoirement, avant de pouvoir regagner la Casa de los Naranjos.

Car Don Felipe était lui aussi bien déterminé à retourner à Lucknow, du moins quand la paix serait revenue.

Le voyage était monotone, mais Sophie et Brenda, qui avaient vécu l'évacuation désespérée de Meerut, le trouvaient bien plus agréable que ce dernier et leur improbable périple jusqu'à Lucknow. Sophie avait rarement flanché durant le siège, soutenue par la nécessité de veiller sur sa mère tant qu'elle était demeurée en vie, sur sa sœur, soutenue par l'espérance de donner la vie et par la certitude que William allait se battre pour eux tous. Elle ne flancherait pas à nouveau, malgré ses craintes pour son fougueux époux, demeuré avec les troupes à tenir Lucknow.

Quand, enfin, se dessinèrent les murs de Calcutta, tous se sentirent soulagés. Malgré une escorte aguerrie et nombreuse, ils n'avaient pu se départir d'un sentiment d'inquiétude, de la crainte d'une attaque soudaine d'un groupe de rebelles, et ce, d'autant plus qu'ils n'avaient pas été conduits jusqu'à Kanpur comme cela avait été initialement prévu.

A Calcutta, cependant, une surprise de taille les attendait.

**

La colonne des réfugiés fut conduite à travers la ville, jusqu'au palais du gouverneur. Les blessés, qui voyageaient à part des familles, furent menés jusqu'à un hôpital de campagne installé en dehors des murs. En revoyant le palais où elle avait séjourné avec Russell, Luna eut comme un vertige : si peu de temps avait passé et pourtant, cela lui semblait être une éternité. Elle n'avait plus rien de commun avec la jeune mariée montant l'escalier du palais pour y être accueillie par Lord Dalhousie. Elle n'était plus Lady Colleens, mais Madame Randall.

Beaucoup de gens s'étaient massés sur le parcours du convoi, des proches, des amis de ceux qui s'étaient trouvés à Lucknow, voire à Kanpur, au printemps précédent. Ils espéraient des nouvelles, retrouver les leurs en vie. Si certains purent vite se réjouir, beaucoup pleurèrent aussi. Ceux qui espéraient retrouver là des survivants du massacre de Kanpur durent renoncer à cet espoir.

Si Yussev demeurait très attentif dans la traversée de la ville, pour éviter la foule, le regard de Pedro, assis à ses côtés, était tout aussi vif. Ce fut lui qui, le premier, aperçut ses parents et fit arrêter le cocher, un peu sur le côté. Il sauta d'un bond de la voiture et courut se jeter dans les bras de sa mère. Isabella fondit en larmes en serrant son fils contre elle et Rodrigo les entoura de ses bras, soulagé aussi de le retrouver.

Depuis qu'ils avaient appris l'évacuation de Lucknow, l'espoir avait grandi en eux de les revoir, mais aussi au cœur d'une autre personne.

Yussev avait suivi Pedro et aidait Don Felipe, puis Luna à descendre. Celle-ci tourna son regard vers la famille dos Santos, puis porta les mains à son visage en voyant la personne qui se tenait près d'eux. Un peu chancelante, elle fit quelques pas vers elle avant de se jeter dans ses bras.

- Madame Randall !

**

C'était effectivement la mère d'Alex qui se trouvait là. Elle avait pris le bateau pour les Indes avant que n'éclate la rébellion à Meerut et à Delhi. Elle avait été bloquée durant un temps au Caire, puis elle avait pu reprendre son voyage. Après quelques péripéties, elle était parvenue à Calcutta, en plein mois de juin, sans pouvoir aller plus loin. Elle y avait retrouvé quelques familles évacuées de Lucknow avant le déclenchement des troubles à Oudh et, parmi eux, Rodrigo et Isabella. Ces derniers s'étaient empressés de la rassurer sur le sort d'Alex, mais aussi celui de Luna et de Don Felipe. Ils avaient alors, tous les trois, passé l'été et l'automne à attendre des nouvelles, à se soutenir mutuellement.

- Luna, ma chère enfant !

Sonya Randall referma ses bras autour de Luna et la serra aussi fort contre elle qu'Isabella avait serré son fils l'instant d'avant. Les larmes roulèrent sur leurs joues.

- Ma chère petite, répéta-t-elle, je suis si heureuse et si soulagée de vous revoir !

- Alex va bien... parvint à articuler Luna, malgré son émotion. Il va bien...

L'étreinte de Sonya se resserra encore un instant, puis elle s'écarta et fixa Luna.

- Merci de ces nouvelles... Nous avons espéré et nous nous sommes encouragés, Rodrigo, Isabella et moi, mais quel soulagement de vous revoir... Alex est resté à Lucknow, n'est-ce pas ?

- Oui, répondit Luna. Avec William et Nagib.

- Alors, tout ira bien pour lui, dit Sonya avec assurance et son ton réconforta Luna autant que si c'était Alex lui-même qui avait parlé.

Don Felipe était descendu de la voiture et salua avec joie Rodrigo. Les deux hommes étaient visiblement très heureux de se revoir, puis Isabella, écartant un peu son fils, salua Don Felipe à son tour :

- Don Felipe... Je suis si heureuse de vous revoir, moi aussi ! Merci d'avoir pris soin de Pedro... Je le trouve changé !

- Il aura beaucoup à vous raconter et nous aussi... dit Don Felipe, mais je vois que vous avez eu de la compagnie, ici...

- Oui, expliqua Rodrigo. Nous avons vu arriver Madame Randall dans le courant du mois de juin. Il était impossible de quitter Calcutta, nous sommes donc restés ici. C'était à la fois le plus sûr et le plus fiable pour vous retrouver. Mais venez, dit-il, nous avons trouvé une maison très agréable et suffisamment grande pour accueillir tout le monde, d'autant que je vois qu'il y a deux jeunes femmes avec vous...

Don Felipe se retourna vers la voiture où Brenda et Sophie étaient demeurées. Rodrigo s'avança vers elles et dit :

- Bonjour à vous, Madame, Mademoiselle. Rodrigo Dos Santos, pour vous servir.

- Merci de votre accueil, Monsieur. Je suis très heureuse de faire la connaissance des parents de Pedro, répondit Sophie avec un sourire. Je suis Sophie MacLeod et voici ma jeune sœur, Brenda. Nous avions trouvé refuge chez Don Felipe après votre départ...

Rodrigo hocha la tête. Il n'avait pas imaginé que son vieil ami aurait eu à veiller sur d'autres personnes que sa petite-fille. Il monta aux côtés du cocher et expliqua alors rapidement à Yussev où les mener, alors que tout le monde reprenait place dans les deux voitures : Isabella montant avec Sophie, Brenda et son fils, et Sonya se joignant à Don Felipe, Luna, Ameera et Satya.

Rodrigo avait en effet vite trouvé à loger sa femme et lui-même dans une belle maison située à l'extérieur de la ville. Elle était spacieuse, entourée d'un joli jardin. Elle pouvait largement abriter tous les réfugiés de la Casa de los Naranjos et chacun y prit ses quartiers avec plaisir. Après les mois de siège, après la peur, vint le temps du repos et du réconfort pour tous.

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