Chapitre 86 : Sérieuses conversations
- Je vais bien.
Etendus sur le lit, Alex tenait Luna dans ses bras. La soirée était vite passée et ils n'avaient pas été mécontents de tous gagner leurs chambres, après ces derniers jours de voyage. Myriam s'était facilement endormie. Elle partageait la chambre de sa grand-mère, choix qui avait été fait dès leur arrivée à Bhimtal pour, dans un premier temps et les toutes premières nuits, ne pas la laisser seule, puis ensuite, pour permettre à Luna de bien se reposer.
- Mais je suis heureuse que vous soyez arrivés... ajouta-t-elle. Ameera pense que la naissance n'est plus très loin, désormais. Elle est certaine que l'enfant sera là avant la fin de la mousson.
- Peut-être n'attendra-t-il pas la présence de Will, alors, fit Alex en plaisantant.
- Peut-être... Comme Roy n'avait pas attendu l'arrivée de son père, rit Luna. Mais l'important, c'est que vous soyez là...
- Je ne voudrais pas être ailleurs, mon amour.
- Resterez-vous avec moi, Alex ? demanda-t-elle d'une petite voix.
- Comment cela ?
- Vous aviez aidé Sophie...
Il la fixa droit dans les yeux. Une lueur nouvelle brillait doucement dans les perles noires.
- Chérie... La situation était totalement exceptionnelle... Le Docteur Fayrer devait s'occuper de nombreux blessés, suite à l'attaque que nous avions encaissée. Il ne pouvait venir... Et Ameera et Satya n'avaient pas assez de force pour tenir Sophie et l'aider à faire naître le bébé... Vous serez bien entourée. Avec elles et ma mère. Sans oublier Sophie qui passera certainement plusieurs fois... Et je ne serai pas loin.
Elle ne lâchait pas son regard et Alex, pour une fois, eut bien du mal à ne pas baisser les yeux, surtout quand elle lui dit :
- Ne voulez-vous pas voir naître votre fils ?
- Etes-vous certaine que c'est un garçon ?
- Je n'ai aucune preuve, bien sûr, mais... Mais je le sens en moi, dans mon cœur. Alex, je suis sûre que ce sera un garçon.
Alex baissa finalement les yeux, secoua doucement la tête :
- Chérie... Je ne pourrai pas. Je crois que ce serait trop... difficile, pour moi. Vous pouvez me demander beaucoup, mais cela...
- Promettez-moi au moins... D'être près de moi tant que ce sera possible.
- Cela, je peux le promettre.
- Et que si... Si j'avais besoin d'aide, comme Sophie en a eu besoin...
- Alors, je viendrai, fit-il en déposant un baiser sur son front.
Puis il l'embrassa longuement, en proie à une forte émotion.
**
Le début du séjour d'Alex à Bhimtal se passa de manière très agréable. Les températures étaient clémentes, bien plus que dans la plaine et si les averses étaient fréquentes, signe que c'était bien la période de la mousson, elles ne prenaient pas des proportions violentes ou intenses, et ne duraient pas vraiment. Il profita bien de ces journées, pour demeurer avec Luna ou pour faire quelques promenades à cheval dans les alentours. Arthur avait pris l'habitude d'emmener Roy avec lui, en début d'après-midi. Le petit garçon ne voulait plus faire sa sieste, alors que Myriam avait encore besoin de sommeil à cette heure. Et pour qu'il ne l'empêche pas de dormir, il avait trouvé cette parade, en l'éloignant de la maison. Généralement, Roy finissait par somnoler sur le chemin du retour, bien calé entre les bras d'Arthur.
Un jour qu'Alex l'accompagnait, et comme Roy avait fini par s'endormir, il en fit la remarque à son ami :
- Tu as bien su veiller sur Roy, Arthur. Tu as développé une belle complicité avec lui !
- Je crois que Will lui manque beaucoup. En-dehors de Don Felipe et de quelques serviteurs, dont Yussev qui s'est amusé avec lui aussi, il n'y avait que des femmes autour de lui. Il a besoin de repères masculins.
- Et d'autorité aussi, même si je conviens que Sophie ne se laisse pas faire, fit encore Alex.
- Oui, mais elle doit passer beaucoup de temps à s'occuper d'Elisabeth et Roy se sent parfois un peu désœuvré. Alors, je l'occupais comme je pouvais. Et cela soulageait bien tout le monde ! Brenda aussi pouvait souffler un peu, car elle jouait beaucoup avec lui et avec Myriam. Mais par moment, ça fait du bien aussi d'être un peu au calme.
Les deux hommes chevauchaient côte à côte. Ils avaient gagné une grande plaine où ils avaient fait galoper leurs montures, pour la plus grande joie de Roy qui avait encouragé les chevaux à aller plus vite. Mais maintenant, ils avançaient au pas, le petit garçon était bercé par le lent mouvement. Alex jeta à un coup d'œil à son ami, s'assura que Roy dormait toujours profondément.
- Arthur... Tu auras le droit de me dire que je me mêle de ce qui ne me regarde pas, mais... As-tu remarqué comment Brenda te regarde ? Elle me fait penser à Sophie qui n'avait d'yeux que pour William...
Arthur soupira :
- Je sais. Et Brenda est très... attendrissante. Mais...
Il suspendit sa phrase, le regard un peu lointain. Comme il ne disait finalement rien, Alex reprit, doucement :
- Mais ?
- Mais... Je pense qu'elle n'a jamais pu oublier ce que Lord Corneley lui a fait. Elle est toujours très intimidée en présence d'hommes. Même ceux qu'elle connaît bien. Hormis toi, Don Felipe... et quelques autres.
- Et toi, Arthur. Elle n'a pas peur de toi.
Le jeune homme secoua doucement la tête. Alex reprit :
- Je pense qu'en effet, elle n'a jamais pu oublier ce que Lord Corneley lui a fait. Et la peur qu'elle a éprouvée alors. Quelle femme pourrait oublier une telle attitude à son égard ? Un tel manque de respect ? Mais je pense aussi qu'elle se souvient très bien que c'est toi qui l'as tirée de ce mauvais pas, que tu l'as protégée et soutenue. Elle sait que tu ne lui feras aucun mal. En as-tu parlé avec Sophie ?
- Non. Je...
- Arthur, éprouves-tu des sentiments pour Brenda ? Autres que de l'amitié et de l'estime ?
- Depuis le siège, je l'ai toujours considérée comme une jeune amie, parfois presque une... sœur. Aujourd'hui, elle devient une très jolie jeune fille et... et c'est troublant.
- Je comprends, fit Alex avec sérieux. Je n'avais pas vu Luna durant des années, j'avais gardé le souvenir d'une petite fille un peu perdue face à l'Angleterre et à une famille qu'elle ne connaissait pas du tout. Quand je l'ai revue, alors qu'elle avait tout juste seize ans, cela m'a fait un choc aussi. Comme tu le dis pour Brenda, Luna était aussi devenue une très jolie jeune fille. Je ne m'y attendais pas du tout, d'autant plus que j'ignorais que j'allais la revoir ce soir-là. Et pourtant... Malgré tout ce qui s'est passé par la suite, je ne pouvais l'oublier. Je l'aimais. C'était ainsi.
- Au point d'avoir bravé des interdits... souligna Arthur, avant d'ajouter un peu précipitamment : tu sais bien que je ne te juge pas, Alex, ni que je ne me permettrais aucune remarque vis-à-vis de Luna...
- Je sais, Arthur. Tu n'aurais pas accepté d'être témoin à notre mariage dans le cas contraire.
- C'est vrai, reconnut-il.
- Mais tu n'as à braver aucun interdit, Arthur. Et je suis certain que Sophie et William seraient ravis de te faire entrer dans leur famille ! Sophie n'a plus que Brenda...
- Et elle voudra le mieux pour elle, c'est normal.
- Alors, trouve-moi une raison pour laquelle elle pourrait estimer que le mieux ne serait pas toi ?
Arthur ne répondit pas. Son regard se fit à nouveau lointain et Alex n'insista pas. Leur conversation pouvait cependant aider son ami à mesurer que Brenda n'était plus une fillette apeurée, mais une jeune femme en âge de se marier. Certes, elle n'avait que seize ans, et Sophie pourrait juger que c'était un peu tôt, mais rien n'empêchait des fiançailles ou une cour discrète de la part d'Arthur : au contraire, cela renforcerait la confiance que Brenda lui porterait et l'amènerait peut-être à accepter le mariage.
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