Chapitre 91 : Une belle journée

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Et ce fut une jolie fête.

C'était une belle matinée de janvier, une de ces journées douces et ensoleillées que connaissaient les Indes du nord. La Gomti étalait ses eaux turquoise et l'ombre des grands banians s'y reflétait entre les chatoiements du soleil.

Ils avançaient d'un pas tranquille : Alex, monté sur Kashmir, allait devant, Nagib à ses côtés. Derrière suivait la voiture avec sa mère, Luna, Don Felipe et les enfants. Ils approchaient du Stone Bridge et la ville se dessinait sur la rive, sur leur droite.

- Cela va être une belle journée, mon frère, dit Nagib, rompant ainsi le silence.

- Très, sourit Alex. Et c'est un jour attendu depuis plusieurs mois maintenant...

- Je suis certain que Will nous réserve quelques surprises...

- Je le pense aussi. A commencer par l'intervention de Sammy...

- Lui, ce n'est pas une surprise... fit Nagib avec malice.

Ils franchirent le fleuve peu après et se dirigèrent vers les cantonnements. Avant même d'arriver, ils pouvaient deviner que ce n'était pas une journée comme les autres : il n'y avait aucun entraînement, les cavaliers ne faisaient pas courir leurs chevaux, tout paraissait presque étrangement calme. Mais sous les arbres qui bordaient le terrain d'entraînement avaient été dressées plusieurs tables. Des fleurs étaient accrochées aux branches, ainsi que des guirlandes et des lanternes qu'on n'allumerait qu'à la nuit.

- Ah, mes amis ! les salua William en s'approchant. Nous vous attendions avec impatience !

- Oui, fit Roy. Je vous guettais depuis la fenêtre et je vous ai vus arriver ! C'est moi qui ai prévenu papa !

- Sacré bonhomme ! Tu es une bonne vigie ! fit William en ébouriffant la tignasse de fils.

- Papa ! Pas la main dans mes cheveux ! Sinon, maman va me gronder en disant que je me suis encore décoiffé !

- Bah ! Il faudrait qu'elle en prenne l'habitude ! Une touffe de cheveux comme la tienne ne se discipline pas. Ma mère a mis des années à comprendre qu'il fallait laisser mes propres cheveux tranquilles. J'espère que la tienne ne mettra pas autant de temps !

- Alors, débrouille-toi pour lui expliquer ! répliqua le petit garçon.

William éclata d'un grand rire, accompagné par leurs invités. Puis il dit :

- Luna, Madame Randall, vous êtes attendues dans la maison... Don Felipe, on m'a demandé de vous conduire sous la véranda, vous y serez bien pour patienter un peu. Quant à nous, nous allons tenter de faire patienter Arthur... Ameera a dit qu'elle s'occuperait d'Henry, précisa-t-il.

Ameera et Satya étaient en effet arrivées la veille pour aider aux derniers préparatifs, et notamment pour s'occuper de Brenda depuis ce matin.

- Peut-être est-ce Arthur qui te fera patienter, mon frère, dit Nagib avec amusement.

- Nagib, langue de serpent ! Pourquoi te moques-tu toujours de moi ?

- Je ne me moque pas, mon frère ! J'énonçais juste une supposition... Car je pense aussi qu'Arthur doit être bien impatient de voir arriver sa jolie Brenda.

- Allons ! fit William en passant sa main droite derrière les épaules de Nagib et la gauche derrière celles d'Alex. C'est par là.

- Tout droit... fit Alex en souriant.

- Forcément. Pourquoi faire des détours ?

**

Il était difficile de dire qui de Brenda, Arthur ou Don Felipe fut le plus ému lorsque le vieil homme conduisit la jeune fille vers l'autel. Ce dernier avait été installé au-dehors, car aucune église de Lucknow n'avait encore été reconstruite. Le prêtre, de toute façon, n'en était pas à son premier mariage en plein air.

Brenda portait une fort jolie robe de mousseline blanche, avec de fines dentelles qui habillaient pudiquement, mais harmonieusement, ses épaules. Ses longs cheveux blonds avaient été joliment tressés et coiffés, et Ameera y avait glissé une belle fleur orangée.

Devant elle et Don Felipe allait Myriam qui portait un très joli bouquet qu'Ameera avait confectionné à l'aube, avec des fleurs bien fraîches. La petite fille était vêtue d'un joli sari bleu, avec des bordures violettes. Luna portait le même. Mais les couleurs des robes faisaient aussi concurrence à celles des uniformes : Arthur portait celui de son régiment, Will celui de son clan. Nagib avait revêtu son uniforme du Régiment des Guides et Alex portait celui d'apparat. Les épaulettes voisinaient avec les médailles.

En arrivant à l'autel, Don Felipe prit la main d'Arthur dans la sienne et y noua celle de Brenda.

- Capitaine Arthur Robinson, je vous confie pour la vie cette douce jeune fille. Cela fait déjà quelques années que vous veillez sur elle et je ne doute nullement que vous continuiez. C'est une charge, je le sais, dont vous allez vous acquitter avec joie et amour.

- Merci, Don Felipe, répondit Arthur avant d'adresser un franc sourire à Brenda.

Puis la cérémonie commença. Les "oui" s'entendirent dans la dernière fraîcheur du matin, émus, mais francs et clairs. Luna qui se trouvait proche de Brenda se sentit très émue elle aussi. Elle savait ce que la jeune fille avait traversé et enduré, depuis la mort violente de son père jusqu'à retrouver enfin un peu de paix, auprès de la famille de sa sœur. Mais elle allait pouvoir, maintenant, penser à la sienne, à construire aussi sa propre vie et sa propre famille, avec Arthur.

Ce fut au son d'une marche écossaise que tous les invités furent ensuite conviés au buffet dressé à l'ombre des grands arbres. Il y eut beaucoup d'échanges joyeux, de rires, de sourires et de moments d'émotion, parmi lesquels le petit Henry ne fut pas en reste.

Alors que Luna le ramenait avec eux tous après sa sieste, il voulut échapper des bras de sa mère en voyant son arrière-grand-père assis tout proche, dans un confortable fauteuil. Il devisait tranquillement avec le général Bradley. Voyant sa petite-fille s'approcher avec Henry, il leur avait souri et le général de même.

- Quel beau petit garçon ! dit ce dernier. Est-il déjà un peu aventureux, comme Roy ?

- Je crois qu'il est plus sage, sourit Luna. Mais... Henry, que veux-tu ?

Le petit garçon s'était mis à remuer beaucoup et elle comprit qu'il voulait être à terre. Elle le posa alors à côté d'elle, lui prit la main comme elle le faisait désormais souvent : Henry commençait à bien marcher, mais il avait encore besoin de se tenir. Elle sentit pourtant qu'il la lâchait et le regarda, attendrie, faire seul ses premiers pas vers son arrière-grand-père.

- Henry... fit Don Felipe tout ému. Te voilà grand !

- Bapi ! s'écrit-il en riant et en se jetant contre ses jambes.

Don Felipe parvint à se baisser un peu pour l'attraper et le faire asseoir sur ses genoux. Henry se blottit aussitôt contre lui pour lui faire un câlin.

- Il est attendrissant... fit le général Bradley.

- Très, dit Luna. Et il adore Grand-Père. Au point de vouloir le suivre toujours partout. Alors, s'il se met maintenant à marcher tout seul...

A cet instant, elle sentit la main d'Alex se poser sur sa taille. Elle se tourna vers lui et il lui sourit : il n'avait rien manqué des premiers pas d'Henry, même s'il ne se trouvait pas juste à côté de lui. Mais il avait vu Luna revenir de la maison de Sophie et William, où le petit garçon avait été couché pour sa sieste. Et depuis cet instant, il ne les avait pas quittés des yeux.

- Vous avez raison, Don Felipe, dit-il. Le voilà grand...

- Peut-être a-t-il envie de suivre Roy ? suggéra Nagib qui s'approchait lui aussi. Il va falloir marcher plus vite, Henry, si tu veux toi aussi être quarante pas en avant !

- Qui encore veut aller plus vite que moi ? entendit-on par derrière.

- Ton neveu pourrait bien développer aussi quelques velléités, répondit Nagib avec un petit sourire taquin. Il vient de faire ses premiers pas.

- Alors, il est prêt à être enrôlé dans mon régiment ! dit William dans un grand rire.

Mais Henry ne semblait pas du tout d'accord et préférait de loin les genoux de son aïeul, avec lequel il commença une conversation qu'eux seuls pouvaient comprendre.

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