Le pouvoir et les familles nobles avaient minutieusement organisé le défilé à venir pour la brigade de Malden. Leur départ avait été programmé longtemps à l’avance comme la plupart des choses dans la cité nation. Ce défilé donné en grande pompe avait pour but de montrer la puissance impériale au peuple et rappeler à chacun qui dirigeait la ville, l'Empire. Les hommes de la brigade allaient se pavaner dans la cité nation dans leurs uniformes neufs sous les yeux des puissants et des habitants d'Aldius. Nombreux étaient ceux dans les rangs de la brigade qui n’avaient jamais porté d’habits aussi soignés et nombre de ceux qui allaient inspirer les gens dans leurs beaux uniformes durant leur défilé n’allaient jamais revenir.

Tous dans la brigade auraient la « chance » d’apercevoir sa Majesté l’Empereur et ses nobles compères dirigeants les saluer depuis leurs estrades. Les hommes de la brigade allaient tous connaître la liesse et les festivités du départ, connaître un dernier moment de joie avant leur plongeon brutal dans un monde bien différent.

Malden souriait à cette pensée, ses camarades officiers étaient pressés de rejoindre le front et pourtant nul ne connaissait vraiment l’endroit où ils allaient partir.

Les jeunes officiers fraîchement sortis de l’école de guerre allaient rencontrer la guerre, la misère et la mort. Ils avaient tous été bercés par les mythes et légendes de glorieux ancêtres qui avaient motivé leur enrôlement au contraire des simples soldats embrigadé de force. Mythe qui avait également motivé Malden fut un temps. Mais ils allaient pourtant tous vite déchanter et voir leur vision romancée de la guerre s'effriter face à la dure et implacable réalité. Révéler son vrai visage, celui d’un monstre qui fauche sans distinction. Qui fait couler le sang aussi bien des nobles que celui de la populace de l’Empire censé être inférieur. Tous allaient être égaux face à la mort et cette pensée aurait fait plaisir à Malden si les généraux avaient été de la partie. Mais c'était bien les jeunes officiers et leurs soldats qui allaient donner leur vie et non les vieux gradés qui envoyaient les jeunes à la mort.

Les hommes qui composaient les troupes étaient en grande partie présent contre leur gré. Depuis quelque temps déjà, la garde menait des rafles pour recruter de forces les « volontaires » de l’armée et combler le quota d’engagés annuel. Entre ça, la menace de l’emprisonnement ou l’attaque de ses proches, nombreux étaient ceux à courber l’échine. La brigade était ainsi composée d’un amalgame d’hommes aux horizons différents. Citoyens ou colons des lointaines possessions de l’Empire, car nul ne pouvait se défiler face à la guerre et au pouvoir qui demandait toujours plus de vies.

Malden avait quant à lui rejoint l’armée, car il ne lui restait pas de nombreux choix de vie. Il n’était pas né avec des pouvoirs surnaturels comme son frère Alek et il n’était sûrement pas né en tant qu’héritier de la famille. Ce cadeau avait été fait à Vilius, le jumeau de Paul qui s’était vu offrir la chance de sortir le premier lors de l’accouchement de leur mère. Étrange coup du sort sachant la différence entre les deux jumeaux. Paul aurait été un bien meilleur choix, mais la tradition avait la peau dure et les transgressions étaient rares dans leur société. La famille allait un jour reposer sur Vilius, si tant est qu’il en soit capable. Mais cela ne concernait plus Malden. Il allait partir, se couvrir de gloire ou mourir pour sa patrie.

Alina, sa mère, avait mal accepté sa décision, au même titre que sa sœur Louise. Comme si les femmes comprenaient mieux la folie qui pouvait prendre les hommes et les pousser à s’entretuer pour des questions de politiques ou de simples différences culturelles. Cependant Lèvius leur avait parlé et tous dans la famille s’étaient accordés sur le fait d’encourager Malden. Après tout, il avait juste voulu quitter sa cage dorée, la prison qui l’enfermait dans des réceptions et autres devoirs qu’imposait son rang depuis de trop nombreuses années.

Maintenant il allait connaître les mêmes aventures que son père, vivre de ses choix. Mais Malden était conscient des risques. Il se rappelait, malgré son jeune âge, l’époque où son père était pris dans de sortes de crises après son retour du front. Des passages où Lèvius avait semblé absent, coupé du monde qui l’entourait en étant plus qu’un pâle reflet de lui-même. Mais il s’était remis avec l’aide d’Alina et ne parlait que peu de l’époque où il servait sous les drapeaux.

Malden se rappelait d'un moment, d'une soirée seulement il y a quelques mois de ça ou Lèvius avait parlé de son vécu à son fils. Ce qui n’aurait dû être qu’un bref salut s’était alors transformé en une soirée de discussion et Lèvius avait raconté son expérience au front. Une vie de danger et de stress ou la mort attendait au tournant. Il avait demandé à Malden les raisons de son engagement. Ce dernier avait senti qu’un simple désir d’aventure lui aurait valu l’un de ses regards sombres que savait si bien donner le baron Devràn. Mais le père de Malden avait compris son fils et dès lors l’avait mis en garde quant à la réalité des choses. Face à son désir de liberté qui pouvait tout aussi bien le mener à sa propre mort.

Mais pour Malden partir n’était pas juste une envie, un désir, mais bien aussi un devoir. Après tout, il était l’un des membres de la famille Devràn. L’un des fils du « héros » des plaines de cendres. Malden n’était pas pressé outre mesure de rejoindre les affrontements, loin de là. Mais ses motivations et la bénédiction de son père l'avaient renforcé dans ses convictions et son désir de partir.

Il allait ainsi s’en aller avec les nobles pompeux, idéalistes ou sots chargés de mener les troupes. Il allait aussi partir avec les hommes de son unité. Des soldats qui représentaient bien la ville, l’Empire et qu’il avait appris à connaître.

Malden qui marchait dans l'allée principale du hangar ne croisait d’ailleurs aucun autre de ses camarades officiers. À cette heure tardive, seuls les simples soldats trimaient encore dans l’imposante construction.