Malden - 1.4
— Ha, lieutenant Devràn toujours pas rentré ? Je croyais qu’il n’y aurait que des hommes de notre condition pour occuper un tel lieu à une heure si tardive, dit le mécanicien de l’unité aux cheveux grisonnants.
— Je lui avais bien fait remarquer que ses « obligations » allaient se rappeler à lui douloureusement par son père lors de son retour, Colm, mais vous connaissez notre cher officier. Toujours à s’en faire pour ses soldats, répondit Milo en posant sa main sur l’épaule du Lieutenant Devràn en souriant avec le mécanicien.
— Un repas de famille peut bien attendre encore un petit peu et puis je devais venir. Être sûr que vous ne vous étiez pas attiré à nouveau des ennuis avant notre départ.
— Nous !? fit le chef mécanicien aux favoris noircis par son chalumeau en faisant des grands yeux à Malden.
— C’est bien ça, vous, qui aviez volé un moteur aux gars de Burrows il y a deux jours ?
Colm était le plus âgé des soldats de Malden, à vrai dire de la brigade même. Il avait entrepris de descendre du chenillard qui devait avoisiner les quatre mètres de haut s’essuya les mains sur son tablier marron avant de poser son masque d’acier de soudure sur une table non loin avant de reprendre.
— Si par voler, vous insinuez gagner, alors oui. On a affronté les hommes de son unité. Les fameux soldats de la section Burrows, des serpents à l’image de leur maître si vous voulez mon avis. Padduck désirait à tout prix les plumer et ils en sont venus à parier leur moteur de rechange. Ce n’est pas de ma faute s’ils sont cons au point de mettre en jeu du matériel officiel. Et puis on ne va pas se plaindre, au moins on a des pièces de substitution à plus savoir qu’en faire maintenant.
— D’où l’humeur exécrable de Burrows en sortant de la salle de réunion tout à l’heure… j’ai eu droit à "un échange plus que cordial" avec lui. Ses soldats ont dû lui rapporter cette affaire et il m’a pris en grippe encore plus que ça ne l’était déjà. En parlant de Padduck, il n’est pas là ?
— Si si, je suis bien présent fit une voix forte provenant de derrière Malden.
Le dénommé Padduck, un homme d’une stature plus qu’impressionnante et à la barbe fournie s’approchait des chenillards une mitrailleuse sur l’épaule et une caisse qu’il tirait sur le sol.
— Volé ? dit Malden en montrant Padduck chargé comme une mule.
— Hein !? Non, j’ai échangé cette mitrailleuse contre une partie de notre gnole.
— La substance plus que suspecte que tu fais mijoter depuis des mois dans ton alambic ?
Pendant qu’il assénait un coup de pied dans le chenillard pour alerter les soldats à l’intérieur, Padduck reprit.
— Allons vous dites ça, car vous ne l’avez pas goûté lieutenant, Colm tu l’as bien aimé toi, hein ?
— Je préfère laisser les gens se faire leur propre avis.
—Lâcheur, rétorqua Padduck tandis qu’il donnait son chargement aux hommes qui étaient sortis de l’engin.
— Si elle est si mauvaise que ça, je pourrai employer cet alcool pour une utilisation médicale, fit Milo en se réjouissant de la chose.
— Et gâcher le fruit de mon travail sur le premier mourant venu où vos outils de bourgeois flambant neuf !? répondit Padduck le visage affichant son refus catégorique. Et, toi, dit-il à l’un des hommes qui avaient monté la mitrailleuse dans le chenillard. Amène-nous donc un verre du baril, celui avec la croix bleue.
Le soldat s’exécutant disparut dans l’une des nombreuses trappes de l’engin d’acier. Il en ressortit avec une petite coupe grise qu’il tendit à Padduck.
Malden, qui avait saisi l’espèce de coupe des mains du colosse, se mit à essayer le fameux breuvage. Ses lèvres rentrèrent en contact avec l’acier froid et bientôt le contenu. L’alcool était puissant, les senteurs montantes jusqu’à son nez et pendant l’espace d’un instant, il n'humait plus l’odeur âcre de la graisse et de l'essence qui couvait le hangar de son effluve tenace. Mais bien celle du breuvage corsé qui l’agressait.
Il manqua de s’étouffer après seulement une légère gorgée. Malden rendit la coupe à Padduck qui était tout heureux.
— Alors ?
— Que les Dieux me protègent, tu veux nous empoisonner, articula Malden à nouveau pris de toux.
— J’comprends pas, commença le colosse le visage étonné par la réaction de son officier… Les hommes de l’unité l’ont pourtant trouvé correct.
— Dis plutôt qu’ils avaient trop peur de te dire le contraire, fit Milo.
— Vous pouvez parler doc’, vous ne l’avez même pas goûtée !
— Et je compte bien garder tous mes sens intacts encore un petit moment, fit Milo en refusant la coupe qui lui était tendue. Enfin après des jours au front sans ravitaillement ton poison sera sûrement apprécié par tout le monde.
— Ce jour-là, je ne vous en donnerais pas !
— On dirait qu’on a blessé notre grand balourd de sapeur, dit Malden.
— Bon vous ne devriez pas rentrer dit Colm, le mécanicien de l'unité qui n’avait pas perdu une miette de l’échange entre les trois hommes.
—J’y vais de ce pas, tâchez d’être en forme pour le défiler demain. Entre toi qui es normalement trop âgé pour servir et l’autre qui a dépassé la taille réglementaire de loin, je me demande ce que fait le commandement à me donner de tels individus.
— Avouez que ça fait le charme de notre unité, les anomalies des recruteurs de Sa Majesté Impériale !
— Si vous le dites. Bon, sur ces bonnes paroles je me sauve, je dois me dépêcher d'aller à la maison des Ombres avant que les familles et soldats ne s’y précipitent avec le départ de demain.
— Puis votre repas de riche… vous ferez une prière pour les pauvres hères que nous sommes, lança Padduck d’un air plus sérieux.
— Je n’y manquerais pas, dit le lieutenant Devràn en enfilant la casquette et le long manteau militaires que lui tendait l’un des hommes de l’unité pour se protéger de la pluie extérieure.
Il remercia le soldat qui lui avait apporté ses affaires et après avoir été salué par les autres membres de son unité, Malden quitta les lieux.
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