Lèvius - 2.4
— Et toi un peu de respect ! on te l'a déjà dit Paul, reste à ta place. Il tourna son regard vers Louise encore souriante, il reprit. Quant à toi au lieu de pouffer comme ça, tu n’es pas censé te marier et « aider » la famille en créant une alliance.
La seule phrase de Vilius avait suffi à jeter un froid sur la tablée et les conversations pourtant nombreuses s’étaient arrêtées.
— Allons, les enfants, essayer de vous entendre au moins pour ce dîner.
Peu prirent la parole bien évidemment et Paul tenta alors de calmer la situation en changeant habilement le sujet de la discussion.
— Oui mère, fit-il. D’ailleurs, pas trop stressé pour demain Malden ?
Lèvius, qui avait reporté son attention sur Malden, décerna bien succinctement le « fayot » que lança Vilius à son frère.
— Stressé ? fit l’intéressé un peu perplexe. Le défilé prévu est juste une énième marche. On a déjà passé d’innombrables heures à la répéter dans les hangars de l’armée. C’est ancré en nous maintenant.
— Un seul grain de sable dans votre belle parade et tout partira à vau-l'eau …
— Comme bien souvent dans cette ville non ?
— C’est sûr mon fils, fit cette fois le Baron. Mais toute la cité nation aura les yeux rivés sur vous.
— J’ai hâte de voir le gratin d’Aldius nous observer. Voire leur faux sourire face à ceux qu’ils envoient à leur guerre.
— Alors, regarde bien, car ils ne mettront jamais un pied sur le front.
L’intendant Agathon avait amené les desserts et le repas de la famille commençait à approcher de son terme. Mais, comme auparavant, les plats ne furent pas les seuls arrivants. Le capitaine Braggs avait fait son apparition et bien silencieusement, il s’était dirigé vers le Baron. Il lui tendit un billet, le le salua et quitta les lieux avec les servants sans prononcer un mot fidèle à son habitude.
Lèvius dénoua le petit papier froissé dans ses mains sous le couvert de la table, Lèvius lut le contenu. Le court message était une retranscription écrite de télégramme :
_Assassinas confirmer dans l’usine_Aucune piste visible_Magister du collège Vilaniùme engagé dans une fusillade_ Suspicion probable envers la faction des Kardoffs_Possible implication de la garde_
Le Baron ferma le court message, Lèvius le froissa avant de le ranger dans l’une de ses poches. Après avoir goûté le dessert pour ne pas dire repousser, il se mit debout aidé par sa canne.
— Ce repas fut fort appréciable, Vilius essaye d’être plus mature et moins incisif. Observant le large sourire de Paul, il reprit. Toi aussi, la faute est partagée. Bon, avant que je ne retourne à mon bureau, je voulais faire une dernière chose.
L’intendant Agathon, qui n’eut nul besoin d’ordre, agita la minuscule cloche qu’il avait sortie de sa poche et un homme muni d’un imposant appareil entra dans la pièce. Le nouvel arrivant, une petite personne joufflue et âgée, portait son lourd équipement tant bien que mal.
Les servants qui débarrassaient la table s’étaient déjà dotés de deux chaises qu’ils avaient posées vers un ancien tableau accroché au mur. Une œuvre dépeignant le père de Lèvius et la famille Devràn en son temps. Les enfants d’Alina et Lèvius s'étaient répartis autour de leurs parents qui s’étaient assis sur les deux places centrales. Juste en dessous de la peinture qui avait représenté la génération précédente.
L’homme qui officiait en tant que photographe s'installait devant eux et se pressait de disposer son outil de travail de la meilleure façon possible. L’engin était une petite boîte d’acier et de bois dont la face avant semblait être terminée par un tube muni d’une lentille de verre. Le tout soutenu par de longs pieds. Sur sa paroi arrière l’appareil était équipé d’un voile noir derrière lequel l’artiste disparaissait pendant ses préparations.
— C’est un honneur Baron, fit le photographe le front luisant avant de s'évanouir à nouveau derrière la protection de la machine qu’il avait installée.
— Une surprise des plus appréciables, dit Alina qui avait compris la manigance de Lèvius.
— Je trouve aussi, lui répondit le Baron.
— Essayez de sourire, fit Alina à ses enfants.
— J’aurais aimé qu’Alek soit là, ajouta Lèvius qui avait chuchoté à sa femme.
Alina, assise à sa droite, serra sa main.
Le photographe qui avait fini ses préparatifs derrière son engin agrippait à présent une sorte de petite partie déportée en acier. Son autre main était quant à elle sur la gâchette de la boîte. Après s’être assuré de la correcte disposition de son outil de travail, il prit la parole.
— Prêt, un, deux et... trois.
L’appareil en bois émit un genre de cliquetis audible, la tige grise et le support que l'homme tenait, dégagea un impressionant nuage de fumée en même temps qu’un flash de lumière lorsque le tout fut actionné.
— Voilà, dit le photographe. Ça devrait se développer en une journée et je vous apporterais alors le résultat au plus vite.
Il fut de suite remercié par Lèvius qui se relevait. le photographe quitta les lieux après avoir plié son matériel guidé par l’intendant de la maison.
— Bon, tu viens avec moi Malden ?
— Je vous suis père, répondit l’intéressé en emboîtant le pas au Baron Devràn.
⁂
Le Baron qui avait quitté le repas secondé par Malden avait à nouveau emprunté les longs escaliers de la demeure. Après avoir progressé d’une bonne allure suivie par son fils dans son sillage, Lèvius arriva face à la porte de son cabinet. Il l'ouvrit et entra dans une salle bien sombre. Il semblait toutefois connaitre par cœur les lieux, il se dirigea vers le centre et actionna la molette de l’une des lampes.
Un halo de lumière encadra naquit dans la pièce et les deux chaises qui y prenaient place. Lèvius invita Malden d’un signe de main, il se porta quant à lui vers son bureau et l’objet emballé qui était reposé dessus.
Il revint vers son fils et les sièges, il installa son élément bien mystérieux contre la table de la lampe et s'assit à son tour.
— Je vois que tu ne t’impliques plus dans les querelles de Vilius et Paul.
— Leur chamaillerie vous voulez dire. Il n’y a nul besoin de mon intervention, ils grandiront bien un jour.
— Je l’espère, tu peux me tutoyer d’ailleurs.
— Bien, qu’est-ce que tu as amené, fit Malden de manière maladroite en indiquant l’objet encore dissimulé dans son voile de tissus blancs.
— Quelque chose que je souhaitais te donner avant ton départ, empoignant la chose en question, il le tendit à Malden en étudiant sa réaction.
Ce dernier, qui avait commencé à enlever délicatement le tissu, laissa apparaître le sabre ouvragé qui s'y cachait. Il saisit l'arme et la fit glisser hors de son fourreau pour mieux admirer les décorations sur l’acier de la lame. Les inscriptions du nom de la famille et de leur devise y siégeaient en bonne place, il ne put que remercier le Baron.
— Autant qu’elle serve, mon père me l’avait donné en son temps et je l'imite simplement de même. À peu de chose près, tu peux la prendre si tu me promets de la ramener en mains propres.
— J'essayerais, fit Malden souriant.
— Essayer n’est pas assez. D’après mes renseignements, tu seras sur le front centre avec un des trois maréchaux.
— Un ami ?
— Non loin de là. Si tu arrives à te faire muter, fait le, le frère d’Horace s'occupe, lui, de la partie Est.
— Merci pour l’information, d’ailleurs pourquoi n’es-tu jamais devenu toi-même un des trois maréchaux de l’Empire ?
— Car mon frère aîné étant décédé et il n’y avait personne pour reprendre les rênes de la famille. Quoique ma sœur aurait pu le faire aisément, mais ce n'était pas très bien vu. Ce n'est notre tradition. Et puis elle est morte peu après mon retour.
— M’apprendras-tu un jour ce qui t'a donné le titre de héros des plaines de cendre, ainsi que la blessure a ton genou ?
— Quand tu reviendras peut-être, ou peut-être que tu comprendras qu’il n’y a rien de bien à retenir quant aux vieilles histoires de guerre. Ha et pendant que j’y suis, comment avance l’aéronef de Paul ? Observant le visage surpris de son fils, Lèvius réagit. Quoi, tu pensais que j’étais si aveugle que ça, ne t’en fait pas, je ne dirais rien à ta mère. Il compte s’engager pour la course annuelle des spires ?
— En effet, vous n’avez pas sélectionné de représentant…
— Et j’attendais de voir qui essayerait de prendre sa place. Chacun fait ses choix et je ne peux que vous encourager à faire les vôtres. Que ce soit toi, Paul ou bien même Vilius. Et puis ta mère m’aurait assassiné si j’avais réalisé la proposition de mon propre chef.
— Quoique dans le cas de Vilius il n’y ait pas vraiment de choix à faire, non ?
Montrant son désaccord dans son regard, le Baron continua.
— Il n’est pas si simple d’embrasser le rôle d’héritier ne soit pas trop dur avec lui.
— C’est plutôt lui qu’il l’est avec tout le monde. Avant que Lèvius ne puisse reprendre, quelqu’un vint toquer à la porte.
Lèvius mit fin à la discussion, le Baron et son fils se levèrent tandis qu’un servant apporta un plat complet du dîner.
— Pas rassasié ? fit Malden songeur alors que l’employée de la maison quitta les lieux après avoir posé le repas sur l’une des tables.
— Ce n’est pas pour moi, observant le regard de son enfant Lèvius continua. Tu comprends que je ne peux rien te dire.
— Ordre de madame ?
— Ta mère sait ce qu'elle fait et ce que vous devriez en être conscient. Ne la sous-estime pas.
— En effet, mais je pars, il faudrait peut-être arrêter les secrets vous ne pensez pas ?
— Parfois il vaut mieux ne pas se frotter certaines réalités de notre monde, rester dans la douce ignorance.
— Si vous le dis bon, je vais y aller merci encore pour ton cadeau et on se voit à la parade.
Par pure habitude Malden se remit a vouvoyer son père.
— Oui fils, et oublis pas une chose. Comme me l'avait confié mon père en son temps, on fait ses propres choix et on doit vivre avec eux. Au final, ils nous forgent et nous transforment alors ne devient pas quelqu’un d’autre par l'action d'autrui.
— J’essayerais père, j’essayerais.
Pendant que Malden délaissait les lieux, le Baron saisit l’assiette de repas et aidé de sa canne quitta à son tour, le bureau, son antre, et prit contrairement à Malden l’escalier qui continuait à monter.
Il ouvrit la grille qu’il le terminait, il s’engagea dans les combles bien poussiéreux.
lèvius s’arrêta face à une porte propre comparée au reste de cet étage, il la déverrouilla en sortant une clef qu’il tenait jusque-là cachée dans la plus secrète de ses poches. La salle dans laquelle il entra était bien éclairée, et même chaleureuse. Une vraie chambre secrète. En ce lieu, le Baron observa bien vite la paire d’yeux violets qui le fixaient, puis le sourire de la personne les possédant.
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