Neavia - 3.2
Le petit groupe quitta rapidement le village et ses abords, évitant soigneusement les autres membres du clan qui auraient tenté de les arrêter. Contournant donc les patrouilles de chasseurs qui sillonnaient les terres des Ehnşceïds.
Druïg, qui menait la marche, guidait la troupe toujours plus profondément dans les montagnes où s'inscrivait le hameau. La pluie était harassante. Le chemin, lui, bien difficile. Ce n’étaient pas les étendues dans lesquelles Neavia avait l’habitude d’évoluer. Ce n’était point des ruines d’antan. Mais bien des massifs rocheux ou le moindre faux pas pouvait avoir de vastes conséquences.
Le tonnerre grondait, la journée nuageuse éclairait faiblement le groupe. Ils étaient comme des ombres se mouvant dans le dédale grisâtre de pierres. Neavia, qui avait démarré la marche résolue à avancer vite pour gagner le plus de temps, se vit coupée dans son élan. Les heures passèrent et se succédèrent dans ce morne endroit. Les dirigeables étant partis vers le nord, Druïg avait choisi le plus court trajet pour les ports impériaux se trouvant dans cette direction.
La chaîne de montagnes revêtait ainsi le rôle de premier adversaire que les chasseurs devaient affronter dans ce périlleux expédition. La nature reprenait lentement ses droits dans ces hauteurs. Même des décennies après la chute, le monde luttait encore pour effacer ses stigmates, les nombreuses cicatrices qui zébraient la surface de Céresse de leurs tristes empreintes. L’une d’elles creusait d’ailleurs l’épaisse roche non loin des voyageurs, des vapeurs peu avenantes en sortaient sous l’effet de la pluie.
Aidé à gravir un relief qui gênait son chemin, Neavia saisit la main tendue par l’un des chasseurs qui la précédait pour se hisser sur ce qui se présentait à elle comme un « belvédère » sauvage. Un espace dégagé sur le flanc de la montagne avec une vue à couper le souffle sur la région alentour.
Le gris des rochers et des ruines se mélangeait au vert de la forêt. De la nature qui grignotait toujours plus de terrain. Les arbres bougeaient face au vent qui balayait Céresse. Une bourrasque perçante que Neavia sentait jusqu’à ses mains engourdies, tourmentées par le temps et la dureté de sa piste.
Elle frotta ses doigts pour les réchauffer, à présent immobile face au vide et à la vue qui lui était offerte.
Le village était à peine visible depuis ce point. Il prenait place sur les premiers contreforts des montagnes. Le dôme partiellement écroulé se trouvait inscrit dans le décor comme une simple ruine supplémentaire qui cachait aux yeux du monde le peuple de Neavia. Qui les protégeait des dangers, des menaces bien tangibles qui planaient sur Céresse.
Comme chaque sortie qu’elle entreprenait, la jeune chasseresse pouvait voir les inventions des Impériaux peupler le ciel. Les engins se mouvaient avec l’écosystème du monde bien vivant dans ces inatteignables hauteurs. Un populeux banc de Tärätosc s’enfonçait d’ailleurs dans les nuages. Les dirigeables des prospecteurs ne devaient pas être loin derrière, armés aussi bien de leur barbarie que de leurs meurtriers harpons ou fusils.
La mort était partout, les bruits de la faune même atténués par l’orage et la pluie résonnaient dans la montagne. Les cris des griffeurs, les grondements des Tärätoscs*, tous accompagnaient les chasseurs sur les pistes.
Quittant le décor lointain, Neavia rejoignit les autres membres du groupe qui s’étaient approchés d’une des parois de ce « belvédère ».
La roche grisâtre ponctuée de lichen se trouvait creusée. Une petite alcôve prenait place en offrant un espace protégé des affres du temps. De la pluie qui s’abattait sur ses observateurs. Étudiant avec plus d’attention cet espace, la jeune chasseresse put voir les bougies éteintes qui encadraient différentes effigies de bois. L'une d'elles, tombée, était remise droite par un des camarades de Neavia. Différents pétales de fleurs peuplaient également l’alcôve donnant un effet de modeste lieu saint presque irréel dans ces difficiles montagnes.
Les chasseurs priaient, se recueillaient face aux figures de la mère Nature pour invoquer quelques protections pour le voyage. Pour la survie de leurs familles et amis capturés par l’Empire. Que les ancêtres nous guident sur la voie, entendit Neavia. Elle se joignit à ce moment de communion. Oubliant pendant un instant le monde qui l’entourait, elle psalmodiait en récitant les mots saints inculqués par la Keşic du clan.
— Il nous faudra bien toute l’aide possible pour notre voyage, chuchota Druïg aux côtés de Neavia.
— Et te revoilà pessimiste.
— Réaliste, plutôt, mais la Mère Nature nous aidera, je n’ai pas de doute sur cela.
— Je voulais te demander, commença Neavia en s’éloignant de l’alcôve et de ses occupants. Es-tu déjà allé dans le nord ?
Druïg acquiesça.
— Avec ton père, figure toi, juste avant qu’il ne devienne un des gardiens du clan.
— C'est si différent de nos terres ?
— Le nord ? Je dirais simplement que Céresse est riche. Mais tu vas vite comprendre pourquoi ce vieux Dalbör se faisait du souci pour toi. Par delà les montagnes se cachent des marais, des forêts et des ruines bien particulières. Des endroits fourmillants de vie, d’animaux et de clans. Mais c'est aussi un monde bien plus dangereux que nos terres. Les impériaux ne contrôlent pas entièrement Céresse, c'est d’autant plus vrai au nord et tu verras qu’ils ne sont pas les plus grands prédateurs qui nous guettent.
— Tu sais mettre à l’aise…
— Je ne dis que la vérité, enfin, tu t'apercevras par toi-même. Mais c’est là notre route, ta route. Céresse nous a placés sur cette voie. À nous de faire de notre mieux pour réussir dans notre entreprise.
— Puisse-t-elle nous guider… conclut la chasseresse avant de reprendre. Tu vois le pic ? dit cette fois Neavia en montrant d’un signe de tête le point le plus élevé de la chaîne de montagnes.
— Hum, oui ?
— C’est l’endroit le plus éloigné de chez nous que je découvrirais.
— Ta porte vers l’inconnue, déduit Druïg en souriant.
— En quelque sorte.
— Et qu’est-ce que cela te fait ?
— Je ne saurais pas encore le dire, lui répondit Neavia en se mordant les lèvres. Aussi étrange que cela puisse paraître.
— Cela n’a rien d'étrange au contraire. J’étais comme toi la première fois que je me suis aventuré loin de nos terres. Tous les hommes que tu vois ont connu la sensation par laquelle tu passes, ne t’y trompes pas. Si c’est la peur qui t’étreint, ça veut dire que tu prends notre voyage au sérieux. Pas besoin de me mentir sur cela…
— Depuis quand es-tu devenu un tel penseur toi !?
— Ha ha, depuis qu’une bonne partie de nos amis se sont fait capturer par les Impériaux.
Neavia ne pouvait qu’être d’accord…
— Bon, il est temps ! s’exclama Druïg en se retournant. Il frappa les rochers qui tapissaient le sol de la crosse de son arme pour attirer l’attention des membres du groupe. Dressons le camp ici, nous avons encore deux jours de marche pour passer le sommet de ces montagnes. Profitons d’un peu de répit tant que c’est possible, Dremonhd, tu prends la première garde.
Alors que le chasseur acquiesça face à la mission qui lui était confiée, les autres se mirent donc à préparer l’endroit.
Des toiles étaient sorties des sacs et un arbre creusé pour démarrer le début d’un discret feu. Les discussions étaient rares, tout le monde avait les sens en alerte avec les différents bruits d’animaux qui peuplaient les montagnes. Ce fut dans ce cadre peu engageant que Neavia essaya de dormir après sa première et éreintante journée de marche.
*
- Tärätosc : Ce nom désigne certains mammifères aériens de très grande taille. Ils sont connus pour peupler le ciel de Céresse et vivent en banc ils chassent différents animaux qui vivent également dans le ciel. Ils sont prisés et traqués par les Impériaux et Unioniste pour leur chair et leur huile de grande qualité.
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