Malden - 4.2
Les déplacements se trouvaient limités dans ces corridors étroits. Les soldats avaient leurs quartiers de part et d’autre de la courte voie de passage et de nombreuses personnes allaient et venaient sur les planches traîtresses qui recouvraient le sol difficile. Nombreuses furent les fois où Malden et son camarade durent se coller contre les parois pour continuer leur route avec les patrouilles qu’ils croisaient.
Au détour d’un carrefour, Malden tomba face à plusieurs individus tentant de jouer quelque air de musique. Il y avait de tout entre leurs mains avec aussi bien des instruments à cordes qu’à vent. Mais point de chef d’orchestre pour coordonner toute cette troupe.
Les sonorités douteuses accompagnèrent les deux soldats durant un bon moment. Jusqu’à ce que leurs mélodies soient supplantés par les bruits des machines et des hommes en plein travail. Le chemin de Malden l’avait menée jusqu’à une aire de stockage, un grand espace creusé dans la terre en presque extension des tranchées. Des automates bipèdes et même quadrupèdes de toute sorte aidaient les impériaux à empiler les caisses et barils qui recouvraient l’endroit. Il y avait une énergie qui régnait en ce lieu. Une ambiance bien distincte des défenses environnantes. Une concentration de la part des soldats quant au travail qui leur avaient été donnés.
Se frayant un chemin en accordant une extrême attention aux machines alentour pour ne pas finir sous leurs lourdes pattes d’aciers, Malden continua de suivre les indications menant aux cantines. Ces dernières furent atteintes lorsque son nez huma les effluves appétissants qui coupaient net avec les diverses odeurs d’huiles ou de carburant qui peuplaient d’ordinaire son univers.
Comme annoncé, l'endroit était bondé.
Nombreux étaient les combattants attirés par cette oasis de nourriture, cette vision rafraîchissante et différente de leur pauvre quotidien.
De vastes constructions prenaient place, creusées dans les parois de terre des tranchées. Les roulottes d’acier des cantines étaient disposées sous le couvert d’épais toits en rondins. Les cheminées étriquées qui dépassaient de ces derniers laissaient échapper des petites fumerolles grisâtres ainsi que les fameuses odeurs du plat journalier.
Une importante troupe de cuisiniers et d’aides tournait entre les caravanes de campagne. Quelques hommes touillaient de leurs longues louches des chaudrons tandis que d’autres entretenaient la chaleur de leurs fours en y insérant toujours plus de bûches avalées par les voraces flammes qui réchauffaient, il fallait le dire, autant les personnes que les mets.
Tous suaient à grosses gouttes dans ce lieu de travail. Mais les nombreux cuisiniers se trouvaient supplantés en nombre par la horde de soldats qui s’agglutinait face au comptoir et aux quelques serveurs qui leur donnaient les tant attendues rations du soir.
Encore une fois, nulle différence ne séparait les individus qui se jetaient avec avidité sur la nourriture. Leur empressement frisait la révolte avec la faim qui avait dû tenailler leur ventre durant cette longue journée. Quelques personnes assignées à la gestion du lieu luttaient comme ils pouvaient face à l’impatience de leurs frères d’armes. Mais ce service d’ordre était dépassé aussi bien en nombre qu’en détermination et ils semblaient avoir baissé les bras.
Et ce, au pire moment.
Malden fut témoin d’une rixe qui éclata. Il ne s'en était fallu que d’une étincelle, d’un mauvais coup, pour que la sauvagerie des hommes se réveille. Chaque soldat était réuni avec les autres combattants de sa brigade. De son unité et la foule, bien uniforme d’apparence, se vit secouée par les affrontements qui émergèrent entre les groupes qui peuplaient la cantine du camp.
L’une des grandes gamelles avait chuté sur le sol mélangeant son précieux contenu à la terre et les impériaux se disputaient quant à cette infamie et à leur auteur. Des combattants du régiment colonial se trouvaient en prise avec une section de la brigade Kempfer dont Malden n’eut aucune difficulté à reconnaître les membres. Les injures furent échangées et bientôt aux mots s'allièrent les actes.
Les deux groupes se mêlèrent rapidement en une rixe confuse tandis que les soldats de l’Empire se battaient les uns contre les autres. Les coloniaux et les hommes du lieutenant Burrows furent très vite rejoints par de nombreux individus en ce qui devint un bien triste pugilat désordonné.
Quand les deux arrivants aperçurent les membres de leur section pris dans les affrontements, ils se portèrent de suite à leur aide. Padduck qui dépassait d’une tête la plupart des personnes fut le point de ralliement des hommes de la section Devràn.
Malden tenta bien de ramener le calme en utilisant son sifflet, mais rien n’y fit. Les soldats avaient le goût du sang et se jetaient les uns sur les autres avec une rage tout animale.
Les coups pleuvaient tous autour du lieutenant, mais nul n’eut la témérité de le prendre pour cible. Son sifflet ne fut pas le seul à résonner. Divers officiers essayèrent de donner un semblant d’ordre à la scène, mais ce fut un tir qui stoppa net les protagonistes de cette lutte sauvage.
Malgré le vacarme qui avait régné, l’écho de la déflagration retentit avec force en figeant les soldats sur place. Malden qui porta instinctivement la main sur son holster et l’arme qui y reposait, observa la personne à l’origine de ce brusque changement.
Liam Burrows se tenait droit comme un i face aux cantines, avec toujours cet air hautain qui ne paraissait jamais le quitter. Il gardait son pistolet au clair et épiait de son regard mauvais la foule. Plus particulièrement les coloniaux qui avaient affronté ses hommes. Il n’y avait nul besoin de mots pour traduire son aversion, envers ces « sous-soldats ».
— Très distingué, comme d’habitude, s’aventura à dire Malden alors que le lieutenant Burrows le croisa.
— Devràn… Pourquoi ne suis-je pas surpris de te voir dans tout ce chaos ?
— Pourtant, ce sont tes soldats qui sont à l’origine de ce désordre, répondit Malden en cachant comme il pouvait le sourire qui grandissait sur son visage face à l’ironie de la situation.
Le lieutenant Devràn percevait l’animosité qui agitait Liam.
— Ces sales coloniaux ont dû les provoquer, et toi, tu cours à leur secours, hein !? Comme ton père à l'assemblée… Regardez-moi ça, les nobles Devràn toujours à protéger les âmes de notre bel Empire.
Liam se trouvait à présent face à face avec Malden. Toute la tension qui avait régné durant la lutte entre soldats s'était portée entre les deux gradés qui s’observaient avec hostilité. Les pics de son interlocuteur ne manquaient pas de mordants, Malden pouvait lui concéder cela.
— Au lieu de me juger moi ou ma famille, tu devrais t’occuper de tes hommes avant qu’un autre esclandre n’éclate. Leur animosité envers leur frère d’armes en devient… gênante, embarrassente. C’est à croire qu’ils n’ont aucune discipline tout comme les coloniaux dont ils sont si médisants.
— Efface ce sourire de ton visage, et emmène donc tes gars loin d’ici. Je vais mettre mes soldats et nos "camarades""au pas.
Liam n’allait pas abdiquer et se dressait face à Malden. Il n’allait pas arrêter l’échange sans avoir le dernier mot. Malden le sentait bien et mit fin à leur discussion stérile. Sans s’en rendre compte, sa main était restée sur le holster de son arme et ne le quitta que lorsqu’il rejoignit les membres de sa section.
Chaque soldat reforma les rangs face aux cuisines et la nourriture put enfin être redistribuée. Padduck et ses comparses saisirent une grande marmite de nourriture et suivirent leur officier qui les mena hors de ce lieu où régnait maintenant une bien mauvaise ambiance.
Le groupe de soldats impériaux conduit par Malden se mit donc à progresser dans les tranchées chargées de leur précieux chargement. Pour dire vrai, Padduck n’eut pas besoin de beaucoup d’aide et transporta presque seul la lourde marmite sous le regard craintif de ses camarades ne voulant pas voir leur repas connaître le même sort que celui des coloniaux devant les cuisines de la ligne.
Le lieutenant Devràn qui guidait ainsi la troupe sans discontinuer ralentit lorsque lui et ses hommes se trouvèrent face à un groupe de soldats dont les effluves d’alcool n’étaient que les signes supplémentaires de leur apparente ébriété.
— Je dis que j’les ai vus comme j’vous vois ! s’époumonait le soldat d’une voix avinée. Ils étaient trois et… Non, quatre ! Ils étaient quatre navires !
Debout sur une caisse bancale qui lui servait d’estrade, l’orateur chancelait, sa flasque de contrebande dans la main.
— La marine est enfin là pour nous aider. On va pouvoir botter les fesses de ces traîtres d’unionistes !
L’annonce faisait sourire l'assemblée qui l’entourait ainsi que Malden et ses hommes. Mais l’amusante scène ne parvint pas à retenir le lieutenant qui reprit la marche en sentant la faim qui se rappelait à lui en un gargouillis de son ventre.
Au bout d’un bon quart d’heure, Malden et sa section rallièrent enfin leurs chenillards. Leur « chez eux » dans la longue ligne de défense impériale. Les bêtes d’aciers étaient garées dans des parties creusées spécifiquement pour elles dans la tranchée.
Elles devenaient ainsi des petites forteresses grises qui agrémentaient la tranchée. Les trois engins encadraient un espace de vie aménagé qui se réveilla lorsque les soldats de Malden installèrent la marmite sur le feu de camp qui ne tarda pas à être ravivé.
Les tensions qui avaient pris autour des cantines se dissipèrent entièrement quand les hommes partagèrent enfin le souper.
Malden qui prit également place autour du foyer remercia le mécanicien Colm lorsque ce dernier remplit sa gamelle. Il ne fallait bien sûr pas trop s’attarder sur le contenu du plat pour ne pas prendre peur. Se persuader que les bouts sombres qui flottaient dans l’eau très liquide étaient bien de la viande comestible…
Cette soupe chaude raviva cependant même le plus démotivé des hommes. La nuit avait totalement pris possession de la région et les soldats ne tardèrent pas à échanger autour de ce moment de convivialité. De cette chaleur autant humaine, qu’ambiante.
Outre le feu de la section, les sources de lumière étaient rares sur la ligne. Quelques foyers parsemaient ainsi les deux tranchées qui se faisaient face, mais ce ne furent pas ces derniers qui attirèrent l’attention de Malden.
Il y avait comme des flashs lumineux loin dans le ciel et bientôt ces derniers furent accompagnés de détonations comparables à l'orage. À travers les nuages, les yeux de Malden aperçurent les formes de navires de guerre qui se dévoilaient à chaque tir qui emplissait les cieux.
La marine était à la manœuvre.
L’affrontement qui prenait place dans le ciel de Céresse impressionnait chacun des soldats présents autour de Malden. Un silence pesant s’était posé sur la section.
Bientôt, les passes d’armes que se livraient les bâtiments offrirent de titanesques explosions qui embrasaient les cieux.
— Woaw… fit l’un des soldats. Regardez ça, ils mettent une tannée aux unionistes !
— Le temps que le contre-amiral Savari vienne avec son escadre, nos petits gars d’en haut auront repoussé l’ennemi jusqu’à Vladerhyia !
Chaque navire qui implosait éveillait la stupeur des soldats ainsi que leurs acclamations. Malden ne pouvait qu’espérer voir devant lui la victoire de la marine. Mais rien n’était sûr.
Qu’elle massacre… se disait le jeune lieutenant. Je me demande si le Capitaine Havry est là-haut.
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