Neavia - 4.1
La semaine qui avait suivi le départ du village se transforma lentement en une longue et morne marche à travers tout Céresse. Les montagnes du hameau n’avaient été que le premier défi du groupe de chasseurs. Les landes désertes, les forêts épaisses, ainsi que les marais sans fin, s’étaient dès lors succédé en freinant chacun à leur modeste niveau, les membres du clan Ehnşceïd.
Malgré la dure journée écoulée, Neavia n’avait pas perdu foi en leur mission. Sa détermination s’était certes ébréchée face aux épreuves du quotidien, mais elle ne cédait pas. Après tout, elle se trouvait être l’initiatrice de toute cette aventure. Peu allaient lui reprocher ce sauvetage, mais les capricieux biomes de Céresse n’épargnaient pas les voyageurs. Neavia et ses camarades avaient déjà eu droit aux meutes de prédateurs, tempêtes et autres pluies caustiques. Bien heureusement nul mort n’avait été déplorer bien que les blessures commençaient à se multiplier parmi les membres du groupe.
Neavia n'avait d’ailleurs pas été ménagé. Pris sous une averse torrentielle, elle avait vu ses habits comme sa peau être attaqués. Sa main se trouvait maintenant constellée de petites brûlures. L'apprentissage devrait être constant pour les hommes voulant parcourir le monde, Céresse et sa difficile nature marquaient d'une manière indélébile aussi bien les novices que les aguerris.
Cette philosophie, cette rigueur de vie se voyait dorénavant ancrée en la chasseresse.
Le groupe qui marchait dans une épaisse forêt depuis le lever du jour commençait à atteindre la fin de cette dernière. Neavia et ses compagnons avaient troqué les montagnes connues encerclant leur village pour d'anonymes sommets qui les entouraient à présent de leurs hauts pics intimidants. Les bois recouvraient ces monts ainsi que le plateau où progressait la chasseresse. Les denses bras noueux des piliers marron s'éclaircissent face à Neavia. Enfin… L’un des traqueurs tenait une paire de branches épineuses de son arme plus en amont. La file de voyageurs passait en le remerciant et Neavia fit évidemment de même alors qu’elle apparaissait, tout comme ses camarades, sur une longue étendue désertique balayée par le vent ou nul protection n’était vraiment apercevable.
Les chasseurs avancèrent alors en une interminable colonne. Ils étaient comme des formes fantomatiques détonnaient dans le cadre vide ambiant. Ces silhouettes marron voyaient leur épais habit voler en tous sens sous la puissante bourrasque qui malmenait aussi bien la forêt dont ils étaient sortis, qu'eux-mêmes.
Neavia, cachée sous ses pesantes protections, cheminait sans réfléchir. La tête bien enfouie dans sa capuche et l’esprit abrutit par le bruit du vent qui embrumait jusqu’à la moindre de ses pensées. Ses yeux se fermaient à moitié face au froid de ces brises glacées.
Le silence s’imposa et devint le seul compagnon de voyage. Neavia se contentait de suivre les pas de la personne qui la précédait et le périple sur cette étendue continua de nombreuses heures. La jeune chasseresse s’autorisa à lever le regard du sol uniquement lorsque ses camarades se mirent à ralentir pour doucement stopper leur avancée.
Dans le vide ambiant, un grand corps grisâtre s’élevait non loin d’eux. C'était comme une forme indistincte qui se trouvait n'être nullement une construction humaine ou une création naturelle à première vue. Une anomalie qui se dressait là, sans réelle raison d’exister…
Nulle n’échangea de mots au début et en un accord tacitement accepté, les membres du groupe rallièrent cet étrange point d'intérêt. À chaque pas, ses nombreux détails se dévoilèrent à Neavia. La probable roche était au final la même matière que celle des ruines du monde d’antan, façonné à la fois par les mains de l’homme que par la nature et ses caprices qui ne l'avaient pas épargné. Que faisait cet unique legs sur ce vaste espace désolé !?
Les arrivants se placèrent autour de ce monument dépassé, marqué par le temps. Les interrogations fusaient dans la tête de la jeune femme. Il devait en être autant pour ses camarades. Neavia se retourna lorsqu’elle entendit Druïg parler juste à côté d’elle.
Le vent emportait ses mots et Neavia ne put saisir tout à fait ses dires au début.
— Quoi !?
— Je n’aime pas cet endroit !
Il n’avait pas tort sur ce point. Quelque chose d'étrange émanait de cette forme, mais avant que Neavia ne puisse dire quoi. Un bruit sourd résonna en captant l’attention de chacun. Le sol trembla et Neavia se figea comme pour garder de la stabilité alors qu’elle n'avait pas bougé d’un pouce.
Alors que les lèvres de Druïg remuèrent à nouveau pour lui parler, la chasseresse ne put l’écouter, car le sol fut encore pris de craquement. Les membres du groupe se trouvaient coincés comme sur la surface d’une traîtresse glace qui se fissurait.
Tout cela fut d'autant plus vrai lorsque les craquements s’ensuivirent de grondement qui entraîna, sans crier gare, l'entièreté du sol sous les pieds de Neavia. Le vent, le plateau, l’objet qui dépassait du sol telle une excroissance. Tout ça n'avait plus d'intérêt quand la terre s’affaissa sous les chasseurs. Les cris de peur résonnaient tout autour de Neavia qui se recroquevillait sur elle-même tandis qu’elle chutait.
Elle était comme immobile dans les airs. Le monde autour d’elle tombant à la même vitesse et son esprit ne prenait pas encore pleine conscience de la situation. Elle était tétanisée. Neavia devenait à la fois sourde et témoin de tout ce qui l’entourait, sa vision s'obscurcissait face à la force invisible dont son corps faisait l’objet. Elle se voyait tirer inexorablement dans les tréfonds de Céresse. Sa respiration fut bientôt la seule chose qu'elle capta jusqu'à ce qu'elle rentre douloureusement en contact avec des éléments qui freinèrent sa descente.
Chaque obstacle se voyait être un coup dur porté à la jeune femme. Une douleur diffuse irradiait chaque parcelle de la chasseresse alors qu’elle rebondissait en tous sens. Les yeux toujours fermés cette fois par pure peur.
Sa descente sembla durer une éternité. Et pour dire vrai, Neavia ne savait pas si elle désirait la voir s'arrêter. Savoir si elle allait mourir au bout de celle-ci. Projetée par un solide obstacle, elle traversa une matière qui dans des craquements précéda son arrêt brutal.
Tout son corps venait de se plaquer douloureusement contre un sol en lui coupant net sa respiration. Suffocante, Neavia tentait de se mettre à genoux tandis qu’elle luttait pour reprendre possession de son corps, de son souffle. De l’air ! Il lui en fallait de cette intangible matière si précieuse dont elle manquait à présent. Bataillant avec elle-même, Neavia se mit amèrement debout alors qu’elle respirait comme un nouveau-né qui prenait ses premières bouffées. Ses yeux aussi fonctionnaient à nouveau, il faisait sombre et sa vision peinait à s’acclimater.
Que venait-il de se passer ?
Où était-elle ?
Maintenant bien debout sur ses jambes encore toutes tremblantes, Neavia regardait autour d’elle. Petit à petit, ses yeux percevaient les formes qui l'entouraient. L’endroit où elle arrivait. Le soleil bien que peu présent durant la matinée venait cette fois de simplement disparaître. C’était comme si la chasseresse venait de se réveiller durant la plus sombre des nuits.
Neavia qui titubait plus qu’elle ne marchait avançait dans ce qui s’apparentait être une pièce. Une salle ancienne, très vieille au vu de l'état global. La surface qu’elle avait sentie dans sa chute se trouvait être un plafond, le trou béant témoignait de la chute importante qui l’avait amené à traverser d’un coup l'antique plancher. Ses pieds poussaient d’ailleurs le restant des bois qui couraient sur le sol. Un nuage de poussière planait autour d’elle et quelques gravats s’écoulaient tel du sable fin depuis l’ouverture qu'elle avait causée.
L’endroit n’avait rien de si différent des ruines dans lesquelles elle avait l’habitude de s'aventurer. Bien ironiquement la pièce semblait être mieux préservée en un écrin figé dans le temps avec un aperçu du monde qui avait précédé la chute. Neavia sentait comme un mélange d’attirance et de dégoût pour ce lieu symbolisant une époque aussi lointaine que révolue. Une période dont il était préférable d’oublier jusqu'à l'existence même.
La chasseresse étudiait le mobilier présent encore bien debout, englué dans de nombreuses toiles d'araignée ou de brins de verdure galopants. Tout était conservé, tout, jusqu’aux corps des anciens habitants.
Refrénant une quinte de toux naissante avec l’air épais qu’elle devait respirer et au vu de sa découverte, Neavia avança peu confiante. Le pas un peu lourdaud. Elle observait les ossements au sol, ses pieds semblaient marcher dans une fine neige qui craquait sous elle. La poussière était légion, Neavia venait d’entrer dans un mausolée réservé aux morts. Un lieu qui aurait dû rester absent de tous vivants.
Elle éprouva quelque peur pour cet endroit inconnu. Une chair de poule courut dans le dos de la chasseresse, elle avait toujours ressenti une certaine gêne dans les ruines qu’elle parcourait, mais cette foi, en ce lieu, tout devenait plus important.
Seule sa nature curieuse lui permit d’avancer, de refréner ses doutes et pensées qui lui criaient de fuir. Mais comment !?
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