Malden - 5.2
En un annoncement officiel de l'assaut, les sifflets résonnèrent dans les tranchées unionistes se portant avec un faible écho jusqu’au chenillard de Malden. Une véritable marée de combattants quitta la sécurité de leur fortification pour se jeter à l’attaque des positions impériales.
De nombreux véhicules accompagnaient cet ouragan humain. Contrairement à la brigade Kempfer, les appareils adverses revêtaient plus la forme d’automates que de vrais blindés. Ils se voyaient être munis de pattes qui mouvaient en cœur. On aurait dit des grands crabes d’acier se dirigeant avec non moins de férocité vers les troupes de la cité nation.
L’espace séparant les tranchées unionistes et impériales était un autre monde. Un vaste champ de mort boueux ou de nombreuses carcasses de véhicules parsemaient une peuplade de barbelés visant à stopper toute avancée humaine.
Les “crabes” unionistes broyaient le moindre obstacle sur leur chemin, sans ralentir. Les fantassins se mouvaient autour d’eux telle une meute de rats grouillant en tous sens à leurs pieds. Quand ils furent à mi-chemin de la ligne de défense, un feu nourri se déversa sur eux.
Les propres sifflets impériaux résonnèrent et les détonations des armes se firent entendre en fauchant les soldats adverses dans leur course. Cette fois, ce fut les ennemis de la cité nation qui reçurent une pluie de morts. Quelques pièces d’artillerie légère se joignirent au bal et des explosions ensevelirent les assaillants dans d'épaisses tempêtes de terre.
Équipé à nouveau de ses jumelles, Malden observait la charge, son ouïe brouillée par les tirs proches de lui. Certains unionistes s’écroulaient simplement atteints par les balles tandis que d’autres se voyaient soufflés par des déflagrations d'obus faisant voler les hommes dans les barbelés. Les flashes orangés balayaient leurs rangs, bien vite les projectiles sifflèrent autour du lieutenant Devràn. Les unionistes répliquaient.
Les engins ennemis n’étaient pas dénués d’armements et se joignirent à l'action des fantassins. Des canons, mitrailleuses et mortiers répartis sur ces mastodontes de fer tirèrent en cœur et les lignes de défense furent à nouveau criblées de plomb.
L’un des soldats debout aux côtés de Malden fut atteint à l'épaule. Il recula suite à la force de l’impact et s’écroula sur le toit de la bête d’acier en gémissant.
Nom de…
Malden se saisit de lui pour l’adosser contre les protections du chenillard. Il prit ensuite l’un des sacs de toile qui traînaient sur le sol pour le coller contre la blessure. Le soldat donna un regard courroucé à son supérieur qui empoigna sa main pour la plaquer contre le tissu qui rougissait déjà face au sang qui s'écoulait.
La surface d’acier du chenillard se couvrait de douilles, de boîtes à munitions vides.
Les unionistes n'étaient pas encore arrivés que les balles disparaissaient comme neige au soleil.
— Estafette !
— Messieurs !?
Le jeune combattant avait les yeux écarquillés et le souffle court. Malden restait calme, tout du moins en apparence, il devait l'être pour rassurer ses hommes, tout comme ce soldat qui semblait reprendre espoir face à la mission qu’allait lui confier son lieutenant.
— On va vite manquer d’air ici et surtout de munitions va voir avec le commandement pour approvisionner nos lignes. Allez !
Comme simple réponse, le jeune acquiesça avant de disparaître en courant.
Les projectiles passaient au-dessus de la tête de Malden sans faiblir. Il se trouvait à présent adossé contre la paroi protectrice de son engin. L’acier vibrait face aux balles qui venaient se loger dans la défense. Plusieurs de ses soldats se relayaient pour tirer. Les leviers et les détentes ne cessaient d'être actionnés. Les combattants étaient appliqués.
Malden, qui se saisit de son arme, rejoignit le magnifique effort fourni par ses hommes. Il se redressa et visa avec son pistolet. Ce n'étaient pas les cibles qui manquaient. Sur les presque cent mètres qui suivaient les tranchées, l’espace se retrouvait couvert par une horde d’unionistes. Les balles ne semblaient pas les arrêter. Nombre s’écroulaient, mais leur flot, leurs tirs continuaient.
Les nids de mitrailleuses dans les défenses devenaient des lieux de folle agitation. Malden pouvait voir les soldats se presser autour de leur équipement, les bandes de munitions disparaissaient les unes après les autres tandis que les canons rougissaient face aux longues rafales que les impériaux lançaient aux assaillants. Ces armes automatiques se trouvaient agrémentées d'un attroupement de combattants agenouillés ou couchés dans la tranchée. Les tirs des fusils n’avaient rien à envier aux mitrailleuses. Un feu nourri était offert aux ennemis d’Aldius assoiffés du sang de leurs “anciens oppresseurs”.
De sa main droite, Malden serrait avec force la crosse de son pistolet. Ses yeux fixaient la mire d’acier sur le canon du revolver. Les formes floues qui prenaient place derrière ne cessaient de bouger. Malden luttait contre les tremblements de son corps, contre les adversaires qu’il avait choisie, et lentement, son doigt actionna la queue de détente jusqu'à enclencher le percuteur de l’arme. Le pistolet libéra son tir fauchant la silhouette que le lieutenant Devràn visait.
Et d’un…
Malden, dressé sur le chenillard, ouvrait le feu avec une concentration dont il avait rarement fait preuve. Son revolver continuait à cracher ses projectiles tandis que ceux des unionistes volaient près de lui jusqu'à ce que l’un d’eux frôle sa tête.
La balle avait frappé Malden qui s'écroula lourdement.
Un acouphène résonna dans son ésprit. Il plaquait sa main contre la blessure qui perlait de rouge sur son visage. Malden venait de supprimer la vie de parfaits inconnus pour épargner celle de ses hommes, de ses amis. Mais c'était de même pour les unionistes et l’un de leurs projectiles ne venait pas de passer bien loin de sa cible.
Malden serrait les dents en se remettant debout. Sa casquette d'officier avait disparu et le jeune lieutenant arborait les premières marques de la guerre sur sa chaire.
L'avancée unioniste ne pouvait être enrayée. Ce fut alors leurs véhicules. Leurs “crabes d'aciers qui s'arrêtèrent pour former une ligne face aux défenses. Une ligne qui pilonna les hommes de Malden. L'affrontement venait de se muer en une fusillade rapprochée. Cela se confirma quand des grenades commencèrent à voler dans les positions des impériaux. Leur lancer était annonciateur d'une chose et d'une seule. Le corps-à-corps
Il allait décider du sort de la brigade de la cité nation. Les détonations des grenades affaiblirent les lignes avancées. Les pauvres qui n’avaient pas le temps de se mettre à couvert disparaissaient dans un souffle de mort et représentaient à présent des fragilités dans les positions que les hommes de l’union ne se firent pas prier à exploiter.
Ils se jetèrent dans la tranchée comme des damnées. Ils usaient de leurs baïonnettes ou de leurs armes blanches de tout type. Les coups de feu tirés à bout portant ne laissèrent aucune chance aux soldats. Les combattants, grognant et criants, s’étaient mués en de bêtes sauvages. Tous luttaient avec la rage de vaincre.
Malden ne pouvait rester plus longtemps simple spectateur de l'affrontement que menaient ses hommes. Dégainant sa lame, le lieutenant Devràn sauta du chenillard, le sabre au clair suivit par les quelques personnes qui l’entouraient.
Ses doutes venaient de s’envoler lorsque la balle lui avait presque ôté la vie. L'instinct de Malden le portrait à présent, une envie de violence et de vengeance le conduisait dans sa course.
Au bout d’une bonne foulée, Malden rejoignit les tranchées. L’espace de ces voies de bois et de terres était restreint. Même sur les entrées de ces lignes, les corps gisaient déjà au sol. Les soldats encore en vie prenaient place sur les parties surélevées et continuaient à accueillir l’ennemie de leurs fusils.
Ce fut lorsque Malden plongea pleinement dans les étroites défenses qu’il vit la réalité de l'affrontement. La dureté du corps-à-corps qui était née. Les deux forces combattantes s’étaient mélangées et tous s’opposaient dans un véritable chaos général.
Le lieutenant se mouvait comme il pouvait, la foule de belligérants le bousculait. Il manqua de peu de tomber dans la boue lorsqu’un de ses camarades fut projeté par un tir sur lui. Malden se retrouva plaqué contre les planches qui retenaient la paroi. Luttant, il se retourna vers l’assassin de son frère d’armes.
Son regard était vide, seule la violence se reflétait dans ses yeux, de la violence et de la haine bien perceptible. Il ne perdit pas un instant, ne rechargea pas son fusil pour plonger vers Malden la baïonnette dirigée droit sur le corps du lieutenant Devràn. Malden se décala juste au bon moment pour voir la lame se figer dans le bois derrière lui. Maintenant, en prise avec son adversaire, Malden eut la plus grande des difficultés à utiliser son sabre. Il se contentait de plaquer de tout son poids l’unioniste et actionna la détente de son pistolet.
Le coup fut étouffé par le corps de l’ennemi qui s’écroula à terre, la blessure toute fumante à cause de la poudre.
Malden n’eut pas le temps de se remettre de son premier duel qu’il vit une mêlée confuse dans le reste de sa voie. Des pelles, baïonnettes, haches et armes encore plus étonnantes les unes que les autres volaient en tous sens. Malden reprenait son souffle, il frotta la sueur de son front et réactionna le chien de son pistolet pour rejoindre la lutte.
Les uniformes bleu sombre s'opposaient aux costumes noirs et rouge de leurs adversaires. Les unionistes étaient plus que reconnaissables avec leurs papakhas de grosse laine dont le lieutenant n’avait jusqu’alors connu que les descriptions.
Malden, qui observait ses ennemis, baissa la tête juste à temps pour éviter une masse en acier. Pris dans son mouvement, Malden gratifia son agresseur d’un coup de sabre qui empourpra encore plus sa tenu. L’affrontement ne faiblissait pas et un autre combattant se jeta cette fois sur Malden en empoignant son uniforme. Les deux pugilistes s’effondrèrent sur le sol.
La boue les enveloppa tandis que les coups de poing se substituent aux armes. Ses grognements résonnent, et il était proche de Malden qui serrait les dents en tentant de toutes ses forces de batailler contre le soldat unioniste qui essayait de prendre le meilleur de cet affrontement.
La boue ne tarda pas à recouvrir Malden, sa vue s'obscurcissait face à la lutte. Face à la tourbe marron qui maquillait son visage. Malden pouvait apercevoir la figure de son agresseur. Celle d'une personne jeune, bien trop pour ce combat… Mais il ne pouvait se laisser abattre pour autant, il continuait de batailler.
Malden retenait d’une main l’unioniste tandis que son autre tâtonnait, elle, dans la boue à la recherche de son pistolet. Celles de l'adversaire ne tardèrent pas à se porter au cou et au visage de Malden. Une rage animale avait pris l’agresseur du lieutenant Devràn qui tentait maintenant de noyer Malden dans la mélasse du sol.
Une main pressait la tête du Malden qui se trouvait plongé dans la boue. L’épais liquide entrava vite sa respiration et la peur l'envahit. Il ne retrouvait pas son arme, il n'arrivait pas à repousser son assaillant.
Non…
Il était impuissant, l’unioniste pesait à présent de tout son poids sur lui. Le souffle manquait à Malden qui commençait à entendre son cœur battre avec force dans tout son corps. Dans sa tête.
Non… Je…
La boue obstruait toute respiration, tout raisonnement. La mort semblait venir chercher son dû. Malden perdait de son énergie à mesure que ses poumons brûlaient d'envie d’inhaler de l’air salvateur, mais rien.
Il n’y avait rien à part la boue et le désespoir.
Malden grognait comme un animal refusant son destin, il continuait de lutter, il le devait. On l’avait élevé à ne jamais baisser les bras. Mais la situation était inconnue pour lui, il sentait ses forces péricliter.
Après ses poumons, son esprit. Sa tête bouillonnait devant ses efforts. Il était dos au mur. Mis face à sa propre fin. La vision, les pensées s'assombrissaient pour Malden. Il n’abandonnait pas, mais son corps lui abdiquait à sa place.
Quand il fut sur le point de passer le point de non-retour, un bruit vif alerta Malden. Les mains vengeresses qui l'avaient bloqué au sol lâchaient leur emprise. L’unioniste s’était abattu sur Malden telle une masse inerte.
Le lieutenant se débattait et il sentit alors quelqu'un l’agripper pour le tirer hors du bourbier. Loin de la mort. Malden, qui se dressait enfin, enleva la mélasse de son visage.
Il toussait et put voir son sauveur. L’un de ses hommes était là, son fusil entre les mains. Il actionnait le verrou en éjectant la douille fumante de son arme en criant. Mais Malden était encore sourd.
— Ça va chef !?
Malden essaya de parler, mais sa gorge lui faisait mal. L’unioniste s'était agrippé avec force à son coup et sa voix ne voulait se faire entendre. Le lieutenant secoua alors seulement la tête pour répondre à son combattant.
— Tenez.
Le soldat donna le sabre qu’il avait dû récupérer sur le sol à Malden. L’arme de Lèvius fut alors à nouveau entre les mains de Malden qui fut comme rassuré par la chose.
Ce n’était pas passé loin...
Malden s’aidait encore des planches recouvrant les parois de la tranchée pour tenir debout. Une fatigue inconnue pesait sur lui. Mais son homme, son sauveur, se portait au contact des ennemis. Le lieutenant Devràn suivit ses pas et se joignit à ses soldats qui luttaient de toutes leurs forces. Malden plongea à corps perdu dans la mêlée, son sabre prêt à rougir le sol du sang des traîtres.
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