Alek - 8.2
— Comme tu l’as si bien dit, tes oiseaux te rapportent la moindre des choses qui se passent dans la cité nation. DeWriss m’a parlé d’un quartier investi par un groupe qui m'intéresse tout particulièrement.
— Je crois comprendre ou tu veux en venir.
Avant que Néphéline ne puisse s’exprimer plus, la serveuse vue plus tôt arriva avec la boisson du magister. Alek la remercia et l’employée quitta la secrète discussion qui ne requérait en aucun cas son écoute comme lui fit entendre le regard de Néphéline. Le verre, court et râblé, ne contenait que peu d’alcool. Mais cela n’avait pas d'importance, car c'était bien une eau-de-vie des plus corsées que venait de lui offrir la gérante des lieux. Les premières gorgées suffirent à éclaircir les sens et idées du magister.
— Je parie que DeWriss t'a parlé des petits nouveaux qui le mettent sur la défensive ?
Alek reposait son verre et réfléchissait aux informations qu’il allait révéler à son interlocutrice.
— Oui, de ce groupe et de leur base d'opérations au quartier Jeandin. Il n’a pas vraiment été dans les détails…
— Quelle surprise !
Le dégoût de Néphéline pour DeWriss transpirait d’elle et c’était visible sans difficulté.
— Ce groupe est lié à un meurtre sur lequel j’enquête.
Néphéline semblait songer aux dires d’Alek avec attention.
— Un simple assassinat ne t’aurait pas fait revenir à moi comme ça. Que cache cette “affaire” dont tu me parles ?
Alek avait la mâchoire crispée, comme attendu, les discussions avec Néphéline étaient de vrai affrontement où elle désirait savoir la moindre information, aussi petite soit-elle.
— Pour le moment, je n’ai aucune certitude, mais je sens bien que cette dossier. Ce meurtre et le groupe du quartier Jeandin sont liés d’une manière ou d’une autre.
— Tout cela est fort possible, les homicides sont courants. Tu y es habitué, arrêtes de tourner autour du réel sujet pourquoi cette affaire a tant d'intérêt pour toi !?
— Le pouvoir y est connecté d’une façon ou d’une autre selon moi.
Une pause, un froid venait de prendre l’échange.
— Alors il va falloir que tu agisses avec précaution, la voix de Néphéline affichait sa présente peur.
Elle était effrayée… Alek le comprenait.
— Le pouvoir impérial chapeaute tout, ne soit pas sot à croire que nous ne sommes ici pas notre seule force, les grandes autorités nous tolèrent. Finalement, c'est lui qui gagne à chaque fois. Ne l’oublie pas. T’immiscer dans le jeu des têtes couronnées de l’Empire pourrait te coûter cher. Sang bleu ou non…
— Quoi !? Tu voudrais que je fasse comme si je n’avais rien vu, rien entendu, rien compris.
— Non. Bien sûr, je te connais trop pour savoir que tu ne lâcheras pas l’affaire. Tu es quelqu'un de têtu, Alek. Têtu et trop juste pour cette maudite ville. C'est pour ça que j'ai un faible pour toi pauvre inconscient.
Sa voix redevenait calme. D’une douceur à laquelle il ne fallait pas prêter trop de confiance. Néphéline était une femme très dangereuse. Les dükhess évitaient d’entrer à Malepierre et d'interférer avec l’ordre établi pour de bonnes raisons. Un contrôle fort régissait cet espace libre de droit déterminé par nul autre que Néphéline. Les barons du crime se tenaient à distance, le pouvoir impérial fermait les yeux. Néphéline avait une solide réputation dans la ville d’acier. Mais pour le magister c’était une histoire bien différente. Ils se connaissaient, intimement… La chose des plus étonnantes voyait d’ailleurs ses origines remonter à une rencontre fortuite durant les difficiles débuts d’Alek dans sa fonction. Un jeu du destin comme on n’en trouvait que rarement. Un lien inhabituel né en tout et pour tout par la vie et ses curieux embranchements.
— Dangereux ou non, je dois en apprendre plus sur le groupe dont je te parle.
— Très bien, fit Néphéline en soufflant. Si tu y tiens, tu ne pourras pas dire que je ne t’ai pas prévenu. Et ne compte pas sur moi pour te soigner comme les autres fois.
— Tu sais que je ne peux rien te promettre.
Le regard de Néphéline était las et triste.
— DeWriss a l’apparence d’un fou comme ça, mais sous ses airs déments, il est des plus retors. Rusé tel le vieux renard qu’il est. Des dükhess que comprend cette ville c’est le plus dangereux. Lors de votre descente, il vous a opposé juste assez de force pour que vous pensiez l’avoir mis au pied du mur. Pour qu’il te révèle tout ce que tu voulais savoir.
— Il m'utilise ?
— D’une certaine manière. Qui ne le fait pas dans cette maudite cité. Les hommes dont tu me parles sont de nouveaux joueurs dans la lutte de pouvoir de la pègre. Ils les placent en position de faiblesse. Le quartier Jeandin est proche des zones d’opérations de DeWriss. Ils ont investi l’ancienne fonderie Gravefer. Je parie qu’il t'a avoué l’offre qui lui avait été faite.
— Comment…
— Je le sais, c'est tout. On m’a accostée pour que j’aide dans toute cette affaire, mais j’ai refusé. Je préfère la neutralité de ce havre de paix, finit-elle de dire en levant les bras pour symboliser son établissement. DeWriss lui aussi a dû sentir l’odeur de la politique dans toute cette histoire.
— Il me l’a bien dit.
Néphéline soufflait.
— Alors il t'a mis sur les rails de cette histoire. Lui n'est pas assez courageux pour s’y frotter. Il doit se dire que les collèges auront peut-être le fin mot de ce qui se trame dans l’ombre.
— Ça risque d'être des plus compliqués.
— Hum. Si je ne me trompe pas le quartier jeandin sera sur le trajet de la course des spires, un bon moyen d’y accéder sans trop se faire remarquer, tu ne penses pas ?
— L’idée m’a bien traversé l’esprit. Mais déclencher un accident durant cet événement pourrait être dangereux pour la population ou…
— Toi, c'est évident. Mais vu ta tendance à plonger tête la première dans les problèmes, ce second point ne devrait pas être un souci. Non !?
— Juste.
Alek se contentait de fixer son verre à moitié vide en réfléchissant. Néphéline reprit donc la parole.
— L’Empire contrôle les rues en régulant le marché, la drogue, les armes. Ils les laissent se propager pour affaiblir la population. Il n’y a pas une pétoire que les hautes instances n'ont point acceptée dans cette ville. Le système peut évoluer, mais il ne change pas.
— Tu dis ça pour me tourmenter, me faire encore plus douter de ma futile lutte ?
— Non. Ce serait trop cruel, même pour moi.
Tandis que Néphéline et Alek échangeaient dans leur emplacement privilégié, ils entendirent une vague d'applaudissements secouer la salle. En se retournant, le magister put voir la scène et un rideau tombé sur cette dernière. Cela ne dura pas, car en un instant, il fut relevé pour révéler une nouvelle spectacle. Une forme, de dos, portait un costume d’homme des plus travaillé en se tenant immobile au centre. Deux femmes prenaient place de chaque côté et une danse sensuelle commença. Lorsque la figure au cœur de la représentation se tourna en enlevant son haut-de-forme, le magister reconnut des traits bien féminins maquillés pour incarner son opposé.
La représentation ne laissait pas indifférent Alek. Le piano accompagnait les mouvements des trois artistes avec des notes cette fois plus vives et tranchantes.
— Ce spectacle-ci fait toujours son effet…
Néphéline appréciait le succès de ses petits “oiseaux”. Elle capte à nouveau l’attention du magister.
— Promets-moi une chose, Alek.
— Quoi donc ?
— Ne tombe jamais amoureux de toutes les vises qui détruisent les hommes.
Son regard se trouvait comme vide et sérieux à la fois.
— Je ne peux te le garantir.
Sur ce point, le magister était honnête.
— C’est ce qui me fait peur avec ton aventure naissante. Dans la cité nation, au final, peu importe qui nous sommes, hommes ou femme. Peu importe notre richesse, notre pouvoir ou notre beauté. La fin de chaque histoire est toujours inévitablement tragique.
—Alors, autant vivre comme on l'entend sans être habité par la crainte…
— Oui, mais toi, tu cours au-devant du danger en trempant dans les plus basses magouilles de la ville d’acier. La politique salit et tue, fait attention à toi. La fin peut arriver plus vite qu'on le croit, Aldius a le talent d’engloutir les hommes et leurs rêves. La politique et les sangs bleus n’ont jamais rien apporté de bon à qui que ce soit.
Alek eut un petit sourire en coin.
— Pourtant, tu parles à l'un d’eux.
— L’exception à la règle dirons-nous.
Néphéline se levait, la gérante de l'établissement avait sûrement, fort à faire dans ce domaine de la nuit. Malden s’aventura à demander une dernière chose avant qu’elle ne parte.
— Une chose, Alek semblait soucieux. Pourquoi m'aider sans jamais rien demander en retour ?
Néphéline s'arrêtait juste à côté du magister en se baissant proche de lui.
—Tu as du pouvoir, chuchota-t-elle à l'oreille d’Alek. La capacité de tuer sans répercussions, mais tu es quelqu'un de bien. Tu te l’interdis. C'est rare venant des hommes d’autant plus dans notre triste lieu de vie.
— Il est plus facile de prendre une vie que d’en épargner une.
La main de Néphéline caressait l'épaule du magister. Elle porta sa tête contre celle d’Alek ou ses cheveux se mêlèrent aux siens. Elle l’embrassa. Ses lèvres avaient le goût corsé de l'alcool. Une saveur boisée se mélangeait à une note plus douce. Malgré le plaisir qu’il éprouvait, Alek ne lui rendit cette fois pas son baiser.
Néphéline recula en plongeant son regard dans le sien.
— J’ai une affaire à régler. Profite du spectacle, tu sais où me trouver si tu as besoin d’autre chose.
Alek la regardait s'éloigner, appréciant la vue de son corps et de ses formes. Une nouvelle chorégraphie prenait place sur la scène et le magister faisait signe aux serveuses pour commander un autre verre.
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