Neavia - 6.2

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Le chef toujours secondé par son ombre pesante observait ses deux sous-fifres mettre en place la quinzaine de prisonniers. Neavia fut saisie par les épaules et agenouillée sur le sol comme chacun de ses camarades.

Les cordes avec lesquelles on lui avait lié les mains serraient douloureusement ses poignets. Ses jambes ressentaient toute la dureté du sol. Le supérieur des prospecteurs avait sorti une petite boîte en acier et glissait ce qui semblait être une feuille contre ses dents pour la chiquer. L’un des gardes qui avaient fini de préparer les prisonniers le regardait.

— Vous devriez arrêter avec cette merde, chef, c'est aussi malfaisant que le Kyffür.

Il avait rangé son fusil contre son dos en reposant la bandoulière sur son épaule.

— Tout est mauvais pour nous… L’air de ce putride endroit doit être bien plus nocif que le Kyffür ou les herbes des déserts d’obsidienne.

— Rien n’est pire, ajouta le troisième prospecteur.

— Si tu le dis.

Le gros Imperial restait aux côtés de son chef. Malgré sa débauche de haine, plus tôt, il semblait avoir retrouvé son calme. Jusqu'à ce que son supérieur dégaine son pistolet.

— Sur ces bons mots, finissons notre tâche. Plus vite, ce sera fait, plus vite, on pourra rejoindre les autres et chasser les derniers vermisseaux dans nos murs.

Tandis que l’homme se mettait en place face au prisonnier le plus éloigné de l'entrée, ses deux sous-fifres regardèrent Neavia.

— C'est dommage de la tuer celle-là, elle a un joli visage.

— On aurait pu s’amuser avec elle, continua son camarade.

Leurs désirs charnels se lisaient à leury faces prédatrices.

— Vous avez entendu les ordres, fit cette fois le gros prospecteur. On s’en débarrasse.

Le pistolet du supérieur fut armé en un audible déclic.

Tous les prisonniers le regardèrent tendre son revolver contre le front de sa première victime. Un flash illumina la pièce en résonnant avec force en faisant se recroqueviller chacun. Certains gémissaient ou pleuraient. Neavia avait sursauté face au bruit soudain. Le bourreau avançait d’un pas à chaque coup de feu. La déflagration du tir martelait à chaque fois l'ouïe de la chasseresse en de douloureux bourdonnements. Lorsque les quatre premiers prisonniers s'écroulèrent sur le sol, un trou dans la tête, l’impériale se mit à recharger son arme. Ses hommes parlaient entre eux, laissant leur supérieur à sa triste besogne qu’il menait avec soin.

Son chemin de mort le porta vite vers Druïg, lorsqu'il posa le canon de son pistolet sur lui, un lourd grondement résonna cette fois dans tout le port.

Les quatre prospecteurs se regardèrent étonner.

Puis une série d'explosions secoua la pièce qui semblait chavirer tout comme l'entièreté de la structure. Les impériaux debout tentèrent de garder l’équilibre et Druïg saisit alors sa chance. Il se jeta de toutes ses forces contre l’officier. Son arme tomba au sol et, au même moment, certains prisonniers imitèrent le courageux chasseur. Les quatre prospecteurs furent assaillis par une horde vengeresse qui ne leur laissa pas un moment de répit.

Bien évidemment, ils s’aidèrent de leurs fusils. Aux coups de crosse, se substituèrent les premiers projectiles qui fauchaient certains captifs. Ils ne furent pas les seuls. Druïg qui luttait avec le chef le mis à terre, observa l'un de ses frères saisir l’ancien pistolet qui avait chuté et faire feu en direction des impériaux.

L’un des gardes s’effondra bientôt suivi du colosse qui fut à son tour simplement stoppé d’un tir à la tête. Son cerveau repeignait le mur derrière lui. Il tomba en grand bruit comme une marionnette coupée de ses fils.

Les deux derniers prospecteurs se défendaient avec force face aux chasseurs. Ils furent toutefois balayés par la masse agressive qui les assaillit. Ils étaient alors roués de coups. Une sauvage pulsion dirigeait les poings des anciens captifs.

L’action avait pris si rapidement que Neavia était restée au sol comme certains de ses camarades, eux à jamais. Druïg avait récupéré le couteau d'un des Impériaux pour couper ses liens avant de se ruer vers la jeune chasseresse et faire de même.

Au début, elle recula, comme si son corps et ses sentiments réagirent bien malgré elle.

— Ça va, ça va, dit Druïg les mains levées. Ce n’est que moi.

Il trancha la corde d'un coup sec.

— Merci.

Neavia venait de retrouver l'usage de la parole malgré son état de choc.

De tous les prisonniers présents, il ne restait que six chanceux encore en vie. Les corps des impériaux furent fouillés méticuleusement et les armes distribuées.

Druïg, qui observait les rescapés de son clan, prit naturellement les choses en main.

— Il faut quitter ce port au plus vite.

— Comment ? demanda l'un des chasseurs, retourner aux chaînes serait trop long, trop dangereux.

Druïg réfléchissait en se grattant la tête. Ses hommes finissaient de dépouiller les cadavres.

— Il doit bien avoir un moyen de descendre de cette construction autre que les liens d’ancrage. Cherchons aux alentours.

Lee groupe abandonna le lieu d'exécution dans le plus parfait des silences. Avec eux, ils avaient comme armes trois fusils, un pistolet et quelques couteaux. La discrétion était leur seule alliée à présent. Ils naviguèrent à l'aveuglette pendant un long moment dans ce véritable dédale de passages. Quelques autres explosions secouèrent la structure d’acier. Certains des chasseurs avaient au moins réussi leurs missions. Les rares prospecteurs rencontrés furent mis hors d'état de nuire. Après leur épreuve, aucune pitié n’était offerte par les Ehnşceïd. Pour eux, les impériaux n’étaient plus des hommes, ils se trouvaient plus proches de l'animal. Les membres du clan semaient une traînée de corps dans leur sillage. Les lames abreuvaient l’acier de sang.

Neavia et ses camarades déambulèrent dans les tréfonds du port pendant ce qui semble être une éternité. Le désespoir pointait le bout de son nez, mais Druïg ne se laissa pas submerger par ce sentiment et mena les survivants à la recherche de la moindre chose pouvant les aider à fuir ce triste endroit.

Quand Druïg déverrouilla une énième porte sur son passage, la petite troupe découvrit une partie du port donnant sur le vide. Le vent caressait chacun des arrivants en sifflant dans la coursive. Il y avait comme de nombreux promontoires suspendus au-dessus de Céresse. Des quais faits de fines plaques de tôle reliées entre elles par des planches qui entouraient des formes d’acier d’importance. Ces impressionnants engins ressemblaient à des poires attachées au plafond même de la structure. Ses fruits mûrs ne demandent qu'à tomber.

— Quelqu’un sait utiliser ces choses ?

Celui qui avait parlé semblait décontenancé, étonné de contempler d’aussi près les inventions des prospecteurs. Ce n'étaient certes pas les bêtes volantes qu’employaient les impériaux pour sillonner les cieux, mais ces choses ne devaient pas être bien loin de cette fonction.

— Ça ne doit pas être si compliqué, continua un chasseur.

— Dans tous les cas, je ne vois pas d’autres solutions. Laïthos, Khyscène vous étiez éveillé sur la machine qui nous a amenés, vous saurez les mettre en marche ?

— On peut essayer, fit l’un d’eux.

Lui-même ne semblait pas convaincu par ses mots.

— Ces engins ont quand même l’air étranges…

Neavia, qui observait quant à elle les différents appareils, perçut une petite forme humaine sur l'un des promontoires. Elle vérifia son arme impériale comme lui avait enseigné son père et fut la première à avancer. Elle se pressa de rejoindre la machine ou elle avait remarqué du mouvement. Druïg, qui l’aperçut faire s’étonna.

— D’accord, on dirait que tu as choisi notre transport…

Il fut coupé par des tirs résonnant dans le couloir emprunté plus tôt. L'un des hommes qui avaient fermé la marche apparaissait en courant alors qu’il rechargeait le fusil entre ses mains.

— Ils arrivent !

Les regards s’étaient de suite tournés vers Druïg qui ne perdit pas un instant.

— Courez à l'engin, allez. Allez !

Les chasseurs se pressaient de rejoindre les abords de la machine où se trouvait déjà Neavia. Elle avait rallié les quelques caisses adjacentes ou elle avait vu du mouvement. Le fusil calé contre son épaule, elle se présenta face à un petit espace et y découvrit un jeune impérial. Il la regarda de ses grands yeux étonnés, comme un enfant surprit par ses parents devant sa bavure. Il levait les bras.

Druïg qui se joignit alors à Névia lui fit baisser son arme.

Il saisit par le col le garçon qui restait muet, sûrement figé par la peur, et le traîna jusqu'à la construction close. L’engin à la base large venait s'étendre en hauteur en s'étirant toujours plus. Quelques autres survivants avaient rallié Druïg et se mettaient à pied d'œuvre dans le restreint habitacle de l’appareil.

Neavia n’avait que rarement vu Druïg aussi énervé, il beuglait sur le garçon dans sa langue en le sommant d’allumer l’engin, mais à part des cris et des pleurs qui résonnaient dans l’espace exigu, il ne faisait rien

Neavia pouvait entendre les cris d'énervement des chasseurs autour d'eux qui tentaient d’appréhender l’utilité des nombreux leviers ou manivelle que comprenait l’habitacle. Mais elle surveillait avec plus d’attention, tout comme deux de ses camarades à l’entrée de la salle ouverte.

— Faites vivre ce monstre d’acier ! hurla Druïg à deux de ses hommes qui essayent chaque partie mobile du navire.

Il tenait encore le garçon d'une main ferme. Le pistolet dans l’autre.

Neavia, qui s’était positionnée contre un contenant de bois, observait à travers les interstices la porte. Des formes s'y dessinaient bien vite et des tirs résonnèrent. La coursive du port déversa un flot de prospecteurs.

Les camarades de la chasseresse les accueillaient de leurs armes.

— Il faut se presser ! beugla l’un des hommes qui faisait feu à côté de Neavia.

Ils n’étaient que trois à répondre aux impériaux. Les chasseurs n’allaient pas tenir plus longuement. Toujours plus de combattants arrivaient. La fusillade était des plus disputées. La poudre et le plomb emplirent les cieux de Céresse. Les tirs criblaient les caisses.

L'un des défenseurs s’écroula alors en criant. Son épaule avait été touchée par un projectile. Neavia n’avait pas le temps de l’aider. Elle faisait feu pour couvrir Druïg et les autres à pied d'œuvre sur le navire. Elle empêchait les prospecteurs d'avancer. La chasseresse tentait d’imiter ses mouvements habituels. Son arbalète s’était substituée aux lourds fusils impériaux. Mais elle était concentrée. Son compte montait déjà à trois cibles.

— Je manque de munitions, cria, le second combattant à côté de Neavia.

La chasseresse fit glisser sur le sol une lame de projectiles.

Elle n’en avait plus beaucoup elle aussi. Les prospecteurs se rapprochaient. Ils étaient presque sur les planches menant à leur promontoire. L’un d’eux, trop hardis, tenta de courir sur l’étriqué chemin, mais Neavia toujours précise quelle que soit l’arme le stoppa net. L'homme tomba dans le vide. Ses insultes se portèrent dans les airs tandis qu’il disparaissait dans le ciel noir.

— DRUIG ! fit alors Neavia.

La mère Nature devait avoir entendu les prières silencieuses de la chasseresse, car l’engin dans un lourd grondement prit vie. D’un regard, Neavia vit le tout jeune impérial naviguer ses agiles mains sur les commandes de l’appareil. L’odeur de poudre avait dû le faire réagir. Le sol tremblant sous les pieds de Neavia. Elle continuait de tenir à distance les prospecteurs. Les balles fusaient toujours plus sur la structure. L'homme sans munition à côté de Neavia avait lâché son arme. Il n'avait plus de quoi tirer et demeurait accroupi en baissant la tête à chaque projectile qui passait non loin de lui.

— Vite, cria Druïg aux trois défenseurs encore hors de l’engin. Montez, vite !

L’appareil d’acier commençait à tirer sur les deux chaînes qui le maintenaient au port impérial. Les planches servant de chemin entre les promontoires tombèrent dans le vide. Des grincements et craquements lourds résonnaient.

La jeune chasseresse aida son camarade blessé. Ils furent les derniers à grimper à bord. Les épais murs déviaient les projectiles et la porte que verrouilla Druïg amplifia le sentiment de sécurité. Mais la tempête de balles continuait de rebondir contre la coque telle de la grêle.

L'intérieur de l’engin n’était pas des plus larges. Des sièges parsemaient la seule salle que comprenait la bête d’acier. L’appareil pointait déjà en penchant grandement vers le sol. Druïg parlait à nouveau avec le garçon qui avait gagné à toute vitesse l’un des postes. Il s’attachait avec les cordes qui recouvraient les multiples places tandis que le chasseur se démenait avec les commandes restantes. Les camarades de Neavia imitaient le jeune impérial. Les chaînes extérieures finissaient leur course à l'intérieur de l'habitacle. Quand il eut observé chacun de ses frères d'infortune, Druïg tira sur le crochet qui retenait les liens.

— ACCROCHEZ-VOUS ! cria-t-il en désengageant le levier.

Les chaînes fouettèrent l’air en se désolidarisant de l’engin qui chuta. Tous furent suspendus sur les sièges et la forme d’acier dégringola dans les nuages et le ciel de Céresse. Une peur folle prit les chasseurs. Certains gémissaient, d’autres seraient les raides places de leurs mains jusqu'à en perdre leurs ongles. Neavia était de ceux-là. Le transport se couvrait de sifflement à mesure qu’il fendait l’air en tombant.

Sa respiration commençait à se faire éprouvante. Neavia se trouvait maintenant complètement plaquée contre son siège. Sa vision était impossible à maintenir, mais elle observa son ami gagner dans la plus grande des difficultés l'emplacement adjacent à celui du jeune garçon impérial. Les cris des camarades de Neavia résonnaient dans le restreint habitacle d’acier. Puis le bruit d’une explosion supplanta le moindre son.

Ce fut comme un coup sec porté à chacun de passagers de l’engin, ils furent soulevés par une force conséquente. Neavia levait la tête. Un ballon venait d'apparaître. Elle l’observait depuis les ouvertures du plafond. Une odeur de brûlé en émanait. La poche d’air freinait la course. Mais la rapidité de la chute semblait encore trop importante.

Neavia serrait la corde qui l’attachait. Elle bougeait malgré tout dans tous les sens.

— ON VA MOURIR !

Les camarades de Neavia succombaient à la peur. De son côté, la chasseresse avait fermé les yeux.

La dégringolade de l'appareil perdait certes en vitesse. Mais le sol était là.

Il était juste là.

Le brutal impact emporta les sentiments de Neavia qui vit son monde s'éteindre lorsque l'arrière de son crâne heurta son siège.

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