Epilogue - 1.2
— Nous ne connaissons pas encore les retombées de la déconvenue de Gravefer. Je joue gros dans notre entreprise. L’Empereur a consenti à mes projets et il va sans dire qu'on ne peut décevoir un homme d’une telle importance, Baron. Je mets en jeu toute la confiance qu’il a placée en moi depuis tant d’années.
— J’en suis des plus conscients.
Vadim était mal à l'aise. Klüg le sentait. Il ne voulait pas parler face aux nombreuses oreilles du personnel du conseiller. Mais chaque âme du bâtiment était possédée par ce dernier. Un pouvoir que seul Klüg était à même de détenir dans l’Empire.
— En temps normal, jamais Sa Majesté n’aurait permis la mort d’une des plus anciennes lignées de notre cité nation. Les actes de son prédécesseur hantent encore les mémoires. Mais vous avez bien vu le chaos qui règne dans la rue, nous devons faire un exemple du Baron. Ou le régime tombera. Parfois, il faut réduire le troupeau pour le préserver.
— Et il n’est pas tout à fait étranger à la grogne populaire. Il attise cela de par ses positions à l'assemblée.
La rancune de Vadim Kardoff se lisait dans son phrasé acerbe.
— Lèvius Devràn a creusé sa propre tombe. Il a oublié toute la dangerosité de notre ville d’acier. Mais l’usine Gravefer nous a rappelé à nous aussi une chose bien importante. Aucune activité ne reste cachée éternellement à Aldius. Il vous faudra demeurer concentré, Kardoff, pour atteindre notre objectif. Nous sommes proches de notre but. Tout proche. La famille Devràn se devra d'être anéantie d’un coup et d’un seul. Leur domaine capturé et leur milice détruite.
— Ils ont parmi les meilleurs combattants…
— Rien qui ne saurait vous mener à l'echec !?
— Non bien sûr.
— Nous devons réussir à faire disparaître les Devràn. L’Empereur a été bien clair sur ce point. En cas de fiasco, ce sera vous qui connaîtrez de tranchant du rasoir Impérial Baron. Vous qui prendrez la place de Lèvius Devràn pour étancher la soif de sang du peuple.
Kardorff avec sa mine déconfite devait déjà visualiser sous les moindres détails l'impressionnante guillotine de l’esplanade Valadieux.
— Pourquoi ne pas tout simplement assassiner le Baron ?
Oborin qui venait à nouveau de s'immiscer dans la conversation apercevait les regards de ses aînés le foudroyer.
— Et le transformer en un martyr !? Nous cherchons à faire retomber la colère du peuple sur lui et non le contraire.
— Il faut que Devràn sache à quel moment nous déciderons de sa fin, dit Vadim en complétant la pensée du Conseiller. Je veux lire la peur dans ses yeux, le voir comprendre que son monde tout entier s’effondre face à lui sans qu’il ne puisse réagir. Les Grandes Maisons elles aussi devront le savoir. Cela les calmera et gardera le moindre noble dans le rang. J’aurai ainsi un peu plus de champ libre pour passer les amendements que Lèvius bloque à l’assemblée depuis trop longtemps.
— Le champ libre, dit Oborin avec une moue contrariée. Il y a déjà eu un précédent avec la famille Véllyard. Le père de notre Majesté y a laissé des plumes. Commettre une nouvelle extinction de lignée risque de nous diminuer. On n'efface pas aussi facilement une maisonnée comme les Devràn.
— Parlez pour vous. Je n’ai nul sang bleu comme vous autres. Ce n’est pas pour la sauvegarde de vos privilèges que je fais tout ça. Mais pour l’Empire. Pour le futur de notre peuple… (pensait le conseiller). Ce que je n’ai pas de naissance, mon travail et mon esprit me l’ont offert. C'est pour cela que nous n’avons pas le droit à l'échec. Si nous échouons, soit nous causerons une révolte de la noblesse, soit nous serons sacrifiés pour calmer la population.
Klüg se gardait bien d’expliquer la raison de sa participation à son co-conspirateur dans la disparition de la maison à l'Ours. Son prédécesseur à la droite de l’Empereur avait déjà agi comme lui en se débarrassant des Véllyard. Mais il s’était trompé, entachant le règne de son dirigeant. Klüg ne pouvait faire de même. Ses espions lui avaient confirmé ses suppositions. Ses oreilles se portaient jusqu’au manoir même du Baron Devràn. Klüg était proche, si proche d’accomplir son devoir. La mission qui avait toujours reposé de toute sa pesante charge sur les épaules de ses précurseurs était enfin en vue. Lui ne pouvait échouer. L'enfant devait mourir.
Le chemin avait mené les invités du conseiller dans le sous-sol de la demeure. Les objets de décorations s'étaient petit à petit effacés à chaque escalier emprunté. Les murs lisses et blancs avaient commencé à se craqueler pour glisser vers la simplicité et la rudesse des briques dans leur état le plus basique composait alors la seule vision du groupe.
On ne se sentait ainsi plus du tout dans la résidence de Klüg.
Dans ces couloirs étroits, la pénombre venait cette fois recouvrir le moindre espace. Quelques lampes étaient suspendues par endroit en balisant le chemin des arrivants.
Même le caractère et les actions du personnel de ces étages semblaient différents. Comme plus sérieux, plus effrayant. Klüg humait le doute des Kardoff qui avançaient dans son sillage. Les portes d’aciertravaillaient l’imaginaire des deux invités. Les tourmentaient en conjectures plus sombres les unes que les autres. Ces passages clos se succédaient et ce fut l’un d’eux, l'entrée entrebâillée, que le conseiller choisit.
La salle circulaire émanait une chaleur et une odeur désagréable.
Quelques piliers d’acier encadraient le centre de la pièce et des chaînes descendaient des ombres du plafond telles des lianes en se balançant dans les airs. Non loin, des braseros dessinaient les contours d’une forme suspendue. Les invités de Küg n’osèrent pas trop avancer. Il comprenait l’office de cette salle, car c’était bien un homme qui y était accroché. Nu, dans toute sa faiblesse.
Il avait, sans aucun doute, été soumis à nombre de services qui l'avaient rendu inconscient. Sa chaire pelée par endroit devenait sanguinolente, et même toute retournée tel un champ violemment labouré. Le sol se trouvait recouvert par le fluide écarlate du malheureux en de nombreuses flaques. La survie du prisonnier devait tenir du miracle ou du talent dont devait faire preuve le tortionnaire.
Une mélodie sifflée capta l'attention des arrivants en arrachant les Kardoff au triste spectacle du détenu qui les avait figés de la plus morbide des manières.
Un homme, équipé d’un tablier en cuir nettoyait sur une table une foule d’outils en acier dont les trois intrigants n'avaient nul besoin de réflexion pour en déterminer l'utilité. Leurs œuvres étaient visibles à la vue de tous, le tortionnaire se tourna lentement vers les nouveaux venus. Son visage glabre au sourire mauvais ne mettait pas en confiance.
— Sa confession était celle attendue ? demande simplement Klüg.
— Il a fallu maint effort, mais ce petit oiseau a fini par chanter à mes oreilles le moindre de ses secrets.
— Bien,bien.
Le tortionnaire avait ce regard, celui qu’on ne trouvait que chez les plus zélés sûrs de leur devoir et de leurs actions. Son récent travail semblait le réjouir.
— Je pense que vous reconnaissez votre capitaine Kardoff ?
Le visage du Baron se décomposa lorsqu’il discerna les traits du dirigeant de sa propre milice.
— Heureusement pour vous, c'est cet homme que je tiens responsable pour l'échec de l’usine Gravefer. Sinon nous n’aurions tout simplement pas eu notre échange. Il faut que vous compreniez une chose… (Klüg tendait la main, alors que de l’autre il réveillait le prisonnier d’une audible claque). Si je ne donne pas la tête du Baron Devràn pour étancher la soif de sang du peuple et de l'Empereur, ce sera la vôtre Kardoff qui sera sous la guillotine. Cela ne me ferait ni chaud ni froid, ai-je bien été clair ?
Le Baron acquiesçait.
Le bourreau avait apporté un couteau à son maître qui se mit à trancher nettement et sans plus attendre la gorge du détenu qui mourut en une fontaine écarlate.
— Bien dans ce cas, patientez jusqu'à mon ordre. Les Devràn ne sauront même pas ce qui leur arrive. Nous devrons agir avec force et célérité. Aucun quartier ne sera donné…
Klüg essuyait ses mains avec un chiffon et rejoignit les Kardoffs à l’entrée. Il jeta le tissu sanguinolent à l’héritier de Vadim avant de tendre la lame au Baron qui s’en saisit.
— Une chose Kardoff. L’Empereur est le maître de la Cruauté raffinée. Il ne veut pas qu’une famille se détache du lot. Lui et ses prédécesseurs ont toujours chéri le statu quo de notre ville. Car elle lui permet de jouir de sa vie si exceptionnelle. Il préfère vous voir vous battre à l’assemblée que de s’impliquer personnellement pour régler les nombreux problèmes de notre Empire. Il m’a moi pour cela. C'est la créature la plus vicieuse que je connaisse, il aime son confort et tant que je lui assure mon poste est sauf. Ma vie est préservée. La consanguinité doit avoir son lot de raisons dans la situation actuelle, j’en suis conscient… Mais il n’en reste pas moins un homme avec une couronne et le pouvoir de faire tuer n'importe qui sur son simple commandement. Je suis ce qui retient le palais du reste de la cité. Je suis la digue qui tempère les envies délirantes de notre tête couronnée. Sans moi, le chaos ne tarderait pas à prendre position d’Aldius. Qu’arriverait-il si le peuple assassinait notre maître a tous qui serait leurs prochaines victimes à votre avis. Les sangs bleus ne sont pas en odeur de sainteté si vous voulez mon avis.
En son for intérieur, Klug était dégoûté par l’Empereur. Le moindre citoyen d’Aldius le serait tout autant s'il ne faisait pas si bien son travail. La chape de plomb qu'il avait instauré sur le palais ne laissait pas filtrer la plus infime information ou rumeur. Le risque était trop grand. Que penserait la population d’un homme tuant ses concubines ou employés par simple pulsion et amusement ? D’un individu meurtri dans sa chair s’abandonnant à toutes les addictions imaginables. La devise de sa famille parlait d’un sang pur. Mais le sien était tout sauf irréprochable. Si le Baron avait peur de Klüg il devait l'avoir encore plus de l’Empereur. Mais pour l’heure, la crainte qu’insufflait le conseiller devait motiver Kardoffs à ne plus fauter. La chute de la maison de l’Ours était trop proche pour faire tout échouer.
Klüg qui s’apprêtait à quitter la salle de torture s'attarda vers Vadim Kardoff.
— J’ai d’autres affaires importantes à régler. La ville m’appelle. Mais nos pensées ne doivent être tournées plus que dans un sens. Un projet. Un but.
— Je le sais. Les Devràn tomberont.
Le conseiller observa le Baron Kardoff une dernière fois.
— Et mon cher Vadim, veuillez trouver de nouveaux tuteurs pour votre aîné. Son manque de discernement est affligeant au vu de la fortune que vous dépensez dans son patronage.
L'ultime remarque, telle l’insulte qu’elle était malgré sa forme, venait de poser le clou final dans la foule de reproches qui avait enterré la fierté du Baron Kardoff durant l’échange.
Agissez par jalousie et colère Kardoff, je dois m'occuper de l’enfant des lunes et assurer notre futur, ou tout sera perdu…
Note de l'Auteur :
Et voilà que se finit ce premier Tome de la cité nation. Énormément de travail au niveau de l'univers et surtout une masse de boulot sur l'écriture que ce soit au niveau de la forme et de la longueur des scènes contées. Un livre dieselpunk s'avère être bien plus complexe que du médiéval ^^'. Beaucoup d'erreurs au début avec des descriptions sans fin, mais avec le temps le tir a été corrigé tout ça pour arriver à une forme plus acceptable. J'ai essayé de créer de la profondeur dans cette saga que ce soit au niveau du monde, des personnages, des combats ou encore de la mystique de l'univers. J'espère que ça a bien rendu. En-tout-cas un grand merci aux lecteurs et aux nombreux conseils prodigués. Une pensée particulière pour scifan qui a enduré les premier chapitre dans leur forme plus que discutable et qui a accompagner la création de cette œuvre de A à Z. Plus qu'a poster le Tome 2 qui risque d'arriver bien vite. Les Devràn et la cité nation ont encore beaucoup a proposer ! Surtout que je compte développer ce petit monde dieselpunk avec des nouvelles et romans indépendants.
Voilà voilà, encore merci et à bientôt.
Annotations