La rencontre des rois - 1° partie
La mission de ma tante reprit de plus belle dès le matin de la célébration. Ce moment très attendu allait permettre au roi de fêter "sa" victoire. J’avais le sentiment d’être la seule à savoir qu’il n’y était pour rien.
— Je reconnais que la robe est très belle, ma tante, mais malheureusement je ne me vois pas sortir avec ça ! Le décolleté est beaucoup trop plongeant. Y a-t-il un protocole concernant les cérémonies qui mentionne ce sujet ?
— Oui, il y en a un !
— Puis-je le voir ?
— Il est informel, ma chérie. Tout est informel concernant les usages. C’est pour cela que des personnes comme moi existent. Un jour tu comprendras !
Un argument imparable.
Elle sonda ma tenue une dernière fois, satisfaite du résultat.
— Profite tant que tu peux bénéficier de tels avantages, mon cœur, un jour tu te contenteras de valoriser le protocole, comme moi.
Voilà ce qu'il en coûte de parader telles des coquilles vides, pensai-je, amère.
Le son des instruments me parvenait depuis la cour. Le peuple festoyait à l'extérieur tandis que la grande salle nous attendait. Nous étions en retard ma tante et moi, selon ce que suggéraient les usages. Un intendant nous ouvrit la porte et nous annonça.
Le vaste espace qui s’ouvrait à nous rassemblait l'ensemble des monarques, des princes et princesses qui peuplaient les cérémonies prestigieuses depuis mon enfance. Nobles, ministres et riches marchands accompagnaient les grands de ce monde. Tous les regards se dirigèrent vers moi, les voix s’élevaient à l’unisson de la surprise provoquée par le déplacement régulier de mon siège.
Suivant un trajet dont je me demandais s’il avait été défini à l’avance, ma tante fit le tour des couples souverains. Je reçus pléthore de compliments, ce dont elle était la première à s’extasier. N’avait-elle pas choisi la robe ? Comme je l’avais envisagé, même parmi les grands monarques, aucun ne me félicita pour ma participation à la bataille. C’était pourtant notre victoire que nous célébrions. L'image d'une princesse en âge de se marier semblait difficilement conciliable avec les armes et la guerre. Même si je portais sur moi les stigmates de notre triomphe, tel un étendard dont je pourrais ne tirer que fierté, un goût amer empli ma bouche face à ces regards gourmands. Le protocole dont je m'amusais auparavant se transformait en carcan plus étroit encore qu’un corset.
Ma chaise se mit à ralentir lentement puis à s’arrêter. Je m’en étonnai et tentai de me retourner. Tante Hélène avait disparu. Hasard aidant, je me retrouvai proche d’un groupe de princes. Comme de grands prédateurs découvrant par inadvertance une proie égarée au sein de leur périmètre, ils fondirent sur moi, un verre à la main et le verbe assuré. Le premier à me souhaiter la bienvenue fut William.
— Princesse ! Comment va votre santé ?
— Elle s’améliore, merci. Bonjour à tous. Comment trouvez-vous ma nouvelle chaise ? Je suis surprise du peu d’intérêt qu’elle suscite au sein de cette assemblée.
— C’est que nous ne remarquons que vous, lança Owen.
Owen faisait partie des prétendants reçus récemment. Un personnage intéressant. De posture énergique, sa silhouette était à peine plus élancée que celle de William. Deux choses le caractérisaient : l’esprit vif et… une réputation de coureur de jupons. Il assemblait paroles et mimiques avec grande habileté, ce qui ne manquait pas de m’épater. Les inventions de Krys avaient occupé une bonne partie de leurs conversations jusqu’à présent.
— Sans oublier la fameuse longue-vue ! ajouta Robb.
La petite taille de Robb contrastait avec celle de ses voisins. Peu discret, il me dévorait littéralement des yeux.
— Vous connaissez donc tous mes petits secrets…
— Avez-vous ledit objet sur vous ? demanda Roger.
— Bien entendu. Vous le verrez lorsque nous aurons la possibilité de nous rendre sur le balcon.
— Dans ce cas, occupons-nous, proposa William. Permettez-nous de pousser votre chaise.
— Je permets. Il semble que ma conductrice attitrée ait disparu.
Le prétendant qui avait mes faveurs me fit approcher d’une table où s’étalaient mets délicieux et boissons chaudes ou froides, immédiatement suivi par une concurrence féroce. Une bonne partie de la salle continua à m’observer. Peut-être se demandaient-ils quel prince je choisirais. Ou celui que père, en définitive, désignerait. À considérer le nombre de dames qui m’épiaient par intermittence, je me demandais si ma robe les faisait pâlir d’envie. J’aperçus ma tante en grand entretien avec plusieurs épouses de haut rang. Elles me dévisageaient.
Je perçus une légère gêne dans la conversation avec les princes. Peut-être parce qu’en réalité, tous ces jeunes hommes se retrouvaient, d’une certaine manière, en compétition. Je tentai de passer outre et de paraître la plus agréable possible. Nous passions d’une table à une autre pour nous assurer de goûter à tous les plats. Il ne me fallut pas longtemps pour revenir au bon souvenir de ma tante. Non qu’elle s’inquiétât pour ma ligne, mais afin de garantir ma présence aux moments importants. Elle me subtilisa à leur attention sous prétexte de me ménager. Je n’étais pas encore en capacité de rester assise une journée entière.
— Il est préférable que tu parades aux prochaines rencontres plutôt qu’à ce simple buffet, me dit-elle. On va te déshabiller. Tu ne remettras cette robe que pour la soirée. Tu vas faire un petit somme et, lorsque les souverains se seront rencontrés, les princes seront libres. Tu pourras profiter de leur présence une heure entière. Ensuite, tout le monde descend pour les activités de l’après-midi, et c’est là aussi que nous nous sustenterons.
— Et les souverains ?
— Eux ils restent ici, pour palabrer et encore palabrer. Donc, dès que je viens te chercher, on te revêt d’une tenue légère et seyante au regard des activités de plein air.
Je n’avais pas vraiment sommeil, mais me suis allongée comme pour dormir. Malgré la présence de tous ces princes, je pensais à Krys. Quant à ses récents cadeaux… Les plus beaux bijoux auraient grand mal à m’émerveiller autant. Il avait parfaitement calculé son moment. Avait-il agi par intérêt comme certains le pensaient ? Je comptais bien m’en assurer.
Mais à quoi bon ? Ma condition m’empêchait de m’intéresser à lui. Et la présence de tous ces princes et monarques me le rappelait cruellement.
Le cas échéant, il y avait William. Je ne lui demanderai pas s’il avait une réponse aux questions que je lui avais posées. Mon père avait réussi à me faire douter de tout. Moi-même, j’avais besoin de faire le point, de tout remettre à plat. Dans quelques semaines, peut-être, je pourrais me déplacer et tout sera plus facile. Morcan imbécile, tu m’as fait perdre la liberté ! Et qu’as-tu gagné dans cette affaire ?
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