L'enlèvement - 1° partie

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Qui d’autre que mon frère aurait pu parler du passage secret aux brigands comme un excellent moyen de quitter le château sans se faire repérer ? Après avoir descendu péniblement l’équivalent de plusieurs étages, nous arpentions maintenant une surface plane baignant dans une atmosphère fraîche et humide. Dans mon esprit, je n’avais pas imaginé que celui-ci fut si long à arpenter. La vision limitée, je n’apercevais que le sol. Père avait trouvé la mort quelque part ici. Depuis, tout avait basculé pour moi.

Tout autour défilaient les jambes de ceux qui me portaient. J’avais les mains liées et le corps attaché au brancard qui me soutenait. Une bâche me recouvrait. Un bâillon asséchait ma bouche.

Les ravisseurs emmenaient neuf prisonnières. Les deux compères qui se trouvaient avec Clément avaient été rejoints par d’autres membres du groupe. Nous étions toutes vêtues d’un manteau à capuche pour nous protéger des intempéries et des regards. Je percevais des pleurs. Bientôt, les hommes exigèrent le silence.

Plusieurs hommes geignaient sous l’effort. Une lourde trappe coulissa et s’ouvrit. Le vent s’engouffra dans le tunnel et fouetta des visages qui se fermèrent. Des feuilles voletaient tout autour de nous.

Mes porteurs avançaient à petits pas pendant que d’autres soufflaient devant la difficulté. J’appréhendais le moment où mon tour viendrait.

Des voix atteignaient mes oreilles depuis le haut comme tout autour. Me voilà en dessous de la trappe. Les hommes se contredisaient sur la meilleure façon de m’amener au dehors. Mes porteurs entendaient à peine la parole de ceux qui les attendaient à l’air libre. Ils élevèrent leur côté de la hampe et je me mis à pencher la tête vers le bas.

— Stop ! On l’a mal arrimée. Elle va tomber.

— Mais… Qui l’a attachée ?

— On pouvait pas… C’est pas du jambon quand-même !

On me stabilisa à l’horizontale. Je respirai. Sans doute devais-je m’estimer heureuse d’être catégorisée dans une classe supérieure à celle du jambon. Ces messieurs soignaient leur marchandise, nous n’étions plus que cela. J’ignorais ma valeur marchande mais ne représentait plus qu’un simple produit pour eux. Qui plus est, un produit à consommer…

— Qu’est-ce qu’on fait ?

— Oh ! Décidez-vous les gars, on ne va pas y passer la journée !

— On la détache et on vous la passe.

— D’accord. Faites très attention à la jambe.

Après avoir enlevé mes liens, mes porteurs se groupèrent pour me soulever jusqu’aux bras tendus de leurs compagnons du dehors. Bientôt, des membres solides m’agrippèrent et m’entraînèrent en surface. Alors que je découvrais l’endroit, un courant d’air puissant m’enveloppa, charriant avec lui les détritus humides de la tempête. Nous nous trouvions dans la forêt qui jouxtait la capitale.

Saucissonnée comme je l’étais, passant de main en main, je ne pouvais qu’assister à leurs efforts. Leurs visages portaient les grimaces et les rides des efforts provoqués par la violence des éléments. Pris isolément, au milieu du fracas de l’ouragan, cet instant révélait des équipiers attentifs et soucieux d’eux-mêmes et de ma personne. Je fus saisie par le contraste de l’image laissée au palais. Je me demandai comment ils se comportaient avec les leurs. En réalité, je connaissais la réponse : charmants avec ceux qui leur étaient chers, ils devaient paraître méconnaissables.

Je n’étais pas pressée de retrouver leur visage véritable. Dès que nous serons en lieu sûr, ils se métamorphoseraient à nouveau en monstres. En y réfléchissant, je me demandais comment un homme pouvait passer si facilement de l’ombre à la lumière, du stade de père à celui de monstre ? Comment avaient-ils appris à faire taire la petite voix censée résonner en eux à seule fin de demeurer en tous points capables d’agir au mieux de leurs intérêts ? Je plaignais ces âmes noires que la solitude devait étreindre la nuit tombée.

Mes réflexions m’avaient détachée temporairement de la réalité. Entravée, je n’apercevais plus mes tortionnaires. À ce que j’entendais, ils s’impatientaient.

— On va attendre combien de temps ?

— Ça fait déjà vingt minutes !

— Ne devraient-ils pas être là depuis longtemps ?

— On va se faire repérer !

— Ne dramatisez pas. La tempête nous protège et nous rend invisibles.

— Justement, marre de ces rafales !

Nous grelottions toutes sous la pluie. Mes compagnes tournaient le dos aux éléments en furie. Les pans de leurs manteaux fouettaient leurs jambes nues et leurs capuches menaçaient de se retourner. La pluie clapotait par vague contre la bâche qui me recouvrait. Posée à même le sol, ma civière prenait l’eau et moi avec.

— C’est cette maudite tempête ! Un arbre a dû tomber et leur a barré le chemin.

— Dans ce cas, nous aussi nous risquons d’en recevoir un sur la tête ! Il faut vite sortir de là.

— Si on débarque en ville, on va se faire repérer.

— Bon, écoutez ! Jules, tu restes ici. Nous on s’enfonce dans la forêt et on cherche un abri. Ensuite, on envoie quelqu’un te relever. Si les véhicules sont là, on avisera.

— Et s’ils ne viennent pas ?

— Ils viendront.

Cette fois, quatre porteurs me soulevaient. Nous suivîmes un étroit sentier serpentant en direction du nord-ouest. La marche était lente et les hommes cherchaient continuellement leur équilibre. Au bout d’une petite heure, nous rencontrâmes une demeure au beau milieu de géants centenaires. Nous nous dirigeâmes vers elle.

J’entendis quelqu’un frapper à la porte. Puis des voix, un râle. Nous entrâmes.

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