Tremblement de terre - 4° partie
On frappa. Notre attention se reporta sur la porte. Je répondis. Krys apparut. Seul. Il regarda Clément, tante Hélène puis me fixa.
— Bonjour princesse. Je pense que tu es au courant : le général et moi avons destitué le roi. Nous le recherchons. Je veux t’assurer que tu ne crains rien, ni toi ni les tiens. Ton père non plus ne craint rien. Nous le mettrons sous bonne garde dans ses appartements dès que nous l’aurons retrouvé, le temps qu’il réponde à certains cas d’emprisonnement. Ensuite, il pourra se rendre où il voudra.
— Si tu le laisses partir, dis-je, il montera les souverains contre toi et une armée investira la capitale pour rétablir la royauté.
— Je sais.
Il fit mine de partir. Sur le pas de la porte, il ajouta :
— Tu vas bien ?
— Oui, merci. J’arrive à m’occuper seule de ma jambe. Et je me masse comme tu me l’as montré.
— Bien. Si tu as besoin de quelque chose… Pour le reste, sache qu’il n’y aura pas de chasse aux sorcières. Personne au château ne craint quoi que ce soit. Chacun sera reconduit dans ses fonctions. Au moins dans un premier temps.
Il s’en alla. Je me rendis compte combien j’avais été distante avec lui. Je le craignais un peu. La confiance n’était pas rétablie depuis que mon père m’avait expliqué ce qu’il pensait de lui. Il avait dû ressentir mon attitude défensive, j’en étais persuadée.
Il n’était même pas armé en entrant dans la chambre. Il cherchait le roi, qui pourrait être protégé par des gardes, et malgré tout déambulait seul et sans arme de pièce en pièce ! Mais il n’était pas seul à chercher le roi. Je sentais une grande agitation tout autour de nous.
Sachant qu’il ne risquait rien, mon frère sortit de la chambre. Partant du principe qu’il faisait partie de ceux qui connaissaient mieux le roi et les arcanes du palais, il s’ingénia à le retrouver. N’y parvenant pas, il se contenta d’observer les équipes de recherche. Cela me convenait, car il n’oubliait pas de m’informer. J’appris que les militaires avaient réuni les membres du gouvernement et du personnel dans la grande salle.
— J’aurais voulu que tu sois présente pour voir leur tête, annonça Clément. Ils ne savaient à quoi s’attendre. Certains craignaient d’être massacrés sur place.
Mon frère… Il ne fanfaronnait pas autant lorsqu’il s’agitait au moindre bruit tout à l’heure.
— Et ?
— Rien. Comme il te l’a annoncé, Krys les a reconduits dans leurs fonctions. Il leur a certifié que ni eux, ni leur famille ne craignaient quoi que ce soit.
— C’est plutôt bon signe.
— À moins que cela ne cache quelque chose. Mais ne t’inquiète pas, je suis à l’affut.
— Et la garde ?
— Désarmée et placée sous le contrôle de l’armée.
— Et père ?
— Introuvable ! Je me demande bien comment il fait. J’ai essayé de retracer le chemin qu’il a pu suivre, comme ils sont tous en train de le faire, mais rien. Je ne comprends pas ce qui se passe. Il s’est volatilisé !
— Les amis de Krys ?
— Les nôtres sont entrés avec chevaux, archers et fantassins. Ils étaient attendus. Il y a beaucoup de blessés. L’armée a séparé les deux camps et a emmené les gardes.
Ces derniers n’avaient pas combattu à Bladel. Sans doute ne se rendaient-ils compte de ce que signifiait s’en prendre à l’équipe de Krys. Le chef des gardes n’était plus là pour le constater.
.oOo.
Un monde basculait. Krys était fort, l’armée le protégeait. Il allait réussir son coup d’État. Mais de nombreux complots pouvaient naître ici ou là et notre condition devenir instable. Je ne cherchais pas à le revoir. Pas avant de connaître ses motivations réelles. Avait-il comploté contre mon père ? S’était-il servi de moi ? Quel prisonnier cherchait-il à protéger ? S’opposait-il à notre religion comme certains le proclamaient ? Allait-il prendre possession des appartements de mon père ? Allons-nous devenir voisin ? Nous obligerait-il à déménager, mon frère et moi ? Je n’étais pas tranquille.
Après minuit, les bruits cessèrent. Je grimpai sur ma chaise, direction la salle de réunion. Des soldats avaient été postés à chaque intersection. Tous me saluèrent. Mon cœur se serra à l’approche de la petite pièce où nous étions à l’écoute. Restée ouverte, l’entrée de la grande salle révélait le chaos décrit par Clément. Sur les murs, je remarquai quelques taches de sang. Au fond, les surfaces en bois étaient hérissées de flèches. Sans doute Krys se trouvait à cet endroit avant d’agir.
Les deux moitiés de la grande table gisaient sur le sol. Quelques flèches s’y trouvaient figées. Pour la plupart endommagées, les chaises s’étalaient en débris épars. Clément avait parlé d’un ouragan. J’imaginai la scène. Krys levait les bras dans un mouvement ample et puissant. Mue par une force mystérieuse, la grande table suivit ses gestes pour se voir projetée sur les gardes. Ceux-ci, paniqués, décochèrent leurs flèches comme ils purent. Des hommes se retrouvèrent plaqués contre le mur. Les chaises tournoyaient dans les airs en tous sens et se fracassaient contre le moindre obstacle qu’elles rencontraient.
Il s’agissait d’un scénario insensé mais c’est celui qui occupait mon esprit à l’instant. Un bruit me parvint. La chaise retournée, je découvris un garde dans la pénombre.
— Bonsoir.
— Bonsoir princesse. Avez-vous besoin de quelque chose ?
— Vous avez une tenue de garde. La garde n’a-t-elle pas été placée sous séquestre ?
— Pas tous, princesse.
— Alors, j’imagine que vous êtes de ceux qui ont évité de s’en prendre à Krys.
— Oui, nous sommes plusieurs dans ce cas.
— Êtes-vous celui qui a assuré qu’il pouvait tous vous tuer instantanément ?
— Oui. Et à postériori, je ne le regrette pas.
— Pourquoi ?
— Sans lui, nous aurions perdu la guerre. J’aurais accepté de l’emprisonner, mais pas de l’abattre.
— Mais, au départ, c’est ce que le roi demandait, que vous le conduisiez au cachot.
— C’est vrai, mais beaucoup d’entre nous ne pouvaient imaginer réussir si le prévenu n’obéissait pas.
Je fis pivoter ma chaise en direction du centre de la pièce.
— Cela m’aiderait si vous décriviez la bataille. Quelle force a bien pu couper cette table en deux ?
— En fait, tout a commencé quand le roi s’est approché de la porte. Krys a crié. Nombre de mes collègues avaient la corde de leur arc tendue et peut-être bien que les flèches sont parties d’elles-mêmes. Krys avait prévu cela et s’est jeté sous la table. Après, tout s’est passé très vite. La table s’est soulevée et a été projetée contre nous. Ensuite, il s’en est pris aux sièges. Il s’en est servi comme projectile ou bouclier.
Cela me rassurait d’apprendre qu’il avait agi à peu près normalement. Aucun ouragan ou formule magique de son cru n’avaient été proférées. Si tant est qu’on puisse appeler normal quelqu’un qui soulève aussi facilement une table de cette dimension, puis qui se contente d’assommer ses adversaires avec des sièges. Ces souvenirs semblaient avoir décontenancé mon interlocuteur qui reprit :
— Je… Je n’ai jamais assisté à une telle rapidité ni à une telle précision. Nous avons été laminés en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Les rumeurs étaient fondées.
— Je peux vous le confirmer, pour l’avoir observé lors de la bataille de Bladel. » Mon regard se posa sur la table. « Je ne parviens pas à me rendre compte du poids de cette table. Vous pensez que…
Il s’approcha de la section la plus proche et fit l’effort de la soulever. Il déclara :
— Elle est lourde mais il se tenait en dessous d’elle lorsqu’il l’a soulevé. Son dos a fait appui et ses jambes ont fait le travail. Nous ne pouvons plus essayer maintenant mais… Ça me semble possible. » Me remarquant dubitative, il ajouta : « Il faut tout de même qu’il soit très fort pour y arriver, cela ne fait aucun doute.
— Et qu’en est-il du général ?
— Après le début des hostilités, il a tendu le bras en direction de ceux qui se trouvaient de son côté et leur a ordonné l’immobilité.
— Il a été obéi ?
— Oui. Le roi était parti avec le chef des gardes.
Je dévisageai mon interlocuteur un instant, puis je me mis de nouveau à contempler la scène. Il ajouta : « Je suis désolé pour votre père, princesse. Personne ne désirait que cela finisse ainsi. » Mes yeux fixèrent le sol, puis je me tournai vers lui.
— Je comprends. Je ne vous en veux pas. Comment vous appelez-vous ?
— Bruce, princesse. Bruce Andleton.
— Sans vous, je m’imaginais que la table s’était soulevée toute seule et avait volé dans les airs en direction des gardes.
— Je ne regrette pas d’avoir prévenu votre père. Occupé qu’il était à mettre hors d’état de nuire la garde, Krys l’a laissé partir. Puis, l’armée a pris rapidement possession des lieux. Entretemps, le roi a trouvé le temps de se cacher.
J’opinai de la tête et pris une grande inspiration. Je me trouvais au milieu d’un lac immense, coulant en direction d’un fond empli de vase.
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