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— Pas évident pour moi non plus, reconnut Estelle.

— Ça se termine comme cela ? s’étonna Sandrine.

— Hum ! » Je me râclai la gorge. « Oui, pour l’instant, je n’en sais pas plus.

Nous étions une petite dizaine à relire mon épreuve. Estelle faisait la lecture. Toutes les participantes étaient des femmes de la noblesse. À part Ingrid et Gertrude qui approchaient la quarantaine, il s’agissait d’amies d’enfance.

J’avais rédigé plusieurs chapitres sur les origines de la communauté du désert, faites de combats, de rires et de larmes. Le dernier chapitre portait sur Soline, une jeune femme rencontrée et sauvée par Krys. En retour, elle lui apprit les rudiments de l’équitation. En constatant à la facilité avec laquelle il opérait, elle chercha à en connaître le secret. Nous assistions à son questionnement, la plupart du temps discret. Pour autant, le mystère restait entier, pour elle, comme pour nous.

Chacune s’identifia à Soline, souffrant avec elle, endurant agressions et quolibets, puis délivrée et heureuse. Pour rien au monde, nous ne désirions que son calvaire se reproduise.

— C’est comme si j’étais elle. Incroyable ! reconnut Élodie.

— C’est peut-être dû à l’histoire elle-même, fit remarquer Estelle, ou à la façon de la raconter. Bravo Sara.

— Une vraie romancière ! s’extasia Julie.

— Merci.

Anne-Christine s’éclaircit la voix. Nous la dévisageâmes. En tant qu’écrivain, elle tenait lieu de référence parmi nous.

— Si je puis me permettre une toute petite remarque, Sara : tu as tendance à livrer peu d’informations sur tes personnages. Sont-ils grands, petits, blonds, bruns, quelle est la couleur de leurs yeux, de quelle façon sont-ils habillés ? On ne sait pas. À l’opposé, tu fournis une multitude de détails sur leurs actions.

Eh oui, il s’agit de combattants, des vrais, des durs de durs, ai-je immédiatement pensé. J’appréciais la présence d’Anne-Christine dans notre petit groupe. Elle prenait rarement la parole pour ne rien dire. Dans ces moments-là, elle cherchait à guider ses interlocuteurs dans la bonne direction.

Pour une raison qui m’échappait, j’appréhendais ses interventions. Quelque chose se dégageait d’elle, une sorte d’assurance face à laquelle peu résistaient. En tant que princesse, j’imaginais ne pas avoir à ressentir cette impression. De nature confiante, je me sentais assez sûre de moi. Guerrière accomplie, submergée de demandes en mariage, d’attention et de compliments, je ne craignais que mon père. Et pourtant…

Je détaillais ses traits. Cela provenait-il de son attitude ? Son visage et son corps étaient dotés de traits fins, composés de courbes gracieuses. Elle se savait belle, s’habillait de manière élégante et légère à la fois. Elle se tenait droite, ce dernier point, sans doute, s’avérait déterminant. Une forme d’autorité naturelle émanait d’elle. Devais-je l’envier pour cela ?

Je fis référence aux lecteurs privilégiant les scènes d’action, abandonnant à leur imagination le soin des détails. Néanmoins, puisqu’il s’agissait de personnages réels, je décrivis la cour des gladiateurs, puis le gabarit et l’allure de Thomas et d’Hector. Je détaillais leur tenue, à l’entraînement comme lors des combats.

Cette description sommaire intéressait mes amies. On aurait entendu une mouche voler.

— En ce qui concerne le détail des actions, il est vrai que j’en ai donné beaucoup dans ces pages. C’est qu’il m’a semblé que chaque détail comptait pour comprendre comment tout a commencé.

Anne-Christine hochait la tête. Mes amies étaient pendues à mes lèvres. Visiblement, une bonne histoire accapare l’attention de ceux qui l’apprécient jusqu’à ce que le dernier secret soit révélé.

— Mais Krys est-il doué ou… spécial ? demanda Estelle.

— En se découvrant des capacités insoupçonnées, qu’il tente d’évaluer et de maîtriser, il en est venu à se croire différent. Mais il garde toute conclusion pour lui. Il met parfois Soline sur la piste en lâchant un indice, mais rien qui ne l’éclaire vraiment.

Pendant que mes interlocutrices tentaient d’évaluer l'opportunité d’une telle attitude, je continuai :

— D’autres vont arriver qui seront moins curieux. Pour Horace, par exemple, tout est plus simple. Il voit Krys comme une personne douée dans plusieurs domaines, point. Cette faiblesse de raisonnement avantage son mentor.

— Bon, signala Sandrine, on ne connaît pas la suite, mais on peut peut-être chercher à deviner comment il fait, non ?

— Sara, interpella Élodie, je suis persuadée que tu le sais.

— Non, franchement, non. C’est un grand mystère.

— Dommage que tu n’aies plus le droit de le voir.

— Quand je pourrai à nouveau désobéir à mon père, c’est sans doute la première chose que je lui demanderai.

— N’oublions pas que c’est ce même Krys qui s’est précipité pour te soigner, argua Élodie.

— Qui sait s’il s’est contenté de la soigner ? s’amusa Julie.

— Hum ! fis-je.

— Si le roi l’a démis de ses fonctions, c’est peut-être pour une raison précise, supposa Élodie, le regard complice, qu’en pensez-vous ?

— On nous aurait caché un scandale ? fit mine de s’insurger Cécile.

— Mon père a interdit que Krys me soigne parce qu’il n’est pas médecin.

— Ça peut se comprendre, remarqua Ingrid. Et le médecin de famille, qu’en dit-il ?

— Rien. J’ai refusé de le voir.

— Une bouderie familiale, rien de plus, s’amusa Estelle.

Les suppositions ont perduré un moment. Sandrine et Élodie désirèrent lancer des paris sur ce qui se passerait par la suite pour Krys et Soline. Anne-Christine a jeté un : « Sans moi ! » et, curieusement, tout le monde en est resté là.

Au moment de nous saluer, je fis un signe à Anne-Christine, lui proposant de rester. Quand nous fûmes seules, elle vint se rassoir près de moi.

— Trop d’actions et pas assez de descriptions ?

— Personnellement, j’aime voir les personnages par les yeux de l’auteur. Tu devrais t’attacher à les décrire un peu plus.

— Peut-être parce que j’aime l’action et loin d’être la seule…

— Il est vrai que tu es une femme d'action, personne ne peut dire le contraire. Mais cela empêche-t-il de fournir aux lecteurs des détails sur ton physique lorsque tu écris sur toi ? Au moment où ta plume parle de toi, là, comment es-tu coiffée ? Portes-tu une robe qui souligne ta féminité, ou un vêtement plus masculin ? J'ai besoin, j’ai envie de t'imaginer, de me dessiner une image de toi et de celles et ceux qui t'entourent.

J’admirais chez elle la capacité à dire les choses simplement, sans fioritures, sans se demander ce que les autres penseraient. Nos précautions oratoires dissimulent les imperfections, éteignent la vérité, pire, nous nous contentons d’en discuter dans le dos des personnes concernées. Anne-Christine utilisait la parole comme une épée. Elle tranchait dans les inconvénients sans peur ni reproche. Ceux qui ne se vexent pas y trouvent beaucoup à gagner. C’est pourquoi j’appréciais sa présence. Si quelque chose n’allait pas sur moi, chez moi ou en moi, je le savais.

— Bien, je vais suivre tes conseils.

— Alors continue, c’est bien ce que tu fais.

Avait-elle deviné mes motivations ? Interloquée, j’hésitai à répondre.

— Tu vas écrire sur Krys, n’est-ce pas ? continua-t-elle. L’histoire récente, je veux dire.

Je vérifiais si les portes étaient bien fermées. Elle comprit mon attitude et ajouta :

— C’est quelqu’un de bien. Il gagne à être connu et pris au sérieux. Tout ce que tu diras sur lui peut devenir utile aux lecteurs.

— Tu le connais ?

— Il a soigné mon frère, après la bataille. C’est lui qui m’en a parlé.

— Qu’a-t-il dit ?

— Rien que tu ne connaisses déjà. Qu’il combattait et commandait de manière exceptionnelle. Que tout lui réussissait. Et que, malgré cela, bataille terminée, il s’était intéressé à la santé d’inconnus, comme mon frère.

C’est bien de cette manière que je l’avais perçu la première fois. Ses soins. Son sourire. Ses gestes. Tout me revint en mémoire. Mon regard se perdit dans le vague d’un coin sombre de la chambre.

Elle me regarda longuement. Des larmes naissantes déformaient légèrement ma vision. Elle se leva et m’embrassa.

— Je ne sais s’il faut envier ou plaindre les princesses. J’espère que tu trouveras ce que tu cherches.

Elle s’éloigna d’un pas élégant, la tête droite.

Elle connaissait mes sentiments pour Krys.

Estelle avait déposé les feuillets à mes côtés. Anne-Christine m’avait encouragée à continuer. Oui, j’allais continuer.

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