Chapitre 10
Une splendide dame se tenait devant eux, auréolée d’une délicate lumière bleue. Ses cheveux d’or tombait sur ses épaules d’ivoire, retenu par un bandeau argenté surmonté d’un papillon blanc. De larges et belles ailes l’entouraient de leur blancheur éclatante et une tunique de la même couleur tombait jusqu’à ses chevilles. Bien que les ailes soient immobiles, la jeune femme se tenait à quelques centimètres du sol. Un doux sourire reconnaissant parcourait son visage tandis que son regard couleur ciel mélangeait la joie et la gravité avec grâce.
- Amie, je vous dois la vie, et ma dette envers vous sera éternelle. Mon peuple chantera vos louanges de générations en générations car grande est votre bonté envers les petits de ce monde.
- Madame, cela n’est point nécessaire, la gloire attire l’orgueil, l’orgueil attire le chaos, le chaos plonge le monde dans l’obscurité. Et puis ma récompense m’est déjà acquise, qui suis-je pour avoir une telle visite dans un sombre cachot ?
- Je suis Lépidéa, reine des papillons que vous avez sauvé d’une mort certaine. Je ne puis hélas vous apporter beaucoup d’aide en ce sombre moment car nous sommes petits et délicats mais en revanche, je puis soigner quelques unes de vos plaies et vous faire don d’une lime afin que votre peuple n’est plus à souffrir de votre absence.
- Vous savez donc qui je suis ?
Lépidéa partit dans un rire très doux.
- Qui pourrait ignorer votre identité, gente dame ? Votre légende a dépassé les frontières, les mers et les océans. Mais ne perdons point de temps en d’inutiles bavardages. L’Ennemi, souffla-t-elle, prépare ses troupes pour anéantir les Elfes qui se posent en barrière devant son projet d’anéantir le monde et grande est sa puissance, plus grande qu’avant car il est entrain de réussir, et ses derniers mots se perdirent dans un murmure terrifié, de réussir à corrompre l’un des vôtres…
Puis elle n’ajouta plus rien et commença à panser les plaies du lieutenant qu’elle avait endormi pour lui éviter toutes douleurs. Le Prince des Hommes s’offrit à l’aider mais elle refusa poliment, lui conseillant de se reposer.
- Grande sera votre route, fatiguant seront vos combats, dangereuse sera votre évasion, prédit-elle.
Et son attention revint sur la plaie au mollet d’Achéhis.
Lorsque celle-ci se réveilla, la dame avait disparut mais près d’elle se tenait l’homme, une lime dans une main, un petit bijou dans l’autre. C’était un papillon blanc, aux ailes délicates et fragiles qu’avec émotion il lui passa autour du cou respectueusement.
- Que ce bijou vous apporte la bénédiction des Papillons, murmura-t-il.
Reprenant son sang froid, il ajouta :
- La reine m’a aussi fourni de précieuses informations sur notre prison, et avec méthode, témérité et stratégie, je crois qu’il y a une chance de nous en sortir.
Il traça avec ses pieds un plan sommaire du lieu dans la paillasse sale en déclarant :
- Ici, il y a la salle d’arme, jouxtant la salle de garde principale. A l’orient, des prisons, à l’occident des écuries avec selles, harnais et chevaux. Nous sommes cinq étages au dessus et il y a deux salles de cinq gardes par niveau. Nous n’avons ni armes ni moyens de neutraliser autant de soldats mais avec votre ruse, nous devrions pouvoir réussir à duper nos ennemis.
- L’écurie est munie de fenêtres ?
- Certes, il y en a une, au nord, mais cela ne nous aidera pas.
- Comment pouvez-vous en être aussi sûr ? Répliqua sa compagne de cellule en s’approchant de la petite fenêtre du cachot. Rassemblez deux tas de paille de même corpulence que nous. Entourez le vôtre de votre cape ; le mien de mon pourpoint et de ma mante. Espérons que cela suffira.
Elle enleva aussi promptement que possible son pourpoint et ne se trouva plus qu’avec un haut sans manche dont les extrémités, usées, étaient déchirées par endroit et qui avait un col comme un corset avec un lacet et dont la blancheur n’était qu’un lointain souvenir. On lui avait pris son armure et maintenant ses chausses. Elle n’était plus qu’en déshabillé et pieds nus. Cela ne lui facilitait point les choses mais avaient-ils le choix ? L’homme était maintenant torse nu, ayant déjà sacrifié sa tunique. Une autre qu’Achéhis aurait remarqué son torse bien bâti, ses muscles saillants mais elle ne lui jeta pas même un regard et prenant la lime, le lieutenant commença un pénible travail. Son compagnon n’osait lever les yeux vers l’Elfe, et pudique, se concentrait sur sa besogne. Leur ami le silence les rejoignit et l’on entendit plus rien.
Ses bras meurtris la faisaient terriblement souffrir alors qu’elle les avait tendus au dessus de sa tête pour atteindre les barreaux de la lucarne. Sans interruption, malgré les muscles tirant sous sa peau, ses mains frottaient la lime contre l’acier de l’ouverture vers la liberté. Impénétrable, oppressant, le silence avait fait de cet étage son royaume et aucun son, pas même un murmure ne venait mettre en péril son puissant règne.
Le Prince s’était assis près de son jumeau de paille et entreprenait de tisser une corde avec quelques brins soigneusement choisis et le cordon qui autrefois tenait la splendide chevelure de l’Elfe. Ses cheveux défaits ne l’aidait guère dans sa tâche mais elle ne les aurait sacrifiés pour rien au monde.
Les nerfs des deux infortunés étaient à vif, la sueur coulait en grosses gouttes de leurs fronts soucieux, l’angoisse leurs nouait les tripes, attentifs au moindre bruit suspect, craignant plus que tout de se faire surprendre.
Achéhis n’avait rien dit mais son compagnon avait compris l’essentiel du plan d’évasion : descendre avec le semblant de corde qu’il tentait de fabriquer le long du mur de cette tour, s’infiltrer dans la salle d’armes, puis après l’avoir cambriolée, s’enfuir sur des chevaux. C’était folie, pure folie, pire, un suicide que ce plan foireux mais avait-il d’autres choix que de la suivre dans sa tentative désespérée ? Non, il n’avait guère le choix et le savait bien. Son sort était désormais lié à celui de la jeune femme. Ah, s’il avait osé, que d’agréables conversations auraient-ils pu avoir ensemble ! En d’autres endroits, il était certain que la compagnie du lieutenant aurait été d’un charme irrésistible, sa conversation délicieuse ; mais ici, dans ce sombre lieu, avec ses blessures autant physiques que psychiques, son regard dur et son visage de marbre, Achéhis n’avait qu’une pensée : rejoindre son Roi et l’avertir de l’imminent danger.
Enfin, un barreau tomba et le Prince pris la relève. Assise dans un coin, Achéhis accorda enfin un regard à ses blessures. Son mollet avait été recousu et bandé avec de larges bandes blanches, les morsures recouverte d’argile verte pour qu’elles cicatrisent plus vite et un bandeau protégeait sa tête meurtrie. Une affreuse migraine l’avait saisie mais elle entreprit tout de même de continuer la corde. Cinq étages. Plus d’une vingtaine de mètres à descendre en rappel, à la merci des flèches ennemies, sur un terrain inconnu. Elle avait bien senti la réticence de son compagnon de cellule et savait qu’il n’avait pas tort. Une folie, surtout avec ses blessures dont la douleur ne cessait jamais. Tout en tissant les brins, elle se replongea dans ses souvenirs. Sa capture, la plaisanterie avec l’éclaireur. Elle ne lui avait pas même demandé son nom, ni aucune civilité. Ignorant tout de lui, elle s’était contentée de le traiter en soldat malgré son air jovial et taquin. Il lui avait fait penser à son jumeau, disparu trop tôt, qui avait été le compagnon de jeux de son enfance. Opalon partageait le même amour qu’elle pour son pays et son Roi. Il avait été sa seconde moitié, massacré par une bande de Gnomes alors qu’il approchait de sa majorité et voulait entrer dans l’armée.
C’était à cet instant qu’elle avait décidé d’abandonner une brillante carrière de musicienne pour servir le Roi.
C’était à cet instant aussi que l’entente familiale s’était brisée et que sous ses dehors charmants, elle était devenue méfiante. Son petit frère avait piqué une terrible colère, son père l’avait presque chassée, sa mère s’était effondrée de chagrin.
C’était à cet instant qu’elle avait choisi le Roi et la patrie à la place de la famille.
Et depuis cet instant, il lui arrivait parfois le soir de se demander si elle avait eu raison.
Elfadas son frère cadet n’avait jamais reprit contact avec elle depuis son départ. Elle avait entendu dire qu’il était devenu un médecin réputé et s’était marié il y a peu avec une vieille connaissance de leur village. Parfois, il lui arrivait de vouloir lui envoyer un message, pour demander des nouvelles de sa mère mais chaque fois, elle réussissait à s’en empêcher. C’était à eux de faire le premier pas. C’était eux qui l’avait reniée quand elle avait voulut honorer la mémoire d’Opalon.
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