Rubens
Rubens n’était pas comme ses amis. Il pouvait sembler un peu naïf, parfois superficiel mais il aimait surtout les choses simples de la vie. Il n’était pas aussi raffiné ou cultivé que Trent ou plus créatif et talentueux que Vincent. Il pouvait rester allongé des heures sur son lit à rêver comme une midinette, feuilletant des magazines. Les autres ne le prenaient jamais au sérieux mais cela lui était égal, lui il avait une famille qui l'acceptait, une communauté dans laquelle il était intégré.Alors quand il se sentait rabaissé par eux il se disait que c’était lui le plus heureux, et qu’au fond c’était la jalousie qui parlait. Et au fond il n’avait pas tort, quand ses amis le piquaient c’était parce qu’il avait cette candeur et cette confiance en la vie que seul quelqu’un qui avait grandi dans l’amour inconditionnel de ses parents pouvait avoir. alors qu’eux devaient trop souvent cacher ce qu’ils étaient vraiment à leur entourage.
Lui avait la Jeunesse, des rêves et de l’espoir, il se voyait comme les bulles de champagnes dans leur trio, celui qui pétillait alors que Vincent était le verre qui les tenait ensemble et Trent était ce fluide très cher mais tout de même acide en bouche. C’est à ça qu’il pensait en se réveillant ce matin-là. Allongé dans son lit à regarder les lumières danser sur son plafond. La lumière du soleil passait à travers les morceaux de verres colorés suspendus à son carillon. Pour que chaque réveil soit une fête il fallait de la couleur. Depuis tout petit il savait que son bonheur ne dépendait que de sa vision des choses alors il avait cultivé sa positivité et il ne s’était jamais laissé abattre.
Il tendit son bras dans un rayon de lumière et les paillettes, qui étaient restées sur lui, scintillaient.
“Je suis une pierre précieuse, se disait-il amusé.”
Il avait beau frotter sous la douche en rentrant de ses shows, les paillettes donnaient l’impression de s'être incruster dans sa peau, mais après tout l’art de la scène coulaitdans ses veines c’était donc normal que les strass et les paillettes lui collaient ainsi à la peau.
Sa mère l’avait appelé Rubens en hommage au peintre, il avait d’ailleurs arraché une page d’un livre dans une librairie où il y avait une photo du tableau des “3 Grâces”, qu'il avait mises dans un joli cadre. Il aimait penser que ses amis et lui leur étaient similaires quand ils étaient la meilleure version d’eux-mêmes, en drag.
Il vivait avec sa mère, un vrai fils à maman. Elle l’avait élevé seule, il ne connaissait pas son père. Les seules choses qu’il avait de lui étaient ses yeux bleus très clairs et un portrait que sa mère avait fait de lui lorsqu’ils étudiaient ensemble à Massassuchet College of Art and Design. Rubens lui n'avait jamais voulu faire d''étude et c'était un miracle qu'il eut terminé le lycée. Une fois son diplôme de fin d'étude en poche, il trouva une place dans un salon de coiffure et il adorait son travail.
Il vivait et travaillait à East Boston, un quartier vivant où les accents s’y mélangeaient ainsi que les odeurs de cuisine exotiques. Rubens était à l’image de son quartier vivant, haut en couleur, bruyant et surtout qui vous donne toujours le sourire dès que vous étiez à son contact.
Même s'il aimait son métier, petit il s’imaginait "Star" mais il n’avait aucun talent particulier. Il chantait faux, ne savait pas jouer la comédie, il était beau mais pas assez pour être mannequin. S’il était né quelques décennies plus tard il aurait été le roi des influenceurs mais à la fin des années 80 tout cela n’existait pas encore. Mais depuis tout petit il était le roi des playbacks alors lorsqu'un soir, alors qu'il avait fait le mur pour aller dans les bars, il vit un spectacle de Drag pour la première fois ce fut une révélation ! Il avait trouvé ce en quoi il pouvait exceller.
Heureusement sa mère était une femme aimante et qui avait toujours soutenu son fils dans ses choix, y compris quand à 17 ans il avait décidé de se teindre les cheveux en rose, de se percer le nez et d'adopter un look à la Madonna pour aller en cours. La révolution avait bien commencé mais il fallait du courage pour s'assumer et Rubens en avait, plus que de jugeote parfois.
Alors qu'il était prêt à sombrer dans le sommeil à nouveau sa mère hurla depuis la cuisine
"Querido, je sais que tu es rentré tard mais rappelle toi que tu as promis à Tia Elena de lui faire les cheveux cet après-midi et je ne veux pas gérer ses coups de fil si tu es en retard."
Il voulait rester au lit à se souvenir de son triomphe d'hier soir mais il savait que sa mère n'arrêterait pas de l'appeler tant qu'il ne serait pas assis à la table de cuisine et qu'elle serait certaine qu'il honore son engagement.
Annotations
Versions