Acte I - Fin
PERSONNAGES
KIWI, vieillissant et sûr de lui
BANANE, soucieuse de son apparence
OEUF AU PLAT, jeune écervelé qui est toujours dans sa coquille
***
SCENE 1
Le plan de travail d'une cuisine quelconque, lors d'un après-midi anodin. Les trois compères errent sur la table, oubliés depuis le déjeuner.
OEUF AU PLAT (outré). — Quand je pense que mes frères m'attendent dans le château blanc glacé depuis la matinée !
BANANE (amusée). — Patience, elle finira bien par revenir. (S'inclinant comme devant son altesse) Et te raccompagner.
KIWI (moqueur reprenant la voix fluette d'Œuf au plat). — Quand je pense que Monsieur croyait qu'il avait été choisi pour son physique. Te voilà bien sot, sorti du lot !
BANANE (réprimant son rire) — C'est vrai qu'à le voir ainsi, peinant à rester droit comme un "i", j'ai du mal à me dire qu'elle ait pu arrêter son choix sur cet œuf au plat maladroit.
KIWI (renchérissant) — Pas étonnant qu'elle l'ait laissé là !
Kiwi et Banane partent dans un fou rire incontrôlable. Œuf au plat, fou de rage, se balance d'avant en arrière.
OEUF AU PLAT (colérique) — Toi la pucelle et toi le vieillard n'avez aucune leçon à me donner ! (Voyant qu'ils ne réagissent pas et rient de plus belle, il déclame assez fort dans l'espoir que ses frères l'entendent) Foi d'Œuf au plat, on ne se moque pas impunément de moi ! Je sens mon corps se réchauffer. Pis : je bous intérieurement !
BANANE (soudain soucieuse) — Il ne faudrait pas qu'il boue trop...
KIWI (pragmatique) — Au contraire ma chère, il faut apprendre à cet écervelé à avoir la tête dure !
BANANE (comprenant l'intention de son confrère) — Devons-nous donc continuer à nous esclaffer... (De nouveau moqueuse) ... Devant cet être pathétique et démembré ? (Faussement concernée) Est-ce bien approprié ?
KIWI (pragmatique) — Il est vrai qu'il n'y a aucune gloire à tourner en dérision un avorton pas même bon pour la cuisson. (S'adressant à lui) D'ailleurs, quelle est ta date de péremption ?
Œuf au plat est tellement hors de lui que de fines gouttelettes perlent le long de sa coquille poreuse.
BANANE (regardant Kiwi d'un air complice) — Je pense qu'il est fin prêt.
KIWI (se rapproche d'Œuf au plat et l'examine) — Hmm, Ceci-dit, je me demande s'il est assez... (Poussant Œuf au plat, qui s'écrase au sol)... Dur.
BANANE (choquée) — Qu'avez-vous fait malheureux ?
KIWI (sûr de lui) — De l'empirisme.
BANANE (agacée que Kiwi ne l'ai pas attendu pour pousser Œuf au plat) — Cette fois, vous êtes allé trop loin ! (Surjouant pour se donner en spectacle) — Je ne vois pas d'autre solution que de vous provoquer en duel !
KIWI (sûr de lui) — Singulier ?
BANANE — Cela va de soi !
KIWI (toujours sûr de lui) — Une arme de prédilection ?
BANANE (quelque peu agacée) — Qu'importe, l'issue sera la même !
KIWI — Tu l'as dit bouffie !
BANANE (vexée) — Bouffie ? Pardonnez-moi mon ami, mais s'il y a bien quelqu'un de (accentuant le mot) "bouffie" ici, c'est vous !
KIWI (étonné) — Moi ? Mais je...
BANANE (sincère) — Vos plis sont si disgracieux que je ne distingue même plus vos yeux. À vrai dire mon cher, je partage l'avis de feu Œuf au plat.
KIWI (maintenant vexé) — C'est-à-dire ?
BANANE (avec dégoût) — Votre peau toute fripée me donne la nausée et j'avoue préférer être mangée avant de voir votre corps décharné. (Désignant l'amas de poils) Même vos poils semblent vous abandonner !
KIWI (sur la défensive) — Parce que vous pensez être parfaite ? Figurez-vous que je suis AUSSI de l'avis de feu Œuf au plat : votre couleur maladive teintée de taches suspectes m'oblige à me maintenir à une certaine distance de peur d'être contaminé. Sans parler de l'odeur !
Un temps se passe sans qu'aucun ne parle. Ils restent un moment ainsi à se défier du regard, sachant que rien ne sera plus comme avant, après ces vérités énoncées.
Soudain, la porte s'ouvre : Elle est là.
Sans prendre le temps de ramasser Œuf au plat, elle s'empare de Banane - sous le regard horrifié de Kiwi - et lui ouvre la peau, découvrant alors des taches brunes sur son corps longiligne et blanc. Banane était donc bien malade... Kiwi regrette ses dernières paroles, surtout quand il voit qu'Elle charcute Banane, pour finalement paraître insatisfaite et la jeter.
Son tour vient rapidement aussi. Il est soulevé, inspecté, coupé en deux, goûté... Et finit par rejoindre Banane, dans le grand sac noir. Œuf au plat, resté seul sur ce sol froid, entend les pas s'éloigner suivis d'un soupir de frustration : finalement il restera là plus d'une matinée...
FIN
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