Introduction

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Je ne sais pas ce qui est le plus étrange.

L’argent ou ceux qui l’utilisent ?

L’être humain s’obstine toujours à croire que le blé, l’oseille ou la thune sert ses intérêts mais il oublie souvent que la chose la plus importante dans ce monde est sa propre Vie.

À l’aube des temps, cette vie était si précieuse que les femmes et les hommes se battaient pour la préserver. Leur force musculaire et leur agilité remplaçaient les Paradis Fiscaux, leur solidarité servait de Carte Bleue et le feu était leur seul trésor.

Pensez-vous que les animaux aient besoin d’argent pour vivre ?

Pourquoi l’Homo Sapiens d’aujourd’hui ne pourrait-il pas s’en passer ?

La principale bataille que nous livrons se limite à une recherche incessante de la fortune. Nous en voulons toujours plus. Comme si la richesse protégeait des maladies de la même manière qu’un vaccin protège d’un virus. Prenez l’exemple de Steve Jobs, l’un des hommes les plus riches du monde, du moins jusqu’en 2011. À l’âge de cinquante-six ans, l’ex-patron d’Apple décédait des suites d’un cancer pancréatique. Son immense richesse l’a-t-elle épargné ? À en croire son entourage, son égocentrisme de milliardaire aurait plutôt précipité sa mort. Je pourrais citer également Paul Allen, le co-fondateur de Microsoft, décédé il y a douze jours d’un cancer du sang, il avait soixante-cinq ans ; Christian Audigier, créateur de mode ayant fait fortune aux États-Unis avec sa marque de vêtements Ed Hardy, mort le 9 juillet 2015 d’un cancer de la moelle osseuse à l’âge de cinquante-sept ans ; et tellement d’autres encore…

L’avantage de la maladie, si on peut parler d’elle en ces termes, c’est qu’elle frappe ses cibles de manière totalement arbitraire, sans passe-droit ni privilèges. Elle est finalement la seule à respecter ce que le monde entier ambitionne depuis toujours : l’égalité.

Néanmoins, j’entends déjà des voix s’élever pour me dire que, sans argent, la vie aurait une fâcheuse tendance à se raccourcir pensant qu’un gros patrimoine pourrait la rallonger significativement. L’argument serait en partie valable si nous vivions au XVIIIème siècle, dans un logement insalubre infesté de rats rongés par la peste.

Certes, l’argent est important, mais l’est-il plus que la vie ?

Laissez-moi en douter.

La monnaie, invention prometteuse et ingénieuse créée il y a plusieurs siècles, permit au départ un nouvel échange différent du troc en prétendant que chaque objet, chaque acte, chaque vie avaient une valeur autre que spirituelle ou sentimentale.

Et l’homme dans sa splendeur nauséabonde en attribua le montant (mais je ne m’égarerai pas sur le sujet car j’en ai bien peu connaissance et je ne voudrais pas risquer de passer pour un ignorant).

Ces bouts de papiers à l’effigie des grands hommes ainsi que ces rondelles de ferrailles clinquantes régissent à présent notre existence et nous rendent dépendants de ce que nous avons nous-mêmes engendré.

Une hérésie.

Nous travaillons pour gagner l’argent que nous dépensons pour pouvoir continuer à travailler. À ce niveau-là, c’est de l’art ! On peut même dire que c’est le rat qui se mord la queue (sans mauvais jeu de mot) !

Non pas que l’argent soit une mauvaise chose, on en a tous besoin. C’est malheureusement ce besoin qui crée cette dépendance. Un peu comme un drogué qui doit trouver sa came avant le petit matin au risque de se taper un violent délire hallucinatoire s’il est en manque.

Nous en sommes tous là.

Qui n’a jamais flippé d’être à découvert à la fin du mois ? Raccroché au nez de son banquier pour ne pas entendre ses leçons moralisatrices ? Quel étudiant n’a jamais bossé tout un été au Mac Donald pour se payer le dernier Iphone ?

Qui n’a jamais rêvé de devenir riche ?

L’argent domine le monde, il écrase tout et sa seule limite est la mort (et encore…bientôt les géants de Silicon Valley pourront uploader leur cerveau dans un ordinateur pour vivre éternellement).Il nous préoccupe bien plus que notre propre existence, que l’essence vitale qui nous anime.

Pourtant, je pense que la vraie richesse se trouve en chacun de nous et qu’elle ne se traduit pas forcément par un compte en banque bien rempli ni par une belle voiture ou une superbe maison. Être riche c’est s’exalter devant la nature, profiter des siens, donner de soi. La vraie richesse est d’être en vie et en bonne santé. Pourtant, cette société de surconsommation est en train de nous tuer.

Nos fiches de paie nous angoissent plus que notre dernière prise de sang.

Le travail est devenu la principale source de stress.

Le Burn-out est en passe de devenir le mal du siècle.

L’argent risque d’être le prochain fléau mondial pour lequel nous n’avons pas encore trouvé d’antidote.

Et la santé dans tout ça ?

Car c’est là où je veux en venir.

L’évidence me mène à penser qu’un mort ne paye pas d’impôts (quoique).

La logique me pousse à croire que si tout le monde meurt (on meurt tous un jour, certes, mais je veux dire tout le monde en même temps, comme une épidémie de connerie par exemple), donc si tout le monde mourrait le même mois, au mois d’août par exemple, pendant une grosse période de canicule, à quoi nous servirait cet argent ?

Là vous me direz « Manu ! », (Manu c’est mon vrai nom. Mes parents se sont dit qu’Emmanuel ne servirait à rien compte tenu qu’on m’appellerait toujours Manu, et puis en maternelle c’était plus simple à écrire…), bref, vous me direz « Manu ! voyons ! tu ne crois pas que c’est un peu tiré par lescheveux ! ».

Je. Le. Conçois.

Mais il m’arrive quand même d’y penser.

Bon, admettons, tout le monde ne meurt pas. Il reste uniquement les vingt-six milliardaires les plus riches du monde qui, par un hasard fou, détiennent l’antidote de la bactérie qui nous flingue en trois semaines. Ces derniers, par une chance encore plus dingue, ont réussi juste à temps à s’injecter le produit miracle. Imaginez le topo :

On est en 2058, en plein mois d’août. La température extérieure avoisine les cinquante degrés à l’ombre. Les vieux tombent les uns après les autres comme des mouches, les mômes aussi mais c’est plus triste. Les climatiseurs tournent à plein régime et réchauffent encore plus l’extérieur, et là, boum, tu as une putain d’épidémie qui débarque de nulle part et massacre le reste des biens portants ! Sauf les vingt-six milliardaires les plus riches du monde qui, par un hasard d’une folie extrême, sont immunisés.

Vous le tenez le scénario là ?! Ça pourrait faire un bon film hollywoodien. Mais ce n’est pas l’objectif.

Donc, il nous reste vingt-six trous du cul blindés jusqu’à la moelle qui commencent à se demander ce qu’ils vont bien pouvoir faire avec leur fric (l’argot est important dans ce genre de scénar car je trouve qu’il amplifie l’effet dramatique et pervers de la chose).Qu’est-ce qu’on peut bien acheter sur une planète où il n’y a plus personne pour produire ? Et puis, sans consommateur, il n’y a plus de milliardaires…

Vous l’avez le concept ?!

C’est de ça dont je parle, l’argent est important mais il a ses limites.

Maintenant prenons l’inverse.

Avril 2075 (j’avais envie de changer), le jaune est devenu la couleur interdite (surtout les gilets), le président est un algorithme et la quasi-totalité de l’humanité vit sous le seuil de pauvreté…sauf les vingt-six milliardaires les plus riches du monde (encore plus riche qu’en 2058). Et là un virus mortel niché uniquement dans les œufs d’esturgeon déboule et fracasse les aficionados virulents de Beluga (encore un peu d’argot ça le fait non ?!).Ni les algorithmes de Zuckerberg junior (petit-fils de Mark), ni Alexa ne l’ont vu venir. Vingt-cinq milliardaires claquent instantanément, le vingt-sixième allergique au caviar se fait renverser dans la foulée par une voiture Uber autonome (il avait une chance sur un million que ça arrive).

Vous pensez sérieusement que les onze milliards d’êtres humains restant ne vont pas s’en sortir sans eux ?

Je ne sais pas si je suis bien clair…

Allez, un dernier exemple, plus concret cette fois, et après je vous raconte ma vie (c’est pour ça que vous êtes là non ?).

15 Décembre 2017.

Benjamin Poissit, quarante-deux ans et des brouettes, un pote de longue date, ce genre de pote que vous suivez depuis le CP et qui connait toute votre vie (donc obligé de rester pote), le gars qui se laisse pousser la barbe pour ressembler à un Hipster mais qui en vrai ressemble à Ben Laden (mais tu ne peux pas lui dire pour ne pas le fâcher, il a quelques dossiers sur toi que tu aimerais garder secret), ce genre de pote qui sniffe un rail de coke au petit déjeuner et trempe ses Belvita dans du Jack Daniel, bref Benjamin, mon pote, va acheter son ticket de loto hebdomadaire au tabac du coin.

C’est un vendredi, il fait très froid, la route est verglacée et il s’étale comme une merde au beau milieu de la nationale qui traverse le village (déjà bourré à huit heures du matin).Alors qu’il est à terre, une voiture lui roule dessus et se barre. Il se relève et arrive péniblement à la porte du tabac-presse. Il a un mal de chien et pisse le sang. Il achète son ticket malgré tout (le con, plutôt que d’alerter les secours).

C’est là qu’il m’appelle, comme si ma profession d’infirmier pouvait lui sauver la jambe.

« Salut Manu, dis-moi, je viens d’avoir un p’tit carton- rien de grave- est-ce que tu pourrais passer me récupérer devant chez Pierrot (proprio du Tabac-presse) si ça t’gêne pas ? »

Et moi comme un con je dis oui… vous ne croyez pas que j’aurais pu lui demander plus de précisions ? Y’a rien qui vous choque là ? Le gars se fait percuter, fracture ouverte du fémur sous opiacés et alcool, et pas plus inquiet que ça il va quand même acheter son ticket de loto ! Ça fait juste vingt-quatre ans qu’il y joue sans jamais rien gagner et aujourd’hui, malgré le cas de force majeure inhérent à la situation pourrie dans laquelle il se trouve suite au degré de connerie et d’alcool qu’il a dans le sang, Benjamin Poissit, quarante-deux ans et des poussières décide de ne faire aucune entorse au règlement qu’il s’est lui-même imposé en juin 1994, règlement qui stipule que « quoiqu’il arrive, à moins d’un cataclysme mondial, d’une guerre bactériologique ou d’une grève de la Française des Jeux, le vendredi est LE jour où il est dans l’obligation de jouer au loto ».

La fracture ouverte ne faisait pas partie des clauses du contrat…

Il me fallut un peu plus d’un quart d’heure pour arriver sur les lieux, ce qui en millilitre de sang perdu équivaut à la quantité d’alcool qu’il avait ingurgité dès le réveil, environ deux milles.

-Je me permets d’ouvrir une petite parenthèse scientifique qui, j’en suis sûr, vous éclairera sur la suite des évènements-

Le corps humain d’un homme adulte est constitué d’environ 60% d’eau, ce qui correspond à peu près à 42 litres chez une personne de 70 kg. On estime que le volume sanguin est de 60 à 70 ml par Kg. Sachant que Benjamin Poissit pèse 65 kg, combien de litres de sang possède-t-il ? Vous avez cinq minutes…

Ça y est, vous avez la réponse ? Environ 4 litres ?

Raté !

Ce vendredi 15 Décembre 2017 à exactement 9h34 du matin, Benjamin Poissit, avachi sur le trottoir devant le tabac-presse, visage blême, l’œil engoncé dans la cavité crânienne, bras ballants, mains en supination pinçant un ticket de loto ensanglanté, ne possède plus que deux litres de sang.

-Parenthèse fermée-

Les pompiers étaient là, Pierrot les avait appelés. Perfusion, transfusion et toute la panoplie du parfait comateux pendaient à son bras. Dans un langage parfaitement incompréhensible, Benjamin m’interpella. Là j’ai compris qu’il voulait que je récupère son ticket. Incroyable ! Deux minutes avant de sombrer dans les catacombes, la seule chose qui l’intéressait était ce putain de fric.

La suite est Hitchcockienne.

Six heures de suspense dans la salle d’attente du bloc opératoire, tout ça pour m’annoncer qu’ils avaient dû l’amputer car ils n’arrivaient pas à stopper l’hémorragie.

Vu l’état de son foie, pas étonnant.

Mais le comble de l’histoire c’est que le 7, le 23, le 30, le 35, le 41 et le numéro complémentaire le 6 furent tirés ce soir-là :

- le 7, le jour de sa naissance, en février précisément

- le 23, l’âge d’obtention de son bac

- le 30, l’âge qu’avait sa mère quand elle l’a conçu

- le 35, l’âge qu’avait son père quand il s’est barré

- le 41, l’âge qu’avait sa mère quand elle s’est suicidée

- le 6, l’âge qu’il avait quand on s’est connu

Bref Benjamin Poissit, unijambiste et comateux, avait touché le Jackpot. Neuf millions quatre cent cinquante trois mille six cent vingt-huit euros !

Comme quoi, avec un peu de chance…

Ça c’est la version sympa.

En vérité, mon pote se réveilla trois semaines plus tard, totalement ahuri, un paquet de neurones en moins et la bave au coin de la bouche. J’avais perdu le ticket dans le feu de l’action.

Tout ce que je sais c’est que, peu de temps après, Pierrot ferma son tabac-presse et s’envola pour les Caraïbes prétextantun décès familial.

Comme quoi, avec un peu d’imagination…

Quelques mois plus tard, Benjamin décédait des suites d’un cancer hépatique.

L’argent n’aurait pas suffi à le sauver.

Peut-être l’aurait-il empêché d’en arriver là ?

Qui peut savoir ?

Est-ce que les gosses de riches se droguent moins ?

À vous d’en tirer vos propres conclusions.

En ce qui me concerne, je risque de rejoindre mon pote dans peu de temps. Non pas que j’aime spécialement l’odeur de la morgue ni les hommages posthumes mais parce qu’il y a huit mois, mon toubib m’a diagnostiqué un putain de Sarcome (rappelez-vous que l’argot amplifie toujours l’effet dramatique et pervers de la chose).

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