Nouveau dogme
Dans la salle de classe, l'arche se met à vibrer interrompant le professeur. Au centre de cette dernière, un champ d’énergie bleuté apparaît, vibrant et oscillant. Il laisse échapper un son grave qui pulse à travers la pièce. Bruno se rassoit et rive son regard sur l’écran, tout en ajustant les contrôles d’une frappe assurée sur le clavier d’ordinateur. Figée et anxieuse, Lily reste là, observant le cercle bleu. Le professeur lui aussi parait stupéfait, la pipe suspendue sur sa lèvre inférieure. Au milieu du plasma, deux silhouettes se dessinent. Un grésillement rugit et les jumeaux sont propulsé hors de l’engin avec une force inouïe. Ils s’écrasent lamentablement sur le sol dans un vacarme assourdissant. L’arche s’éteint subitement.
Les deux freres ont le souffle coupé. Billy se redresse difficilement.
— Oh putain de sa mère ! Ça m'a ruiné le cerveau !
Observant son frère, Willy ne peut s’empêcher de lui lancer une pique :
— Ta gueule, abruti ! T'en as pas !
L’assemblée fixe les jeunes gens.
— Quoi ? Pourquoi vous nous regardez comme ça ?
— Billy, racontez-nous !
— Non, moi c'est Willy. Billy, c'est lui.
L’agacement envahit Jacques qui fait de gros effort pour se contenir.
— Allons, mes garçons, dites-nous ce que vous avez vu !
Billy essaye de se concentrer, sa respiration est difficile.
— On s’est fait agressés par un clodo, putain !
— Plaît-il ?
Avec un air franchement coléreux, Willy coupe la parole à son frère et enchaîne.
— On est arrivés dans un champ, y avait une espèce de clochard devant nous qui nous a insulté. Un gros mythomane qui nous a traité de trous du cul.
Bruno ne peut s’empêcher d’acquiescer, il ajoute :
— Ah, mais moi, je l’ai toujours dit ça !
D’une main ferme, le professeur et Lily aident les blondinets à s’asseoir. Jacques demande à Lily de filmer pour la postérité. Il les prie de continuer.
— Bwilly, soyez plus précis et rigoureux !
— Bwilly ? Non moi c’est Willy !
— Je ne sais pas vous différencier, alors ce sera Bwilly. Point barre.
Les yeux plissés, la mine renfrognée, Willy poursuit son récit.
— Le mec a dit s’appeler Jésus, mais c’est sûr c’est des conneries, il savait pas faire de miracles ! On lui a demandé, mais que dalle. Il a essayé de nous avoir avec un tour de passe-passe, mais on est pas né dans le dernier oignon.
— Jésus ?
Le professeur se prend la tete dans les mains,
il semble totalement extasié. Une certaine agitation s’empare de lui. Avant qu’il ne puisse ouvrir la bouche, Willy reprend.
— On a pas eu le temps de lui péter les dents parce que ça a sonné. Laissez-nous y retourner, on va lui régler son compte à ce gros con !
Un air catastrophé se dessine sur le visage du professeur.
— Quoi ? Mais vous ne vous êtes quand même pas battus avec Jésus ?
— Bordel, c’était pas Jésus, c’était juste un paysan ! Vous écoutez pas quand on parle ?
Une angoisse inextinguible s’empare de monsieur Brun. Sa voix devient plus agressive.
— Il faut vérifier ça tout de suite, allez dans la salle d’à côté me chercher tout ce qui est posé sur la table : les livres, les photos, les journaux, tout.
Il fait signe à Bruno d’éteindre la bulle temporelle, agrippe les jumeaux par le col et les pousse dehors. Peu de temps après, ils sont de retour, les bras chargés, et déposent le matériel sur une table. Le professeur s’approche pour consulter les documents.
— Qu’avez-vous fait ?
Inquiète, Lily demande quelques explications sans que le professeur ne lui accorde la moindre attention. Bruno se renfrogne et affirme qu’il était certain que ces deux idiots allaient tout foirer. Jacques se tourne vers les jumeaux.
— Pourquoi la bible indique comment monter des meubles ? Et la photo du Christ, derrière, il y a une clé Allen ! Qu’est-ce que vous avez foutu ?
Willy se tape le front du plat de la main.
— Putain, on a oublié le sac Billy !
Pendant que Lily continue à filmer, le professeur interroge les deux loustics.
— Vous avez perdu votre sac ? Dans le passé ? Est-ce que vous vous rendez compte que vous avez modifié l’Histoire à jamais ?
— Bah vous avez qu’à nous renvoyer !
— Ça ne marche pas comme ça, bande d’imbéciles !
— Renvoyez-nous juste après, on récupère le sac, ni vu, ni connu !
Jacques se tourne vers Bruno. Il fait tourner son doigt en l’air.
— Allez, Bruno, paramétrez-moi ça, on les renvoie dix secondes plus tard.
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Paradis sixième cercle
Une lumière divine oscille dans l’air. Devant, Jésus fait une tête de six pieds de long. L’entité toute puissante rugit d’une voix grave et ferme.
— Qu’est-ce qui m’a fabriqué un fils aussi couillon ?
— Mais, quoi ? Je suis redevenu le messie et la foi est rétablie !
— Et la croix ? Et la résurrection ?
— Oh, oui, bon, on va pas chipoter, non ? En plus, je trouve ça carrément plus classe comme ça !
— Plus classe ? Tu m’expliques la crucifixion sur une clé Allen ?
La voix devient subitement colérique. La lumière s’intensifie et devient aveuglante.
— Tu y retournes et tu remets tout en ordre, abruti !
— Mais, papa ! Pourquoi tu le fais pas d’une pensée toute puissante ?
— Parce que !
— Ah, bravo l’argument. Bien. Joli.
— T’y retournes et tu règles tout ça ! C’est fini ! Papa, il en a marre de gérer un adolescent qui passe son temps à dormir jusqu’à midi ! Maintenant, tu vas t’assumer. Allez, hop, bouge-toi ! Et que je te revoie pas tant que tout est pas comme avant !
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Salle de classe
La salle, l’arche, la lumière bleue, les jumeaux expulsés qui se fracassent sur le sol. Cette fois, ils sont couverts de cocards. Le professeur demande des explications. Avec une voix peu assurée, Willy tente de raconter ce qui s’est passé.
— Il était toujours là… On s’est fait défoncer.
Saisis par le col, brutalisés d’un coup de pied au cul, les deux blonds sont renvoyés à l’extérieur pour récupérer le matériel de contrôle. Une fois encore, le visage du professeur se décompose à la vue des modifications.
— Ce n’est pas possible !
— Quoi ? On a quand même pu récupérer le sac !
— Vous vous rendez compte, qu’à cause de vous, tous les blonds ont été éradiqués de la surface de la Terre ? L’inquisition en a fait sa priorité ! Et ça dure encore aujourd’hui !
Bruno se marre derrière son écran d’ordinateur. Lily lâche la caméra et insiste pour les renvoyer. Avec dépit, le professeur se laisse convaincre.
— Très bien, cette fois, on les envoie avant qu’ils débarquent dans le passé la première fois.
Se tournant vers Willy et Billy, il ajoute d’une voix coléreuse :
— Vous débarquerez juste avant que vous arriviez dans le passé pour la première fois. Dès que vous vous voyez, vous vous balancez dans l’arche. Ensuite, vous attendez que le réveil sonne et vous revenez ici. Vous vous démerdez, mais vous restez cachés, c’est compris ?
Le regard de bovidé des jumeaux en dit long, ils n’ont visiblement rien compris.
— Vous pouvez réexpliquer ?
— Mais qu’ils sont cons…
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Paradis sixième cercle
Lumière divine, Jésus, scène d’engueulade familiale.
— Bravo, bravo. Non, vraiment, je vois que tu t’es encore surpassé.
— Quoi ? T’es jamais content, papa !
— C’est n’importe quoi, tu y retournes. On éradique pas tous les blonds !
— Encore ?
— Oui, et cette fois, essaye de pas faire de connerie !
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Salle de classe
Classe, arche, lumière bleue, expulsion, ramassage de dents sur le carrelage. Willy et Billy sont questionnés à nouveau.
— Alors ?
— Bah, c’est-à-dire que l’autre était déjà là, ça a mal tourné.
— Comment ça ?
— Billy lui a jeté sa clé Allen dans l’œil, y a un rayon lumineux qu’est parti de sa main et ça a foutu le feu à une grange.
Complétant les propos de son frère, Willy ajoute :
— Le champ s’est enflammé et on a rien pu faire, le type s’est transformé en torche humaine.
Le professeur se prend la tête dans les mains, désespéré. Il se laisse tomber à genoux dans un bruit sourd.
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Paradis sixième cercle
Dieu, la lumière, Jésus, scène désormais coutumière du paradis.
— De mieux en mieux !
— Quoi ?
— Rien, rien. Si ce n’est que, désormais, l’humanité prie l’un des quatre fantastiques.
— Je m’en fous, cette fois, j’y retourne pas !
— Attends, je vais demander à Stan Lee s’il veut bien te faire une ristourne sur les droits d’auteurs. T’en fais pas, il est juste deux cercles en dessous.
— Mais… Papa ! Je suis le messie et y a plus d’autre religion.
— Sur Terre, vite ! Dépêche-toi ! J’ai promis à ta mère de pas te tuer, pourtant c’est pas l’envie qui m’en manque !
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Salle de classe
Arche, lumière et expulsion. Triptyque célèbre pour Lily, le professeur Brun et Bruno. Regard courroucé de Jacques, inquiétude de Lily. Willy et Billy affichent des mines de vainqueurs.
— Cette fois, ça y est !
Les observant minutieusement, le professeur arbore un air sceptique.
— Expliquez ?
Willy se lance dans une prose approximative.
— On est arrivés, il était pas là. On s’est planqués dans le champ et il a débarqué. Il s’attendait pas à nous voir. On l’a emballé dans un sac de jute qui traînait. Ficelé comme un rôti, il a pas demandé son reste. On a fait comme vous avez dit.
Expédition dans la salle voisine pour récupérer le matériel. Les jumeaux reviennent les bras chargés. Le professeur constate l’absence de toute modification. Il paraît soulagé. Willy se pavane fièrement.
— Alors ? On vous avait pas dit qu’on pouvait régler ça ?
— C’est la dernière fois que je me tourne vers des idiots pour gérer les voyages dans le temps.
Bruno acquiesce mais Lily semble décontenancée par la remarque du professeur.
— Monsieur Brun, peut-être serait-il plus sage de détruire la machine, non ?
La bouche du professeur s’étire. Il semble réfléchir et, avec une petite voix, se tourne vers Bruno.
— Je crois que Lily a raison. Il faut détruire la machine. C’est trop dangereux. Faites le nécessaire.
Avec conviction, Bruno tapote sur son clavier. Il rédige une ligne de code. D’un doigt, il appuie sur la touche « Entrée ». Un grésillement électrique parcourt l’arche qui se met à étinceler.
— C’est fait, professeur.
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Paradis sixième cercle
La lumière divine luit comme jamais. Elle se met à flamber de toute sa puissance. Avec effroi, Jésus comprend que son père va lui faire passer un sale quart d’heure.
— Jésus ! Bordel de bon sang de chiottes !
Le fiston essaye de se retirer discrètement, avec sournoiserie.
— Tu crois que je te vois pas ? Reste ici, crétin !
Embarrassé, Jésus essaye de s’expliquer.
— J’ai rien fait cette fois ! Tout est rentré dans l’ordre, non ?
— Oh oui, bien sûr ! Explique-le un peu à ces messieurs-dames !
Derrière le christ se trouve une cohorte de gardiens du temps, l’air franchement énervés. Ils tiennent des matraques qu’ils cognent dans leurs mains.
— Rien à foutre, j’y retourne plus.
Une femme d’un âge certain s’avance depuis l’arrière des troupes. Jésus la reconnait, c’est elle qui s’était occupé de son dossier et avait refusé de l’aider. Il grogne légèrement. Elle se fige devant lui.
— J’ai quatre paires de jumeaux débiles qui font des allers-retours dans le temps. Le continuum est en train de se déchirer. Vous savez que l’univers est sur le point de rompre ?
Jésus hausse les épaules.
— C’est ma faute si vous laissez des consanguins utiliser une machine à voyager dans le temps ?
Avec fermeté, Dieu assène une remarque à son fils.
— Jésus ! Surveille un peu ton langage.
Peu enclin à écouter son géniteur omnipotent, le messie enchaîne.
— Elle est bonne celle-là ! Je me fais piquer ma place parce que ces abrutis sont incapables de gérer !
L'officière du temps tente d'expliquer la situation :
— Monsieur de Nazareth, vous ne comprenez pas. Le cours du temps est modifié, une boucle s’est créée autour de ce champ. Des multivers sont en train de naître.
Réponse cinglante du charpentier :
— Vous me faites chier. Je veux pioncer maintenant.
La lumière divine s'agite à nouveau, elle prend une teinte pourpre.
— Excusez-le. Il est très perturbé depuis que sa mère n’est plus là. Je ne sais plus quoi faire avec lui. Encore une fois, je vais devoir régler ça. Est-ce que vous pouvez éviter de le charger dans votre rapport ? Il est pas méchant, c’est un bon garçon, mais il est encore un peu immature.
La matrone fait signe à ses compagnons de quitter les lieux. Attendant qu’elle ait le dos tourné, Jésus tend son majeur. D’une voix agacée, Dieu le reprend.
— File dans ta chambre ! Tu seras puni de messe de Pâques cette année !
— Oh non ! Papa, s’te plaît !
— File ! Je veux plus te voir, jusqu’au siècle prochain !
FIN
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